La chronique de Christian Brodhag
Durabiliste, président du Pôle Eco-conception
L’abandon des hausses du carburant est une calamité pour ceux qui ne raisonnent qu’au niveau macroéconomique. Pour ceux qui ne disposent que d’un marteau, le monde ne ressemble qu’à des clous. La doctrine du prix unique et élevé du carbone prétend permettre un ajustement« rationnel» des acteurs économiques et la diminution automatique des émissions., La décision est simple à prendre au sommet de l’Etat. Cette réponse à l’enjeu climatique se combine au nucléaire, la seule énergie décarbonée que l’on peut mobiliser par une décision unique et centralisée.
Bien entendu il faut une cohérence institutionnelle dans le temps et dans les objectifs. Le volteface sur le diesel est dû à l’abandon du seul calcul énergétique (donc climatique) pour aussi prendre en compte l’impact sur la santé (1).
Mais le moteur du changement n’est pas uniquement descendant. Des solutions émergent de la société, des collectivités et des entreprises. Ces solutions se développent dans des systèmes d’innovation qui combinent la coopération de nombreux acteurs. C’est une mécanique faite d’engrenages, de cliquets, de leviers, de lubrification… qui tiennent de l’horlogerie et pour laquelle l’usage du marteau est même dangereux. Les institutions doivent faciliter et accompagner ces évolutions et ne pas les ignorer.
L’innovation n’est pas seulement technologique, elle touche aussi l’organisation sociale, les modèles, économiques, elle mobilise les outils numériques. Elle peut être massivement frugale et ne pas s’appuyer sur des hautes technologies sophistiquées. Elle peut s’inscrire dans l’économie de fonctionnalité, créer de la valeur avec l’ensemble des acteurs de la chaine de la valeur, pour fournir des services au lieu de vendre des produits(2)…
Que mille transactions se fassent, que mille initiatives se prennent, que mille contrats se nouent… ils ne pourront pas être contrôlés de façon centralisée. Les technologies de l’information permettent aujourd’hui la personnalisation de masse c’est-à-dire la production industrielle de solutions individualisées (3). Les territoires s’avèrent la bonne échelle pour développer des initiatives. Enfin, dans une perspective d’innovation ouverte, il s’agit d’associer les citoyens et les consommateurs en amont dans la définition des objectifs et des moyens et en aval dans l’évaluation.
Considérer qu’il doit y avoir nécessairement un coût additionnel des solutions environnementales et de la nécessité de prendre en charge ce surcoût environnemental, encourage des comportements de rente et des situations acquises. L’éco-innovation doit viser à la fois le coût inférieur au marché, la performance environnementale multipliée par 4, voire 10, et le service apporté supérieur. Tout cela en même temps. C’est moins une question de marché que d’investissement dans ces innovations.
Penser le changement avec la société est possible, mais c’est un changement institutionnel qui ne peut être imposé par en haut. Il faut des institutions ouvertes agiles pour faciliter cette mutation profonde.
Le débat public qui s’ouvre est celui de tous les dangers. Sera-t-il celui des solutions, des initiatives pour relever les défis collectifs ? Ou sera-t-il, plus probablement, uniquement celui des revendications ?
Il est nécessaire de développer une approche institutionnelle qui combine les outils réglementaires, financiers et informationnels, cette combinaison doit être adaptée à chaque cas, évaluée et évolutive. Elle doit encadrer les processus d’innovation. Elle doit s’inscrire dans le développement durable qui s’intéresse «aux besoins essentiels des plus démunis»
La consolidation des doléances et des désirs individuels attisés par les médias sociaux pose trois problèmes :
- Un affaiblissement supplémentaire de la légitimité institutionnelle.
- Un déficit de perception des ordres de grandeurs des enjeux notamment en matière environnementale, qui fondent justement nombre de règles institutionnelles.
- La frustration et l’aggravation du fossé entre les aspirations illimitées et la réalité des moyens et des ressources d’une planète limitée.
Pour nourrir un débat public éclairé, il serait essentiel de lui fournir des données factuelles, les plus incontestables possibles, et qui rendent visibles des dimensions qui échappent à l’expérience immédiate
Les réseaux sociaux relaient indifféremment les messages disposant d’une légitimité institutionnelle ou basés sur des faits scientifiquement établis et les opinions individuelles les plus farfelues. Les réseaux sociaux ne font pas le tri entre des faits réels et vérifiés et des infox, informations fausses ou biaisées. Ils vont même plus loin et consolident dans des réseaux une suspicion généralisée contre les institutions et les connaissances, qui seraient aux mains d’une élite coupée du peuple ou même ourdissant un complot contre lui. Pour nourrir un débat public éclairé, il serait essentiel de lui fournir des données factuelles, les plus incontestables possibles, et qui rendent visibles des dimensions qui échappent à l’expérience immédiate. Des données environnementales par exemple : évolution des émissions de gaz à effet de serre, par secteur et par territoire, perte de biodiversité et artificialisation des terres. Des données économiques et sociales comme celles portant sur la santé. Il faut des citoyens informés et acteurs du changement.
(1) Les connaissances épidémiologiques sur les particules étaient disponibles depuis au moins une quinzaine d’années mais l’Académie de médecine bataillait alors clans la Commission Coppens pour refuser de faire le lien entre santé et environnement dans la charte de l’environnement. (
2) J’ai développé cette question dans ces colonnes « »Le cycle de un enjeu économique stratégique » Valeurs Vertes n°155
(3) C’est l’objectif de Construction21 d’offrir un outil pour cela. www.construction21.org