Les inquiétudes sur les changements climatiques ou la biodiversité sont confirmées par les experts.
Les derniers avis des scientifiques (IPCC) reprise par le Conseil de l’Environnement de l’Union européenne du 10 mars dernier confortent la nécessité de la diminution par 2 des émissions mondiales de gaz à effet de serre à l’horizon de 2050. L’objectif est de limiter à 2°C maximum l’augmentation de la température moyenne, et pour cela de rester en dessous de la concentration de 550 ppm de CO2 soit le double de la teneur enregistrée avant la révolution préindustrielle. Mais cette diminution globale par deux ne doit pas entraver le développement des pays les moins avancés. La déclaration de Rio parle de responsabilités communes mais différentiées. C’est pourquoi un objectif de réduction de 60 à 80% est nécessaire pour les pays industrialisés. Il s’agit d’un changement profond pour rendre viables à long terme les modes de développement des pays industrialisés. Il faut aussi assurer les transferts de technologies permettant aux pays en développement d’adopter un mode de développement propre et sobre.
Apporter une solution aux changements climatiques c’est aussi s’inscrire sur un plan politique, et poser des problèmes éthiques de responsabilité et concret de recherche de solutions techniques et économiques.
La diversité biologique est, elle aussi, en péril. La conférence de Paris qui s’est tenue au mois de janvier dernier a confirmé que « les espèces s’éteignent actuellement dans le monde à un rythme environ 100 fois supérieur au taux naturel moyen, et des dizaines de milliers d’autres espèces sont d’ores et déjà condamnées à une extinction future à cause de la destruction récente de leurs habitats »
« Ces causes se manifestent par la perte, la fragmentation et la dégradation des habitats, par la surexploitation des ressources biologiques, par l’introduction d’espèces exotiques, par la pollution du sol, de l’eau et de l’atmosphère, et, plus récemment, par les signes d’un changement à long terme du climat. »
Or la diversité biologique « est une source de valeurs esthétiques, spirituelles, culturelles et d’agrément. La biodiversité fournit des biens qui possèdent une valeur d’usage directe, tels que nourriture, bois, textiles et médicaments et elle soutient et améliore des services écologiques dont les sociétés humaines dépendent souvent indirectement, comme la production végétale et animale, la pollinisation des plantes cultivées, le maintien de la qualité des eaux et de la fertilité du sol, la séquestration de carbone, le recyclage des nutriments, la protection contre les pathogènes et les maladies et la résistance des écosystèmes aux perturbations et aux changements environnementaux ».
Cette érosion de la biodiversité est due à des « facteurs de nature démographique, économique et institutionnelle, notamment une demande croissante de terres et de ressources biologiques suite à la croissance de la population humaine, de la production, de la consommation et du commerce mondiaux, associée à l’incapacité des personnes et des marchés à prendre en compte les conséquences à long terme des changements environnementaux et l’ensemble des valeurs de la biodiversité. » Là aussi les solutions sont de nature éthique, politiques, techniques.
D’autres questions comme l’impact des pollutions sur la santé ou la crise d’accès en qualité ou en quantité à l’eau complètent aussi ce tableau. Ces problèmes sont liés entre eux, le changement climatique induit par exemple une contrainte supplémentaire sur l’eau et sur les écosystèmes.
C’est à ces enjeux que tente de répondre le développement durable. Au niveau international il s’agit de mettre en œuvre des institutions spécialisées et politiques de coopération. Aux niveaux nationaux il faut des décisions politiques courageuses pour tenir compte des intérêts des générations futures. Enfin il n’y aura des nouveaux modes de production que s’il y a en face de nouveaux modes de consommations.
La clé principale est donc dans chacun d’entre nous. Nous devons retrouver une cohérence entre nos diverses aspirations : écologiques, sociales et économiques. L’être humain doit renouer ses liens avec la nature. Le citoyen doit pouvoir être sensibilisé, informé et participer aux décisions qui l’engagent. Le consommateur doit disposer des informations et des produits pour exercer de façon responsable son pouvoir d’achat. L’investisseur doit avoir accès aux informations sur le comportement des entreprises en matière de développement durable.
La survie des écosystèmes et de l’homme qui en fait partie passe par un changement des valeurs collectives et individuelles. C’est l’objectif de la charte de l’Environnement.
En mettant l’environnement dans le même socle constitutionnel que les droits de l’homme de 1789 et ses prolongements économiques et sociaux de 1948, notre pays a donné un signal politique fondateur, qui est reconnu comme tel par la communauté internationale. La charte de l’environnement a été adoptée par le congrès le 28 février et promulguée le 1er mars par le Président de la république. Au-delà de l’aspect symbolique des nouvelles valeurs qui fondent le pacte républicain, la charte de l’environnement est aujourd’hui un nouveau fondement sur lequel nos institutions et nos débats vont devoir s’organiser.
En préambule la Charte de l’environnement, désormais inscrite dans la Constitution française, part de quelques considérants :
« que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ;
« que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
« que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
« que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;
et plus loin
« qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ;
Je rappellerai trois des dix articles de cette charte :
« Art. 1er. – Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé
« Art. 2. – Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.
Et enfin l’article 8 : « l’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.
Comme membre de la Commission Coppens qui a rédigé le projet amendé par les députés, je peux vous faire état de certains débats. Le premier est la place singulière de l’environnement dans le développement durable. Ce n’est pas une charte du développement durable, mais le pilier environnemental qui complète les deux autres textes que j’ai cités qui fondent les droits politiques, économiques et sociaux. Il introduit une dimension nouvelle celle des droits qui doivent être contrebalancés par des devoirs, cette notion n’était pas aussi claire dans les textes précédents. Ce texte n’est pas neutre, il tranche sur certains débats, en établissant par exemple le lien entre l’humanité et les écosystèmes, ou entre santé et environnement. Il énonce aussi une version active du principe de précaution.
Quand on parle d’éducation à l’environnement vers un développement durable on doit donc trouver toutes ces dimensions ! Mais le développement durable conduit à un dépassement des perceptions classiques de l’environnement et jette bien les bases d’une citoyenneté nouvelle.
Le développement durable conduit d’abord à élargir l’approche environnementale
Le premier dépassement conduit à accorder un intérêt aux faibles niveaux de pollution qui peuvent avoir des effets cumulatifs ou lointains dans le temps ou l’espace (gaz à effet de serre par exemple) ce qui nous éloigne de ce qui « environne » l’homme, et les seuls éléments qui peuvent être directement perceptibles. En effet sauf exception locale particulière beaucoup des problèmes environnementaux globaux qui sont la cible du développement durable (climat, biodiversité…) ne sont pas perçus au niveau local avec la même urgence.
Le deuxième dépassement est que l’environnement est considéré comme une ressource, un bien public, qui est la base même du développement. C’est ainsi que sa valorisation est indissociable de sa protection. Ces deux changements sont en relation dialectique : ce qui peut apparaître comme utilitariste dans le second est contrebalancé par le premier. La complexité et les incertitudes sur les effets lointains induits par de nos actes, nous empêchent de limiter notre raisonnement à la seule valorisation immédiate de l’environnement. Cette valorisation doit être envisagée à quatre niveaux :
– les valeurs directes, les plus utilitaristes, qui considèrent les usages consommateurs et non-consommateurs de l’environnement,
– les valeurs indirectes apportées par les fonctions et les services des écosystèmes, ce qu’on appelle aussi les services écologiques,
– les valeurs d’option : qui considèrent les usages et applications futures possibles, c’est à dire ce qui pourrait être des valeurs directes pour les générations futures,
– les valeurs de non-usage enfin qui s’attachent aux valeurs culturelles, esthétiques, patrimoniales, de legs aux générations futures.
Mais le développement durable implique aussi un dépassement sur les plans des procédures à mettre en œuvre :
Le troisième dépassement est celui de la gouvernance qui intègre de nouveaux acteurs à la décision. La gouvernance a une composante politique, celle qui permet la prise en compte de l’intérêt des parties intéressées, et une composante cognitive, par apport mutuel d’information et d’expertise scientifique. La connaissance est donc une condition de l’exercice de la citoyenneté.
Le quatrième qui lui est lié est l’obligation redditionnelle (les anglosaxons parlent d’accountability), celle de rendre compte grâce à des systèmes de rapportage (reporting) ou d’accès à l’information. Cet accès à l’information environnementale est sans doute un apport du droit de l’environnement au développement durable, au point où cette obligation de rendre compte s’élargit pour les entreprises aux composantes sociales et économiques.
Le cinquième est ce qu’on appelle le renforcement de capacité des autres partenaires qui est la base d’approches partenariales. Il ne s’agit pas de chercher à exercer des rapports de force pour avoir accès aux ressources de l’environnement mais d’en garantir aussi l’accès aux acteurs faibles, démunis voire absents comme les générations futures.
Le sixième est celui de la recherche systématique de l’amélioration continue dans l’usage des ressources environnementales. Il s’agit plus de s’appuyer sur la recherche de l’innovation et de l’excellence que sur la contrainte (administrative, réglementaires, fiscale).
Tous ces éléments imposent d’introduire dans les approches de l’environnement une composante politique tournée vers l’action.
Le septième dépassement, qui est celui auquel on pense en général en premier quand on évoque le développement durable, est l’intégration. Le principe d’intégration considère qu’il est nécessaire d’envisager les problématiques économiques, sociales et environnementales, voire culturelles de façon intégrée et non plus de façon sectorielle. Cette intégration s’appuie en général sur la recherche de stratégies et de projets qui soient gagnants sur chacun de ces points, c’est-à-dire qui prennent en compte les intérêts d’un plus grand nombre de parties intéressées. Il conduit à des décloisonnements comme le fait que certains objectifs de santé et d’hygiène passent par des politiques dans le domaine de l’éducation et de l’assainissement. Dans le domaine de la connaissance ce principe implique des approches transversales et pluridisciplinaires nouvelles.
L’éducation à l’environnement est donc un des éléments clés de la capacité collective à orienter les sociétés vers le développement durable.
Je finirais par quelques questions qui ne me semblent pas actuellement suffisamment maîtrisées.
La première est sans doute le choix de concentrer les efforts sur la seule cible « jeunes » dans le système éducatif limite l’effet potentiel de cette éducation à la formation d’une classe d’âge. Or les décideurs, élus, professionnels en charge actuellement des décisions pour l’avenir ne font que très peu l’objet, en même temps, d’actions de formation inscrites dans la perspective du développement durable. Les médias ne jouent pas de rôle d’éducation, qui repose sur la mise en perspective, le recul et l’esprit critique. Il faudra mobiliser donc les ressorts de l’éducation populaire, de la formation professionnelle, c’est-à-dire de l’éducation tout au long de la vie.
Faute de cette approche, les jeunes trouveront que le discours qui leur est tenu est trop différent de la réalité dans laquelle ils baignent, et il serait dangereux de compter sur eux pour éduquer leurs parents.
La seconde serait d’opposer l’objectif de l’acquisition du « socle commun de connaissances » et des approches s’appuyant sur la transversalité, le décloisonnement disciplinaire et les approches systémiques comme le développait Edgar Morin dans les 7 savoirs du futur.
La troisième est d’assurer une véritable synergie entre l’éducation à l’environnement et l’éducation au développement. Les deux composantes du développement durable, environnement et développement, ont en effet toujours de la difficulté à s’intégrer et pas seulement dans l’éducation.
Vous me permettrez d’user d’une image que je ne peux pas vous montrer, celle de la confluence entre les Rio Solimoes et Rio Negro qui vont former l’Amazone. Le premier est blanc le second est noir, trace des terrains qu’ils ont traversés et des natures différentes des sédiments qu’ils charrient. Pendant des kilomètres leurs eaux ne se mélangent pas. En aval de la confluence, nous sommes dans le lit de ce qui s’appelle l’Amazone mais les eaux restent encore séparées, une partie blanche l’autre noire. Nous en sommes là le développement durable est maintenant un concept unificateur mais les cultures qui prétendent le former restent encore trop étrangères les unes aux autres.