Intervention du Christian Brodhag
Délégué interministériel au développement durable
lors de l’Assemblée plénière du Groupe I du Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC)
Lundi 29 janvier 2006, 10 h- 11h30
Monsieur le secrétaire général,
Monsieur le directeur général,
Monsieur le président,
Madame et Monsieur les co-présidents du Groupe I du GIEC
Mesdames et messieurs,
« Ladies and gentlemen, It is my pleasure, on behalf of the government of France, to welcome you here in Paris and to say how proud I am to open this very important meeting.”
Merci beaucoup d’être rassemblés ici à Paris, à l’Unesco pour l’assemblée plénière du Groupe de travail I, du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat. Merci à chacune et chacun d’entre vous de vous consacrer à cette cause scientifique majeure, à l’élaboration des diagnostics qui permettent de fonder les décisions publiques sur les meilleures connaissances disponibles.
Vous le savez tous, le Président de la République française, monsieur Jacques Chirac, a fait du développement durable, à l’échelle mondiale comme à l’échelle nationale une des priorités de l’action de la France. La lutte contre le changement climatique est un élément fondamental de notre stratégie nationale de développement durable qui décline la stratégie européenne en ce domaine. C’est d’ailleurs le même comité interministériel du développement durable présidé par le Premier ministre qui a actualisé le 13 novembre dernier la Stratégie nationale de développement durable et le Plan climat qui renforcent encore l’engagement de notre pays.
Dans le domaine de l’environnement, l’éducation, l’information et la connaissance sont les fondements de tout progrès. C’est précisément ce qu’établit la charte de l’environnement, inscrit dans la constitution française depuis mars 2005, instituant des devoirs et des principes qui permettent de garantir le droit de chacun de vivre dans « un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
Vous comprendrez aisément que dans ce contexte, la France a beaucoup de considération, d’estime et de reconnaissance pour le travail accompli par le GIEC depuis sa création en 1988, sous les auspices de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE) qui sont représentés ici, et dont je salue le secrétaire général et le directeur adjoint.
Le travail du GIEC est sans équivalent dans d’autres domaines de notre société. En effet grâce à votre méthode de travail originale, rigoureuse, transparente, ouverte, le changement climatique est maintenant un des rares domaines où les gouvernements peuvent s’appuyer sur une analyse scientifique consensuelle.
Tout en gardant sa personnalité, donc son objectivité scientifique, le GIEC a en effet su demeurer à l’écoute des interrogations des décideurs politiques tout en préservant son objectivité scientifique.
C’est d’ailleurs en prenant le GIEC comme modèle que la France soutien activement la création d’un mécanisme international d’expertise scientifique sur la biodiversité : l’IMOSEB.
Mesdames, messieurs, la relation entre la science et la politique est au cœur du sujet. Etant moi-même chercheur et actuellement en charge de responsabilité auprès du gouvernement, vous me permettrez aussi quelques réflexions sur ce sujet.
Cette relation est particulièrement difficile car les décisions politiques et la connaissance scientifique ne relèvent pas des mêmes rationalités.
Le doute en science est fertile, c’est lui qui conduit les remises en cause, le consensus scientifique ne se constitue que sur l’absence de réfutation et se consolide progressivement.
La certitude dans la société est fertile car elle réunit l’ensemble des forces dans l’action. Le doute est souvent l’alibi de l’inaction.
Les médias sont partagés entre la dramatisation extrême et la valorisation des analyses dissonantes considérées comme non politiquement correctes donc comme médiatiquement intéressantes. Ils peuvent valoriser les marginaux qui ne se sentent pas capables d’affronter les processus de réfutation par leurs pairs. Il est alors tentant pour eux de « sortir de la science » pour « entrer en médias ». Le huis clos de vos travaux gage de leur sérénité peut renforcer la méfiance.
L’interprétation des résultats de vos travaux par les médias dépendra beaucoup de la communication de chacun d’entre vous. Mais la parole du scientifique n’est pas sa parole mais l’expression d’un processus, c’est ce processus qu’il faut valoriser.
Nous savons que l’action dans le domaine de la lutte contre le changement climatique ne relève donc plus maintenant du principe de précaution. Il s’agit bien du principe de prévention d’un danger dont les contours commencent grâce à vous à être connus. Certaines hypothèses, les plus catastrophiques en revanche, appartiennent au champ de la précaution et doivent donc aussi être prises en compte.
Vous savez que la France a été très durement frappée par la vague de chaleur du mois d’août 2003, qui a causé 15.000 décès chez nous et probablement plus de 40.000 sur l’ensemble de l’Europe. Pour cette raison notamment, nos concitoyens ne remettent plus en question la réalité du réchauffement et s’inquiètent :
– Ils s’interrogent aujourd’hui sur la liaison possible entre la fréquence et l’intensité des événements météorologiques extrêmes, comme les tempêtes violentes en Europe ou les cyclones tropicaux, et le changement climatique dû à l’effet de serre.
– Ils s’interrogent sur disparition des ressources en neige de nos stations de ski et ses conséquences pour l’industrie touristique.
– Il s’interrogent sur les conséquences pour l’avenir des forêts de France et d’un dérèglement du cycle végétatif qui s’est accru de 12 jours sur les dix dernières années.
– Il s’interrogent sur le blanchiment des coraux, en particulier en Polynésie, et ses conséquences potentielles au delà de la disparition de joyaux de la biodiversité mondiale.
A travers ses départements et territoires d’outre-mer, la France s’inquiète également de façon très immédiate et concrète à la vulnérabilité des pays voisins de ces territoires d’outre-mer, souvent de petits Etats insulaires, disposant de peu de ressources pour se prémunir contre ces cataclysmes.
Je comprends combien il peut être difficile de démontrer que les événements météorologiques extrêmes récents sont le signe d’un dérèglement climatique, puisqu’on ne peut se prononcer scientifiquement que sur des séries statistiques plus longues, évidentes. Nous espérons donc que vous serez en mesure de nous éclairer sur ce point tout particulièrement.
Ces considérations préoccupantes, inquiétantes, ont conduit notre pays à créer en 2002 l’Observatoire des effets du réchauffement climatique, qui a pour mission de collecter et de diffuser les informations, les études, les recherches sur les risques liés au réchauffement climatique et aux phénomènes climatiques extrêmes. Cet Observatoire a formulé des recommandations sur les mesures d’adaptation susceptibles de limiter les risques liés au changement climatique, qui ont été entièrement reprises pour formuler la Stratégie française d’adaptation au changement climatique.
Il convient de lever une hypothèque à cet égard. Trop souvent je rencontre un frein au déploiement de politiques d’adaptation, non seulement du côté des sceptiques mais aussi chez certains qui y voient une sorte de Munich environnemental, une capitulation devant le changement climatique, qui affaiblirait l’engagement de réduction des émissions.
Ceux qui cherchent à opposer adaptation et prévention font fausse route.
Mesdames et Messieurs,
Les objectifs sont connus, ils sont aujourd’hui précis.
Le Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin avait déclaré, lors de l’ouverture de la 20ème session plénière du GIEC, le 19 février 2003 à Paris, qu’il fallait « diviser par deux les émissions de GES avant 2050 à l’échelle de la planète » et que pour la France, pays industrialisé, « cela signifie une division par quatre ou par cinq ». Cet objectif a été inscrit dans la Stratégie nationale de développement durable en juin 2003 et dans la loi du 13 juillet 2005 sur l’énergie. Un groupe d’experts a rendu le 9 octobre 2006 son rapport offrant des pistes sur des scénarios économiquement réalistes afin d’atteindre cet objectif ambitieux.
La commission européenne a adopté cet objectif fin décembre 2006. Le débat entre la commission et le parlement ne porte plus sur l’objectif 2050 mais sur l’étape intermédiaire de 2020 : -20% ou -30%.
Il est souhaitable que ce qui apparaît comme un scénario politique soit consolidé par vos modèles, éclairé par des scénarios complémentaires mais faisant l’objet d’un scénario climatique en tant que tel et bien identifié dans la communication.
Ainsi consolidé, un tel objectif entraînera les autres pays, et se déclinera bien entendu en politique publiques, mais aussi en anticipation « rationnelle » par les acteurs économiques et sociaux. La cohérence entre votre diagnostic scientifique et cet objectif politique est donc essentielle.
Bien entendu l’évaluation des solutions ne relève pas de votre mandat et concerne le groupe 3 du GIEC, mais votre signal libérera les énergies vers la recherche collective des solutions.
Comment agir ? Il nous faut engager une approche pragmatique et déterminée combinant les différents outils de politiques publiques disponibles : réglementaires, financiers, fiscaux et informatifs. Le lieu de cette coordination est la Stratégie nationale de développement durable qui garantie la cohérence entre les objectifs, l’ensemble des politiques menées et les moyens de l’action publique.
La France a rappelé dans son Mémorandum pour une relance de la politique énergétique européenne dans une perspective de développement durable en janvier 2006 que la politique énergétique européenne doit prendre en compte deux éléments incontournables au niveau international :
– La situation de plus en plus tendue au niveau mondial entre l’offre et la demande de pétrole et de gaz naturel et l’impact qui en résulte sur les prix de l’énergie, d’une part et
– Le changement climatique d’autre part.
Ce Mémorandum vise la nécessité d’un mixte énergétique qui diversifie les sources incluant les énergies renouvelables sans oublier la maîtrise des consommations et les technologies sobres. La révolution technologique doit aussi toucher les énergies traditionnelles, c’est pourquoi la France soutient par exemple le captage et le stockage du CO2 sur les centrales thermiques, principalement au charbon. Nous n’attendons pas en effet de révolution majeure ou de rupture sur ce thème mais le déploiement de technologies connues, assemblées dans une filière que les politiques publiques doivent stimuler au plus vite. Le basculement du pétrole au charbon serait une catastrophe.
Si les progrès technologiques sont importants, il me semble fondamental, d’un point de vue économique mais aussi social, environnemental et même éthique, de faire progresser dès maintenant nos organisations, nos logistiques, nos bâtiments, nos produits et procédés, sur les voies que nous connaissons déjà, plutôt que de s’en remettre uniquement à la croyance dans des technologies de rupture.
C’est pourquoi, la principale cible doit être le changement de nos comportements et de nos modes de vie qui conditionne la diffusion de nombreuses solutions. Ils doivent être guidés par un esprit de responsabilité vis à vis de l’environnement et du climat de la planète.
Plus encore que dans d’autres domaines, Les pouvoirs publics doivent en être publiquement comptables pour en être davantage responsables. Dans cet esprit, le Plan climat de la France demande à tous les ministères de viser à compenser par le financement de projets « sobres en carbone » les émissions de CO2 occasionnées par leurs agents dans leurs déplacements et à l’international et par toutes les conférences organisées à leur initiative. C’est ce que nous faisons pour la présente réunion.
Notre objectif final est simple mais il est aussi ambitieux : le changement climatique, avec ses conséquences désastreuses, ne doit pas devenir un obstacle au développement humain et la mobilisation doit commencer chez nous, ici en France, mais notre pays entend les promouvoir activement au niveau international.
Bien entendu le cadre principal est multilatéral avec la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques.
Nous souhaitons également renforcer les actions diplomatiques dans un cadre multilatéral et bilatéral, afin d’aboutir à une ratification universelle du protocole de Kyoto. Le protocole de Kyoto constitue aujourd’hui, et malgré ses imperfections, le meilleur outil de lutte contre l’effet de serre. Il nous conduit déjà à améliorer nos performances sur le plan de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre sur la base de technologies existantes. Il permet le déploiement d’outils innovants faisant appel au marché et facilitant les transferts de technologies. Il faut préparer dès maintenant, et adopter le plus rapidement possible, le régime qui le prolongera après 2012.
Mesdames, messieurs,
La France a contribué activement à la préparation du quatrième rapport d’évaluation. Pour le Groupe I. 14 scientifiques français sont impliqués, en tant qu’auteur coordonnateur, auteur principal, ou éditeur-réviseur. Nous souhaitons encore accroître la participation des scientifiques de notre pays à ce processus d’expertise internationale. Nous mobiliserons davantage de moyens pour vous donner cette capacité d’expertise internationale. Nous allons aussi favoriser la participation des scientifiques des pays en développement, qui sont les plus vulnérables aux conséquences néfastes du changement climatique.
La France souhaiterait que les travaux s’articulent autour de trois grands axes :
– une meilleure connaissance de la régionalisation des impacts d’abord ; comme le changement climatique […] par région par des formes spécifiques. Quelles seront ces formes ? Comment le changement climatique va-t-il se traduire dans chaque région ? Quelles sont les menaces concrètes qui pèsent sur les petites îles ? Sur l’Europe ? Cette expertise est nécessaire pour anticiper mais aussi limiter les dommages ;
– ensuite, nous voulons une meilleure connaissance et compréhension de l’objectif ultime, ce que la Convention de Rio a exprimé sur le « niveau de concentration de gaz à effet de serre dangereux ». On pourra y arriver en s’appuyant en partie sur le premier axe et cela nous permettra de calibrer nos efforts dès le début de ce siècle ;
– enfin, nous devons mieux prendre en compte l’état climatique et environnemental de notre planète dans les outils de pilotage économique et de gouvernance mondiale.
Ce thème de la gouvernance sera approfondi lors de la conférence « Citoyens de la Terre » qui se tiendra à Paris les 2 et 3 février 2007 à l’invitation du Président de la république. Elle vise à créer une mobilisation internationale autour de trois objectifs :
– faire prendre conscience de l’urgence de la situation.
– déterminer les actions prioritaires
– agir, au niveau international, pour créer une Organisation des Nations unies pour l’environnement (ONUE) en vue de renforcer la gouvernance mondiale environnementale.
Je souhaite donc que vous puissiez continuer dans cette voie d’excellence, dans cette enceinte de l’UNESCO, où toutes les nations sont représentées. Vous vous intéressez à l’un des problème les plus importants que doit vivre aujourd’hui notre planète et que doit résoudre l’humanité.
Donnez à l’opinion publique internationale et aux décideurs le diagnostic qui déclenche l’action de tous.
Je vous remercie de votre attention, et vous souhaites des travaux fertiles.