Il y a 80 ans naissait Mario Molina, disparu en 2020. Ce chimiste mexicain a découvert que les chlorofluorocarbures (les CFC) détruisaient la couche d’ozone. Cette découverte lui a valu, conjointement avec Paul Josef Crutzen et Frank Sherwood Rowland, le prix Nobel de chimie en 1995.
Cette découverte a été à l’origine de la convention de Montréal qui a banni l’usage de ces molécules et sauvé la couche d’ozone et par là même éloigné un risque gravissime pour la vie sur terre.
La lutte pour la protection de la couche d’ozone apparait souvent comme une victoire exemplaire de décision politique mondiale fondée sur la science environnementale qui impose des contraintes aux entreprises. Cet exemple est souvent proposé comme un exemple à généraliser sur les autres questions environnementales globales, comme bien entendu le changement climatique.
Le succès rapide de la réglementation pour la protection de la couche d’ozone est en fait dû à une conjonction particulière des intérêts des grandes entreprises multinationales avec l’intérêt collectif. Les brevets des produits incriminés tombaient dans le domaine public et donc allaient pouvoir être produits partout et par toutes les entreprises et pays (en développement notamment) sans redevance. Les entreprises avaient un intérêt économique stratégique pour substituer les anciennes molécules par de nouvelles couvertes par des brevets.
La situation est bien différente pour le climat. Il faudrait maintenir en terre 70 à 80% des réserves connues de combustibles fossiles. C’est-à-dire détruire délibérément la valeur potentielle du portefeuille des multinationales pétrolières, mais aussi la ressource de nombreux pays producteurs.
Il n’est pas étonnant qu’ils s’opposent à la transition et à la décarbonisation de l’économie.
Cette question a été théorisée il y a près d’un siècle par Joseph Schumpeter sous le vocable de la destruction créatrice. L’innovation crée de la valeur dans l’économie mais détruit les productions obsolètes. La dynamique du capitalisme, repose sur le fait que la production de richesse est supérieure à la destruction, sans s’intéresser aux conséquence économiques et sociales de cette destruction.
Au-delà des régulations politiques mondiales, la question de la balance entre d’un côté la création de valeur par une nouvelle économie décarbonée et respectueuse de la biodiversité, et de l’autre la destruction de valeur dans l’ancien modèle, est une question clé rarement abordée de front.
Or le rapport de force est asymétrique, une grande partie des solutions sont locales et décentralisées comme les énergies renouvelables, l’économie circulaire et des ressources comme l’eau, les solutions fondées sur la nature, la rénovation des bâtiments… Toutes solutions où la création de valeur est majoritairement locale. Leur développement est inhibé par les multinationales, mais aussi par certaines entreprises nationales, qui ne peuvent gérer et tirer de la valeur que d’unités de production de taille « industrielle ». Les coûts de transaction avec les territoires sont considérés comme trop élevés. La priorité donnée en France au nucléaire et à la promotion de grandes installations d’énergie renouvelable relève de cette conception.
L’innovation technologique et sociale, la création et le partage de valeur sur le territoire, la connexion des transitions écologiques et numériques, passe par des systèmes nouveaux de gouvernance des territoires, de management et d’évaluation. Cette réflexion sur les Villes et Territoires Durables et Intelligents est en plein essor dans le domaine de la normalisation tant aux niveaux français (AFNOR), européens (CEN TC465) qu’international (ISO TC268). Les travaux en cours portent en Europe sur des questions comme la résiliences des villes, les solutions fondées sur la nature ou le jumeau numérique des villes. La Chine a engagé au niveau de l’ISO les travaux pour une norme sur la neutralité carbone des villes.
Outre leurs objectifs de durabilité, ces futures normes auront des effets économiques majeurs sur les niveaux de création de valeur, ce qui nécessite qu’au-delà des seules entreprises technologiques, de nouveaux acteurs participent à ces travaux de normalisation comme les villes, les acteurs des territoires et la société civile. Ce qui n’est pas leur culture en France.
Quelques lectures :
Mieux financer l’innovation pour la transition des territoires. Construction 21
Aidons les perdants de la transition énergétique. Le Monde 4 septembre 2018
Effet de serre et prix à la pompe. Le Monde 9 septembre 2000