Mieux financer l’innovation pour la transition des territoires

Article paru initialement sur Construction 21 dans le Dossier Financer la transition de nos villes et territoires

Le financement de la transition doit être envisagé avec deux versants. Le premier est celui de la mobilisation des investissements, avec notamment des innovations financières qui sont traitées dans ce dossier. Le second qui est l’objet de cet article est de considérer les voies de l’efficacité maximale de ces financements par l’innovation. Il s’agit de considérer les innovations dans les infrastructures, le bâti et les services, qui soient à la fois performantes en matière environnementale, socialement bénéfiques et économiquement rentables.

L’innovation, en matière de nouvelles technologies, de nouveaux modèles économiques, ou encore de nouvelles organisations collectives, aura en effet une contribution essentielle à la transition écologique. Ces innovations peuvent intégrer des technologies de pointe, des innovations en rupture notamment celles permises par le numérique, mais aussi des innovations frugales, optimisant frugalité des ressources mobilisées et des coûts. Ces innovations peuvent concerner différentes échelles.

Considérer l’économie du projet et l’économie pour la collectivité

Le premier niveau d’analyse économique à avoir est celui de l’objet ou de la maison, par exemple celui d’un logement ou d’un bâtiment tertiaire particulier. L’amélioration de sa performance thermique va faire baisser sa consommation d’énergie. Le financement de l’investissement est lié de façon micro-économique à son amortissement sur la durée, et au partage de la charge entre propriétaire et occupant.

Mais la lutte contre le changement climatique nécessite d’aller plus loin dans la performance que ne le permet actuellement la relation entre le coût de l’énergie et celui des solutions permettant de l’économiser. Cela justifie une intervention publique qui peut réglementer, ou intervenir sur le marché : taxer le carbone ou subventionner du fait des co-bénéfices générés par le projet à la collectivité, au-delà des bénéfices économiques directs pour le propriétaire de l’actif.

Viser le zéro carbone à zéro surcoût ?

Au lieu de chercher qui doit payer le surcoût environnemental et comment amortir les investissements d’économie d’énergie, l’objectif de l’innovation pourrait être de rechercher des solutions sans surcoût. Peut-on par exemple rénover un bâtiment en énergie positive qui soit rentable sans subvention ? La réponse est sans doute… bientôt.

C’est l’objectif affiché par Energie Sprong le projet de rénovation par l’extérieur qui utilise des procédés industriels hors site. La modélisation (BIM) du bâtiment permet de concevoir en usine les éléments qui seront assemblés sur place en un temps record sans gêne des occupants. L’utilisation possible de matériaux frugaux bas carbone biosourcés se combine à une utilisation avancée d’outils digitaux.

Les Bâtiments Circulaires, visent la réutilisation des éléments des bâtiments en déconstruction. En conservant la valeur de certains ‘déchets’ ceux-ci ne sont plus une charge mais une ressource créatrice d’emplois locaux et rentable, le prix de certains matériaux pouvant être déjà inférieur à celui du neuf.
 

Repenser l’économie des systèmes techniques

La rénovation profonde, comme les solutions ambitieuses pour la transition dans d’autres filières, ne consistent pas en mettre côte-à-côte des solutions techniques qui seraient financées élément par élément, mais en un ensemble de solutions, de technologies unitaires qui font système. Ce système technique dans le bâtiment allie les interventions sur l’enveloppe, la mobilisation de sources d’énergies et de matériaux qui eux-mêmes doivent être bas carbone et entrent dans l’équation de prix.

Le bâtiment peut lui-même produire son énergie et maitriser sa consommation pour atteindre un bilan positif. La rénovation du siège de KTR. lui a valu d’être primé au niveau international par les Green Solutions Awards. Le bâtiment est à énergie positive au prix du marché en alliant l’isolation, et un système énergétique combinant capteurs solaires hybrides (électricité/chaleur), sondes géothermiques et pompes  à chaleur.

La production d’énergie peut aussi être mutualisée avec d’autres bâtiments, ou s’intégrer dans des réseaux électriques (smart grids) ou des réseaux de chaleur/froid. A l’échelle du quartier par exemple, des réseaux urbains de chaleur et de froid intelligents pilotés par la demande, dits de 5ème génération, peuvent capter, stocker, échanger, et valoriser de multiples sources de chaleur et de froid basse température.

Il n’y a pas que le système énergétique qui peut être local, il y a aussi l’économie circulaire. Elle vise à transformer les déchets en ressources c’est-à-dire une charge en un actif, ou encore à exploiter des matériaux locaux.

C’est au niveau de ces systèmes multi-techniques et multi-acteurs qu’il faut considérer le modèle économique de création de valeur, et son financement.
 

Créer de la valeur partagée

L’approche économique ne doit pas se limiter aux économies sur la facture énergétique ou au coût de traitement des déchets. La rénovation améliore le confort, réduit les nuisances sonores et améliore la qualité de l’air intérieur. Toutes ces questions s’avèrent être facteurs de productivité dans le secteur tertiaire avec des bénéfices supérieurs à ceux apportés directement par les économies d’énergie. La rénovation profonde peut aussi conduire à l’augmentation des surfaces ou des fonctionnalités des bâtiments. Les mutations post-covid et la réorganisation par le travail à distance pourront conduire les entreprises à diminuer les surfaces et requalifier leur parc immobilier.

Cette création de valeur, qui met le confort de l’occupant et l’usage au cœur des objectifs, n’est monétisable que pour une part, elle contribue plus à augmenter la valeur patrimoniale du bâti qu’à l’économie de son fonctionnement.

En revanche en répondant à plus d’objectifs, à des attentes plus variées des parties prenantes, elle facilitera l’acceptation de l’innovation et la confiance. L’effet économique est aussi la diminution des coûts de transaction et du coût lié au déclenchement de l’action.

Figure 1 : Les échelles locales des solutions dans l’environnement bâtit.

Structurer la capacité technologique des territoires

Ces solutions techniques ‘systèmes’ nécessitent l’intervention sur un territoire de professionnels aux compétences variées : maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, architectes et ingénierie, entreprises, fournisseurs, artisans et  financeurs….

L’ensemble de ces acteurs forme aussi à son niveau un système, que l’on qualifiera de système technologique. C’est lui qui se constitue autour d’un système technique pour le financer, développer, le livrer et l’exploiter. Chaque projet, chaque infrastructure est conditionnée à la constitution de ces coopérations d’acteurs et de professionnels. Cette partie du projet, le montage de consortium, a un coût : le coût de transaction et de couverture des risques.

Mais ces coûts peuvent être considérés comme des investissements, si l’on considère l’apprentissage collectif. Les projets réalisés permettent de capitaliser des expériences, des savoirs et des relations entre les acteurs qui vont diminuer le coût des opérations suivantes. Ils vont contribuer à développer la capacité des territoires à conduire la transition écologique à moindre coût. Mais ces retombées involontaires, peuvent être organisées et soutenues.
 

Développer la capacité des territoires

Les politiques publiques, notamment menées par les collectivités locales, doivent renforcer ce niveau collectif. Il s’agit de réaliser des démonstrateurs, de mobiliser la commande publique pour développer les solutions techniques dans la perspective de contribuer à la constitution de ces systèmes technologiques. Cela conduit aussi à financer les aspects cognitifs des retours d’expériences et des transferts dans les dispositifs de formation.

Les politiques publiques contribuent déjà à l’information des propriétaires, notamment à travers la politique des Espace info énergie. Celle-ci a pour objectif de les orienter vers les meilleures solutions de rénovation et faciliter l’accès à une expertise fiable, ce qui donne de la confiance et baisse le coût et les risques de l’investissement. 

Il s’agirait de concevoir, dans une même logique, des dispositifs et une politique spécifique de l’innovation au niveau du territoire. Elle peut reposer notamment sur des processus de transformation du marché. Le Booster du réemploi par exemple, réunit des maîtres d’ouvrage dans une alliance en faveur du réemploi des matériaux dans le bâtiment. Une interface digitale, Looping, permet la massification des relations entre l’offre et la demande. Son déploiement dans les territoires, a moins besoins de financements publics que de soutiens institutionnels.

En conclusion plutôt que de viser la subvention de la transition sur des techniques disponibles actuellement, les pouvoir publics nationaux et locaux devraient consacrer une part de leur soutien à l’innovation dans les territoires, dans une logique d’efficacité des financements publics. Ils pourraient consacrer à l’innovation territoriale des aides financières directes, de la commande publique ainsi que des soutiens non financiers, d’ordres réglementaire, politiques ou fonciers.