Le droit de l’environnement s’appuie sur quatre grands principes inscrits dans le droit et de nombreuses conventions internationales ratifiées par la France. Ces principes sont largement soutenus par nos concitoyens : le principe pollueur-payeur, le principe d’action préventive ou prévention, le principe de précaution et le principe de participation. Le développement durable marque une triple évolution des approches traditionnelles de l’environnement. C’est d’une part l’élargissement de la perspective environnementale au niveau planétaire et à long terme, du fait de la prise de conscience de l’impact des activités humaines sur les grands équilibres climatiques et biologiques. C’est d’autre part, la nécessité d’intégrer la problématique de l’environnement dans l’ensemble des politiques économiques et sociales. C’est enfin la nécessité d’anticiper les conséquences des choix pour permettre d’analyser les coûts et les avantages à tous les stades de la décision en appliquant le principe de prévention. Or, dans certains cas de risques graves ou irréversibles, il ne peut être question d’attendre l’observation des effets et il n’est pas possible d’évaluer avec certitude les coûts et avantages, c’est alors le principe de précaution qu’il faut appliquer.
Mais aujourd’hui ce principe fait l’objet d’un certain mésusage. L’aspect familier du terme précaution pousse en effet tout un chacun à l’utiliser dans des cas où il n’est pas valide, ce qui en affaiblit la portée et donne des arguments à ses opposants.
Ce principe, tel qu’énoncé dans la déclaration de Rio de 1992, nous dit qu’« en cas de risque de dommages graves ou irréversibles l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Ce n’est pas un principe substantif applicable de façon « automatique » que chacun pourrait invoquer, mais un principe procédural qui nécessite un double débat sur la gravité du risque et sur l’état de la connaissance scientifique. Il doit être encadré par des procédures adaptées mêlant experts et politiques, et même le public profane.
Selon l’expression de Ravetz, nous avions l’habitude de décisions politiques molles et négociables qui pouvaient se fonder sur des sciences dures et parfaitement établies. Avec le principe de précaution nous sommes confrontés à devoir mettre en place des régulations politiques dures même quand la science est molle et incertaine. Ce renversement est autant inconfortable pour les politiques que pour les scientifiques.
Pour comprendre la difficulté, il faut donc se pencher sur la science en train de se faire. Il faudrait dire les sciences, car il y a deux sortes de sciences, la science éclairante qui vise la connaissance et la science agissante qui s’intéresse à l’action. Toutes deux sont légitimes mais fonctionnent différemment.
Dans le domaine de la science éclairante, toute connaissance commence par l’observation et une hypothèse scientifique vérifiée par un protocole scientifique, modèle ou expérience. Pour pouvoir parler de connaissance scientifique, il faut que d’autres scientifiques ne réfutent pas cette hypothèse par des arguments, des faits ou des expériences. Petit à petit cette connaissance s’affine, se complète, se solidifie jusqu’à atteindre un consensus suffisant pour qu’on puisse parler de consensus de la communauté scientifique. Ce phénomène de maturation de la connaissance est long et la communauté scientifique n’aime pas mettre ses tâtonnements au grand jour encore moins proposer une décision politique avant d’être certaine.
Pour éviter cette zone d’incertitude et de décision où les politiques risquent de décider un niveau d’action inadapté, trop strict ou trop laxiste, il faut que ce type de connaissance avance rapidement. Une obligation de recherche s’impose donc aux pouvoirs publics.
Pour la science agissante en revanche, il suffit d’expérimenter et si la brebis clonée survit l’expérience est réussie, et il n’y a pas de réfutation possible. Même si l’expérience est imparfaite il y a toujours espoir d’amélioration. Cette recherche fait bien entendu l’objet du soutien industriel. Or la dynamique de l’organisation de la recherche, la gestion des carrières et des budgets… tout privilégie aujourd’hui la science agissante.
Le principe de précaution doit donc être appliqué selon une procédure ouverte à la controverse scientifique permettant un équilibre entre les représentants de la science éclairante et la science agissante. La science agissante qui se prive de la science éclairante est la marque de l’obscurantisme scientiste. Or, certaines commissions scientifiques autoproclamées compétentes donnent un avis sur des questions où leurs membres ont des intérêts objectifs dans la chose jugée. L’Académie de Médecine est qualifiée pour évaluer les risques sur la santé, mais en aucune façon pour évaluer les risques environnementaux. Une procédure transparente doit être mise en place, comme dans la commission du médicament, qui garantisse que les scientifiques liés à l’innovation en débat (discipline de recherche, contrats…) ne puissent donner seuls leur avis. En 1996, la Commission Française du Développement Durable proposait qu’un système d’échelle de la connaissance et des risques soit mis en place, pour faciliter la communication avec les médias et le grand public.
Tout ceci nécessite des procédures organisées par la loi, fondées sur des principes de droit, permettant une transparence et une interaction constructive avec la société et le monde politique.
Il est contradictoire que ceux qui se plaignent du mauvais usage du principe de précaution recommandent de ne pas l’encadrer par le droit. Mais peut-être que les positions les plus virulentes cachent une vision scientiste qui relève plus de l’idéologie que de la science. Peu importe pour certains d’entre eux si les espèces animales et végétales disparaissent puisque dans leurs laboratoires ils expérimentent ce qu’ils croient être les espèces de demain, en toute liberté car selon eux à tout risque avéré la science trouvera toujours la parade. Les Académies se doivent de mettre en quarantaine ces délires prométhéens.