Ce document de travail pour le débat sur la gouvernance internationale fait la claire distinction entre la gouvernance du développement durable et celle de l’environnement. Il valorise aussi l’expérience acquise au sein de la francophonie sur ces questions.
Les institutions du développement durable doivent privilégier la coordination, être garant de l’intégration, de la cohérence. Le document propose trois niveaux d’approches complémentaires :
Une approche par filière considérée dans le cadre du changement des modes de consommation et production. L’économie verte est à la fois une filière spécifique, mais aussi une problématique à intégrer dans les autres filières. Des partenariats mondiaux par filière permettraient sur une base volontaire de coordonner les approches en déclinant les décisions internationales et en capitalisant les expériences.
Une approche nationale (régionale) centrée autour des stratégies nationales de développement durable (unifiées avec les stratégies de lutte contre la pauvreté) coordonnant notamment les filières. Un mécanisme comme la revue par les pairs faciliterait la coordination et le partage des bonnes pratiques.
Des méthodes communes de déclinaison du développement durable dans toutes les organisations, en s’appuyant notamment sur l’ISO 26000 et des outils spécialisés par filières.
Par ailleurs la gouvernance de l’environnement s’appuie sur le renforcement du PNUE, sa coordination avec les conventions, la mobilisation des fonds… Enfin un réforme de la CDD permettant de renforcer sa capacité de mobilisation. Ces dernières questions considérant l’architecture institutionnelles ne seront pas abordées ici.
Il faut établir une différence entre la gouvernance internationale de l’environnement qui relève de l’organisation des institutions de l’environnement, notamment le renforcement du PNUE, la coordination des Conventions et éventuellement la place de l’environnement dans les autres institutions internationales (OMC, FAO…) et d’autre part la gouvernance du développement durable.
La déclaration franco-brésilienne qui évoque « la gouvernance de l’environnement et du développement durable » pourrait utilement se décomposer dans la gouvernance de l’environnement et la gouvernance du développement durable, deux sujets différents mais imbriqués.
Le développement durable relève de trois piliers, et d’une certaine façon pour les organisations en charge de ces piliers, le développement durable est la façon d’intégrer l’environnement dans leurs activités. La prescription environnementale est non seulement de développer et mettre en œuvre les AME mais aussi de fixer les objectifs (résultats en termes de performance : comme le facteur 4 dans le cadre de la convention climat) dans les politiques menées par d’autres organisations internationales. Il faut que la gouvernance de l’environnement renforce le pilier environnement dans le développement durable et que les volets économiques et sociaux soient les leviers pour améliorer la performance environnementale, et non un alibi pour l’affaiblir. Le concept d’économie verte peut venir en soutien à cet argumentaire.
Gouvernance du développement durable
Les institutions du développement durable doivent donc privilégier la coordination, être garant de l’intégration, de la cohérence… Il s’agit moins de contraindre que de faciliter l’innovation, de construire les réseaux d’innovation susceptibles de faciliter les changements et les mutations. Il s’agit de faciliter l’organisation concrète de partenariats et de processus de coopération.
Dans cette logique la stratégie des organismes de l’environnement ne doit pas se placer en concurrence avec les autres organisations, mais être le moteur de l’intégration par le développement durable dans des processus spécifiques que nous allons décrire.
La vision que nous développons ici est que le développement durable est d’une autre nature que les approches sectorielles ou spécialisées qui peuvent faire l’objet de régulation hiérarchique (réglementation et taxe). Le concept de partenariat (appelé de type 2 à Johannesburg) est un complément essentiel des engagements politiques susceptibles d’être mis en œuvre par les Etats. Le partenariat permet des regroupements d’acteurs de différents horizons (organisations internationales, pays, acteurs publics et privés…) pour promouvoir par la coopération sur une base volontaire des pratiques qui vont dans le sens des engagements de développement durable. Ils forment la base de réseaux d’innovations possibles.
Le cadre développement durable devrait être le plus englobant, mais il est mis en concurrence avec d’autres approches qui devraient au contraire être conçues en termes de synergie :
– l’Agenda 21, le programme d’action de Johannesburg, les décisions de la commission du développement durable pour le développement durable
– Les Objectifs du Millénaire, et autres objectifs en matières économique et sociale
– la consommation et la production durable et le cadre d’action décennal
– l’économie ou la croissance verte (green economy / green growth)
Ces différents concepts sont portés par des organisations différentes, la coordination est autant une question de substance que de processus (sociologie des organisations). Le temps d’installation d’un concept international négocié au niveau global, qui produits ses organes, ses réseaux, ses outils, ses pratiques et s’enracine grâce aux retours d’expérience, est de l’ordre de 10 ou 20 ans. Les échéances temporelles du monde politique et administratif (comme le renouvellement des délégués des pays dans les processus internationaux) est beaucoup plus court en général inférieur à 5 ans. La tentation de la table rase, celle de vouloir prendre des raccourcis grâce à de nouveaux concepts, celle de la communication qui ne valorise que le neuf, tout concoure à mettre les nouvelles propositions en opposition aux anciennes, sans partir des acquis et les faire évoluer.
Second handicap est la distance entre les niveaux internationaux et la mise en œuvre concrète sur le terrain, la négociation internationale va élaborer des règes générales qui ne sont pas adaptées aux contextes locaux, ou dont la mise en œuvre sera filtrée par des institutions nationales.
L’économie verte a un certain succès du fait que ce concept permet de placer l’environnement non comme une charge que l’on pourrait seulement intégrer une fois la crise économique mondiale résolue mais un élément de la solution. Cet argument tactique essentiel ne doit pas se substituer aux processus engagés depuis plus 20 ans sur le développement durable. Il faut donc voir ce concept à l’intérieur d’un cadre plus large, et comment il peut s’articuler avec les autres approches.
Il recèle des limites, dont on peut identifier les deux principales :
– Celle de privilégier l’approche du marché et d’ignorer le volet social, sauf par l’emploi, ce qui appliqué, par exemple, aux services écologiques dispensés gratuitement dans les pays en développement conduirait à une éviction des plus démunis qui n’ont pas les moyens d’acheter les services qui leur sont aujourd’hui dispensé gratuitement et qui deviendraient payants.
– Celle de privilégier une approche gagnante/gagnante économique et environnementale, en ne gérant pas les perdants, ceux qui devront se reconvertir. Si l’on ne donne pas des perspectives de progrès à tous, on mobilise les perdants qui pourront bloquer le processus.
Le concept du changement de modes de consommation et de production qui devrait déboucher, en 2011 à la CDD, par l’adoption du cadre d’action décennal doit se nourrir de l’économie verte. A Rio le thème consommation/production était principalement conçu à travers l’élimination des modes de consommation et de production non durables en considérant des approches publiques et leurs leviers réglementaires et fiscaux. Depuis le concept de responsabilité sociétale des entreprises est une façon d’intégrer (positivement) ces questions dans la stratégie et le management des entreprises. L’économie verte serait une façon de parler de la promotion (positive) des modes de consommation et production durable. L’économie verte est naturellement plus centrée sur la production (création de richesse et d’emploi) elle doit s’intégrer aussi avec le volet consommation.
L’économie verte pourrait être considérée à la fois comme une filière à part entière à côté des autres mais aussi intégrée dans les autres filières. Le développement des énergies renouvelables, bien qu’appartenant au secteur énergétique, est bien une filière à part entière avec ses caractéristiques spécifiques : décentralisée, rapport investissement/fonctionnement élevé, voire intermittence. En revanche les économies d’énergie dans le bâtiment relèvent de l’intégration de l’environnement dans la filière du bâtiment, y compris de technologie venant de la filière verte.
Modes de consommation et de production et filières
L’approche par les modes de consommation et de production privilégie le cycle de vie (en matière environnementale mais aussi sociale) et donc la promotion d’approches filières. Les difficultés de négocier des plafonds par pays (comme à Copenhague) donnent un intérêt aux approches par filière. Des partenariats mondiaux sur chaque grand secteurs, permettraient de coordonner l’ensemble des Agences des Nations Unies, les pays des différents continents, les acteurs privés et publics concernés : pour arrêter selon une approche coopérative la vision politique (en lien direct avec les décision de la CDD), le cadre conceptuel de progrès de la filière, les systèmes communs d’évaluation de la performance, les modes de régulation et de promotion aux niveaux nationaux, les outils de déploiement sur le terrain, les systèmes de certification et d’évaluation… Ce qui a été ébauché sur le tourisme dans le cadre du GTI tourisme durable (processus de Marrakech), et qui devrait se prolonger dans un Partenariat Mondial pour le Tourisme durable : « Tourism United » pourrait servir d’exemple à d’autres filières.
Mais les réflexions par filière doivent être mises en perspectives avec les contextes régionaux et nationaux. C’est le rôle des stratégies nationales du développement durable (SNDD) que de mettre en cohérences les différentes politiques sectorielles et filières avec une vision et des enjeux nationaux. Cet outil qui était inscrit dans l’Agenda 21 de Rio a eu des difficultés pour se déployer réellement. Même si la plupart des pays sont dotés de SNDD, elles ont rarement été une véritable stratégie couvrant l’ensemble des autres stratégies et programmes.
Pour l’Union Européenne, la stratégie de Lisbonne (compétitivité) et celle de Göteborg développement durable (poursuivie par la Stratégie européenne du 9 juin 2006) sont en concurrence. Pour les pays en développement la question est semblable mais touche les stratégies de lutte contre la pauvreté (financées par la Banque Mondiale en relation avec les ministères des finances) et les stratégies nationales de développement durable (en générale pilotées par les ministères de l’environnement).
La difficulté d’avoir une approche stratégique unifiée du développement durable dans chaque pays, est doublée dans les pays en développement par le fait que de nombreux programmes sont pilotés par les agences des Nations Unies (ou de la coopération bilatérale) différentes dont les différents programmes interviennent dans les pays. Les programmes financés par les différentes institutions (BM, PNUD, PNUE…) ont chacun leur rationalité, leur cadre logique et leur ministère support (finance, environnement…) ce qui handicape la capacité des pays à mener des stratégies cohérence et des réelles synergies entre les politiques économiques, sociales et environnementales.
Il est donc essentiel que la gouvernance internationale du développement durable permette de coordonner réellement les actions des organisations internationales dans les pays en s’appuyant sur « One UN ». Une évaluation des expériences, acquis et difficultés, pourrait être menées en préalable à Rio + 20 . Un processus pourrait être mis à profit : la revue par les pairs des SNDD qui permet grâce à la présence de pays pairs de rapprocher les points de vue et de faire progresser les SNDD en facilitant leur convergence avec les PRSP .
Au-delà des coordinations sectorielles par des Partenariat mondiaux et les processus de SNDD coordonnés par la CDD il est important que sur le terrain tous les acteurs agissent en coopération sur l’ensemble des dimensions du développement durable. L’un des outils pour ce faire pourrait être l’ISO 26000.
L’ISO 26000, lignes directrices sur la responsabilité sociétale, qui devrait être finalisé en mai 2010 et voté durant l’été, a été élaborée dans enceinte réputée comme privée, avec la participation de diverses parties prenantes tant au niveau des délégations nationales que des organismes « en liaison » dont quelques organisations internationales (OIT, PNUE, …). Mais le texte fait référence au développement durable et aux « normes internationales de comportement » issues des principaux accords internationaux (droit de l’homme, condition de travail, environnement…). Loin d’être une norme volontaire qui affaiblirait les dispositions législatives et réglementaires, l’ISO 26000 peut être au contraire un moyen d’appropriation et de mise en œuvre des accords multilatéraux.
Le déploiement de la norme va mobiliser les organes de normalisation qui ont organisé le débat lors de son élaboration, mais il apparait nécessaire que les organisations internationales et les gouvernements s’impliquent dans l’utilisation de cette norme . Bien qu’elle ne vise pas seulement les entreprises, l’ISO 26000 pourrait être un accompagnement des politiques qui seront discutées lors du Sommet Rio + 20 : sur l’économie verte.
La figure ci-après met en perspective ces différentes approches qui doivent être considérées en synergies les unes avec les autres.
Les objectifs de développement durable qui pourraient être mis en œuvre grâce à l’ISO 26000 pourraient être discutés au niveau sectoriel et au niveau national. Les systèmes d’identification de bonnes pratiques et d’exemples « économiques » (business case) échangés dans ces différents processus. Des normes guides spécifiques par filières, compatibles avec la meta-norme ISO 26000 seront développées.
Des partenariats mondiaux pourraient organiser le déploiement sous forme volontaire et privilégiant les expérimentations, et le retour d’expérience à la CDD :
– la mise en œuvre des SNDD (associant Banque Mondiale, PNUD, PNUE….) avec des processus innovants de partage d’expérience comme la revue par les pairs
– les filières selon approche consommation/production durables : modèle tourisme, construction/habitat, agriculture/alimentation, information/communication, énergie, eau ???
– l’ISO 26000 et la RSE comme implication du secteur privé dans la mise en œuvre du développement durable
Ces partenariats mondiaux en nombre limité (une dizaine) pourraient se réunir annuellement (ou tous les 2 ans) la première semaine de la CDD, pour valider le rapport qui serait présenté à la CDD.
La cohérence entre ces différentes approches devrait pouvoir être discutée lors du Sommet Rio + 20. Mais il dépend aussi des systèmes d’informations et d’échanges de savoirs et de connaissances qui pourraient être déployés à cet effet. Un concept de renforcement de capacité original est proposé par la francophonie (OIF et AUF) les Pôles intégrés de compétence (PIE) visant à mieux capitaliser les expériences et la capacité de diffusion (recherche, formation…)