Les analyses de l’apport de Jacques Chirac pour l’environnement et le développement durable sont trop souvent limitées à la formule la maison brûle formulée à la tribune du Sommet mondial du développement durable de Johannesburg en 2002. Je tiens à témoigner directement de sa pensée structurée sur le développement durable et d’objectifs politiques cohérents qu’il a conduit en dépit des réticences, voire des oppositions de la classe politique y compris dans son propre camp.
Dans son discours de Johannesburg, il cite cinq chantiers prioritaires : le changement climatique, l’éradication de la pauvreté, la diversité, les modes de production et de consommation durables, et la gouvernance mondiale pour gérer les biens publics mondiaux.
Il adhère au concept de développement durable notamment sur sa vertu d’intégration, en promouvant par exemple conjointement la diversité biologique et culturelle, « toutes deux patrimoine commun de l’humanité, toutes deux menacées. » La France a abandonné ce champ, c’est la Francophonie qui a fait intégrer dix ans plus tard la diversité culturelle dans le texte de la conférence de Rio 2012. Il déclare « l’invention du développement durable est un progrès fondamental au service duquel nous devons mettre les avancées des sciences et des technologies, dans le respect du principe de précaution. »
Son engagement personnel sur le développement durable a conduit ses successeurs à se démarquer en abandonnant le développement durable au profit de l’environnement avec le Grenelle de Sarkosy, la transition écologique pour Hollande avec une focalisation sur le climat, et aujourd’hui la transition écologique et solidaire.
Sur le plan institutionnel international, Jacques Chirac propose alors que la Commission du développement durable des Nations Unies soit investie d’une fonction d’évaluation par les pairs des stratégies de développement durable des pays. Il déclare que la France est prête à se soumettre la première à cette évaluation. Cette proposition n’a pas été retenue dans le texte de Johannesburg en 2002 mais sous une forme faible à Rio en 2012.
C’est Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre de Jacques Chirac, qui a permis l’élaboration de la première stratégie de développement durable, et qu’elle soit soumise à une revue par les pairs. Ce processus que j’ai mené alors comme délégué interministériel, a été partagée avec les autres pays lors d’une réunion aux Nations Unies et reprise notamment par la Francophonie. Mais la France n’en a gardé aucune mémoire.
J’ai rencontré plus directement Jacques Chirac dans le cadre de la rédaction de la Charte de l’Environnement qui a introduit l’environnement dans le bloc de constitutionalité au même niveau que la déclaration les droits de l’homme. Ce qui lui a attiré les foudres de Robert Badinter. Quand les membres de la Commission Coppens, qui a préparé le texte, lui ont présenté leurs conclusions, Jacques Chirac a arbitré sur les deux questions qui ne faisaient pas consensus : la santé et le principe de précaution. Alors que l’académie de médecine notamment s’opposait à établir un lien entre santé et environnement, j’ai eu la responsabilité de plaider l’inverse devant le président. Ensuite Dominique Bourg a plaidé pour le principe de précaution contre la majorité des membres de la commission. Sur ces deux points Jacques Chirac a tranché positivement, comme en témoigne le premier article de la charte « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et l’article 5 le Principe de précaution. Mais on retrouve dans la charte des éléments en droite ligne de son discours de Johannesburg : à l’article. 6 « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable » ou l’article 9-« la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement ».
C‘est l’engagement personnel de Jacques Chirac qui a fait progresser le droit en la matière, il était en avance sur la classe politique d’alors et sur les présidents qui lui ont succédé.
Pour faire passer la charte il a dû jouer de procédés très politiques. Il s’est appuyé sur l’engagement une jeune députée : Nathalie Kosciusko-Morizet. Et pour vaincre le verrou du Président de la commission des lois Pascal Clément, il lui a promis le poste de garde de sceaux. Promesse tenue la charte a été adoptée le 1 mars 2005 et Pascal Clément nommé le 2 juin 2005. Sur le même registre, pour marquer son opposition à Jacques Chirac et à la charte de l’environnement, Nicolas Sarkozy a nommé au conseil constitutionnel Michel Charasse qui avait mené une campagne, assez vulgaire d’ailleurs, contre la charte de l’environnement. Ce qui explique peut-être, à cette période, une certaine timidité dans l’application de la charte par le dit Conseil.
Beaucoup des thèmes portés alors par Jacques Chirac il y a plus de 15 ans sont aujourd’hui des évidences. Ceux qui critiquent son immobilisme sont peut-être ceux qui ont combattu alors son action.