Le départ de Nicolas Hulot permettra-t-il d’engager un débat salutaire : comment piloter le changement à la hauteur des enjeux environnementaux ? Nicolas Hulot invoque l’urgence et donc la nécessité de choix radicaux. Mais ce qui est entendu comme un appel au changement des modes de vie fait reposer la responsabilité sur le seul citoyen comme condition préliminaire à tout changement.
II lui a été opposé par ses collègues du gouvernement qu’il quittait, que la politique de petits pas était une évidence politique que Nicolas Hulot ignorait du fait de son inexpérience. Et qu’il aurait dû se satisfaire de la priorité donné à l’environnement dans le gouvernement par le rang protocolaire qu’il occupait comme ministre d’Etat.
Or il est nécessaire de concevoir des changements à toutes les échelles internationale, nationale et locale et pour l’ensemble des acteurs privés et publics. C’est tout autant celle du changement institutionnel que celui des changements des modes de consommation et de production. L’ampleur et l’urgence de l’enjeu semble paralysante. Or nous ne sommes pas démunis sur le plan conceptuel, des pistes ont été tracées encore faut-il les partager avec des acteurs qui se réfèrent à d’autres rationalités et raisonnent comme si le monde était illimité.
Le cadre de réflexion et d’action doit être le développement durable car il permet d’établir des relations entre les limites planétaires et le développement économique et social. En outre il est aligné avec les engagements internationaux et les objectifs 2030 des Nations-Unies. Les critiques du développement durable, se justifient uniquement parce qu’il n’a pas été mis en œuvre. Il est en général dévoyé par l’ignorance, il est flou pour ceux qui ne considèrent ni les textes qui ont jalonnés son histoire ni les connaissances scientifiques qui se sont développées à son sujet. Pourtant la doctrine véhiculée par le ministère que dirigeait Nicolas Hulot justifie de remplacer le développement durable par la « transition ».
La pratique française de l’alternance politique, conduit à dévaloriser les activités de l’équipe précédente. Considérant que le développement durable était attaché à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy l’a remplacé par l’environnement et le Grenelle en l’abandonnant en cours de mandat à cause de sa non prise en compte de l’économique. François Hollande, sur un principe de table rase a imposé la transition et le seul dossier climat. L’actuelle majorité ne semble pas avoir de doctrine véritablement nouvelle. Cette absence de continuité conceptuelle conduit à une dévalorisation de tout le capital social et institutionnel, de toute l’expérience, positive comme négative, accumulée par les équipes précédentes. Les Agendas 21 locaux dans les collectivités locales, qui permettaient la traduction locale du développement durable ont été abandonnées par Jean-Louis Borloo, qui les considérait trop ‘compliqués’ au profit de plans climat.
Cela conduit la France à être prise à contrepied, puisque Rio 2012 a placé le développement durable comme le cadre des objectifs globaux de développement dans l’agenda 2015-2030. La France ne doit pas se limiter à capitaliser sa présidence de la COP21 et l’accord de Paris (que notre pays ne met même pas en œuvre) mais doit aussi assumer son leadership dans le développement durable.
La question des exigences de court terme qui empêchent les responsables politiques de penser et d’agir pour le long terme a été largement commentée au moment du départ de Nicolas Hulot. Ce qui pose la question de la continuité des politiques publiques. Leur évolution devrait reposer sur l’évaluation des résultats et non pas la mode politique ou des discours de campagne électorale. Si des engagements de long terme sont contractés, il faut définir des trajectoires précises avec des objectifs annuels, et mettre en place un dispositif d’évaluation pour corriger les trajectoires en cas de non réalisation. Le domaine du nucléaire a été symptomatique. La mandature Hollande légifère pour fixer des objectifs de réduction, sans trajectoire crédible des solutions alternatives et laisse le gouvernement suivant, et précisément Nicolas Hulot porter la responsabilité de constater cette impasse.
L’urgence environnementale implique trois changements dans la pratique politique :
Un changement institutionnel : les règles et les systèmes d’évaluations (implicites et explicites) doivent être questionnés par rapport à l’exigence du développement durable et évoluer en profondeur, tout en considérant les acquis et le capital d’expérience disponible sur le sujet. Tous les ministères doivent avoir leur feuille de route de la durabilité sur laquelle ils doivent rendre compte.
L’obligation de résultats : le monde politique est habitué à se limiter à des obligations de moyen. Des petits pas dans la bonne direction leur suffisent à apaiser leur conscience et fonder leur communication, sans se poser la question de savoir si ces pas sont suffisants. La notion de limites écologiques planétaires et locales impose que la somme des pas permette d’atteindre les objectifs environnementaux.
L’appui sur les connaissances scientifiques : les politiques ne peuvent pas limiter leur réponse à la demande de la société qui est largement ignorante des enjeux. Sans le GIEC il n’y aurait pas de discussion sur le climat. On ne demande pas aux riverains ou au responsables politiques de donner leur avis sur la résistance d’un pont mais aux experts qui fondent leur avis sur des connaissances scientifiques et techniques éprouvées. Les populistes du Mouvement 5 étoiles s’y sont risqués en dénonçant la petite fable [qui annoncerait] l’effondrement imminent du pont Morandi de Gênes, avec le résultat qu’on sait. De même pour évaluer la durabilité environnementale, la résilience de la société au changement climatique, on ne peut s’appuyer sur l’opinion publique, les sondages ou les médias qui les relaient mais sur des faits et des données scientifiques. Il ne s’agit pas ici de la science économique qui certes doit contribuer (1) mais aussi conjointement d’écologie, de climatologie, de sociologie…. c’est-à-dire d‘une science de la science de la durabilité comme le propose l’UNESCO.
Pour combler cette ‘rationalité limitée’ de la société, les pouvoirs publics doivent être redevables sur les processus de décision et expliciter les faits et les données scientifiques sur lesquelles ils les fondent. Les uns comme les autres doivent démontrer qu’ils travaillent bien à l’intérêt public et dans le cadre de l’objectivité scientifique et ne sont pas captés par des intérêts particuliers. Mais ce processus ne peut pas être seulement descendant, il doit aussi être ascendant pour faire valoir les vécus, les attentes, les expériences et les connaissances du terrain. Attaqué par les populismes de droite comme de gauche qui nient la légitimité des institutions, celles-ci doivent mener un processus de reconquête en renforçant leur crédibilité, leur légitimité et leur pertinence.
La crédibilité est relative à la perception par les acteurs de la qualité, de la validité et de la robustesse de la décision et de la connaissance qui la fonde.
La pertinence fait référence au fait que la décision ou la connaissance sont pertinentes pour une situation donnée et bien adaptées pour obtenir les objectifs annoncés.
Enfin, la légitimité reflète le sentiment que le processus politique a pris en compte la diversité des intérêts et des systèmes de valeurs et de croyances des parties prenantes.
Le développent durable, notamment l’objectif zéro carbone ou la régénération des écosystèmes, repose sur la diffusion massive d’innovations techniques et sociales, de solutions développées à toutes les échelles industrielles comme à l’échelle associative et communautaire. Mais le développement, durable impose aussi la gestion de la destruction créatrice qui accompagne ces innovations. Il s’agit d’un côté de maximiser la valeur créée par le changement, et de l’autre compenser les pertes en reconvertissant les perdants. La pertinence fait référence au fait que la décision ou la connaissance sont pertinentes pour une situation donnée et bien adaptées pour obtenir les objectifs annoncés. Enfin, la légitimité reflète le sentiment que le processus politique a pris en compte la diversité des intérêts et des systèmes de valeurs et de croyances des parties prenantes.
Les changements comportementaux des consommateurs peuvent être envisagés dans la mesure où ils sont justifiés et compris, que les injonctions institutionnelles soient crédibles, légitimes et pertinentes, et qu’elles s’insèrent dans de nouveaux services créateurs de valeur partagée. En un mot qu’elles soient un progrès.
(1° Christian Brodhag. Négationnisme ou hégémonisme économique, Le Monde Economie, 21 09 2016 http://www.brodhag.org/economisme/.