Les limites du rapport Blanchard Tirole
Le rapport de la Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole entend relever trois grands défis économiques de notre temps : le climat, les inégalités et l’insécurité, et le changement démographique.
Le choix de limiter les questions environnementales au seul climat est problématique car il conduit à abandonner les autres… Il est en retrait par rapport à la taxonomie européenne qui va organiser la relation entre finance et environnement, en retenant six objectifs environnementaux : l’atténuation du changement climatique ; l’adaptation au changement climatique ; l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines ; la transition vers une économie circulaire ; la prévention et la réduction de la pollution ; la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
La forte dimension systémique de ces questions étroitement liées rend nécessaire le déploiement de processus d’évaluation et d‘outils politiques diversifiés et complémentaires.
Or le rapport présente la tarification du carbone comme l’outil ultime, en focalisant toutes ses critiques sur les défauts des mesures sectorielles : inefficacité économique, effets d’aubaine, fuites… Pour ceux qui ne disposent que d’un marteau tout ressemble à un clou. La rationalité économique vue sous le seul angle de la monétarisation ne s’applique facilement qu’au climat, alors il est tendant pour ses défenseurs de limiter leur champ de considération à la seule question climatique.
Seconde limite est la focalisation du rapport sur les technologies et l’innovation à caractère disruptif, en laissant de côté les innovations low tech et celles concernant l’organisation et les modèles économiques et sociaux.
En fait le rapport apporte un éclairage scientifiquement établi pour gérer certaines technologies et les échanges internationaux. Il est en effet tout à fait légitime de financer le développement des technologies stratégiques du photovoltaïque, du stockage de l’électricité, du vecteur hydrogène ou de la séquestration du carbone. Il est de même tout à fait fondé de mettre en place une taxe carbone aux frontières qui puisse contrebalancer les prix du carbone, différents selon les pays. Il est enfin tout aussi nécessaire d’appliquer une évaluation économique attentive des actions climatiques qui peuvent engendrer selon le rapport un coût allant de 5 euros à 1 000 euros par tonne de CO2 non émise.
Mais la transition écologique ne peut se limiter au seul haut de la pyramide et aux régulations mondiales, elle doit entrainer la base dans les territoires où se jouent la plupart des solutions.
L’économie circulaire, les énergies renouvelables, les service issus des écosystèmes, la rénovation des bâtiments, les infrastructures urbaines, les réseaux intelligents… toutes ces questions concernent des opérations de faible taille qui sont ancrées dans les territoires et qui abordent le plus souvent l’ensemble des questions environnemental et leur interaction avec la société. Il s’agit de développer de systèmes d’innovation régionaux et locaux et d’y créer et partager les connaissances.
Sur le plan de la théorie économique, c’est une autre école de pensée qu’il faut mobiliser pour aborder ces questions : l’école néo-institutionnelle, avec Elinor Osrom, autre prix Nobel, sur la gestion des communs et les ressources locales, ou Paul DiMaggio et Walter Powell, sur la question des changements institutionnels.
Relever le défi de la transition écologique et du développement durable passe en effet par des changements institutionnels dans les règles et comportements adoptés, et les connaissances mobilisées par les acteurs. Ces changements ont trois origines qui se combinent et structurent ces systèmes d’innovation :
- Politique : provenant d’institutions internationales et nationales : lois et politiques nationales, codes énergétiques obligatoires …
- Normative : grâce à des normes élaborées par diverses organisations industrielles, techniques ou par la société civile
- Mimétique c’est-à-dire en adoptant des solutions validées par des processus sociaux ou scientifiques, notamment pour l’innovation frugale.
Le fondement scientifique, pour ne pas dire idéologique, du rapport Blanchard Tirole entraine une cécité vis-à-vis de questions essentielles, ce qui en réduit considérablement la portée, quelques soient les arguments d’autorité dont il peut se parer.