Nicolas Hulot a pu contribuer mettre l’écologie au cœur de la campagne électorale. C’est très bien. Certes ses experts auraient du regarder un peu plus la réalité des politiques en cours pour consolider les acquis plutôt que de partir de la table rase. Visiblement ils n’avaient pas lu la stratégie nationale de développement durable, ni les rapports d’avancement, ni même considéré véritablement comment fonctionne une société et ses institutions. La proposition clé de son livre Pour un pacte écologique de Vice Premier Ministre au développement durable risque d’avoir le résultat inverse à celui qu’il imagine. Nous n’avons pas besoin d’un troisième personnage clé de l’Etat qui communique dans les médias au nom des générations futures, mais d’un engagement réel du Président de la république et du Premier ministre. Un Premier ministre venant dialoguer régulièrement avec le Conseil national du développement durable, en ne se contentant pas de lire un discours préparé par les techniciens, me paraît par exemple bien plus efficace.
Mais l’importance médiatique de l’écologie va placer deux autres ouvrages dans la campagne électorale. Deux livres parus en ce début d’année sur des thèses convergentes et radicales, ne laissent la place qu’à la désespérance et pas au projet politique.
Dans le premier Comment les riches détruisent la planète Hervé Kempf pose une question véritable. Elle s’illustre clairement d’ailleurs le concept d’empreinte écologique. Cet indicateur montre qu’un américain moyen consomme 6 fois la surface biologiquement productive disponible en moyenne sur la terre par habitant, un européen 3 fois alors que la moitié des peuples de la planète sont encore en dessous de ce seuil. Certes leurs aspirations de développement les amèneraient à dépasser ce seuil s’ils adoptaient le même type de développement que les pays occidentaux, mais la responsabilité des pays industrialisés est écrasante. D’où par exemple l’objectif de réduction par 4 des émissions en France d’ici 2050. Hervé Kempf a raison sur le diagnostic, mais n’offre pas de solution.
Il critique le concept de développement durable qu’il considère comme l’alibi des gouvernements et des entreprises pour évacuer le gros mot « écologie ». Le mésusage du développement durable ne doit pas le condamner. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. La question n’est pas d’abattre le développement durable mais de se battre pour qu’il ait un contenu. Quand on considère l’inertie des processus internationaux en regard de l’urgence des problèmes, il est impossible de penser créer les changements de visions du monde et les rapports de forces des consensus autour d’une nouvelle voie et apporter des processus et des solutions opérationnelles dans les délais.
Le second ouvrage Le parfum d’Adam de Jean-Christophe Rufin « sonne la charge contre une certaine écologie » selon le Figaro . Il s’agit de mettre en scène d’hypothétiques écologistes radicaux l’idée d’éliminer les pauvres. Même l’ouvrage le plus radicalement provocateur L’humanité disparaîtra, bon débarras ! de Yves Paccalet s’en prenait à l’humanité et au comportement boulimique de l’momo sapiens (demens ?) mais pas aux populations les plus pauvres.
L’eugénisme social ne fait pas partie des scénarios politiques, mais l’horreur politique vend mieux qu’une réflexion approfondie sur le pouvoir. Stephen King vend plus que ne l’a fait par exemple la réflexion sur le pouvoir et la mutation de l’empire des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar.
L’écrivain a toutes les licences, mais il prend le risque de se faire instrumentaliser.
Paris Match saute le pas : « Grâce à Rufin, haut fonctionnaire habitué à fréquenter les cercles du pouvoir, tout sonne atrocement vrai. C’est à la fois un grand roman policier et un passionnant reportage. On est vite à mille lieues des utopies généreuses où de gentils militants battent la campagne. La lutte contre la pauvreté dans le tiers-monde tourne au combat contre les pauvres. Soudain, une certaine écologie révèle son visage affolant. On ne supprime plus les gens pour leurs opinions, leur race ou leur territoire mais, tout simplement, parce qu’ils sont en trop. C’est du cannibalisme new wave, accompli par de pauvres naïfs manipulés qui atteignent l’orgasme en regardant le soleil se coucher sur le désert. Quand on referme ce livre, on ne voit plus du même œil les politiques qui beurrent leur programme d’une bonne couche d’écologie. »
Moi qui fréquente ces lieux, je peux témoigner que cela sonne faux. Qu’il y a des lieux où se construit un avenir.
Je ne peux m’empêcher de rapprocher ce qui se passe aujourd’hui avec ce que dit Luc Ferry dans le Nouvel Ordre écologique en 1992 : « Chacun sait ou finira par savoir que l’écologie, ou du moins l’écologisme, possède des racines douteuses et que les relents pétainistes du terroir n’y sont pas toujours absents. » Ceci avait étayé une campagne de presse « écolos fachos » dont les objectifs étaient clairement politiques, et visaient à imposer Génération écologie proche de François Mitterrand contre les Verts.
La montée des thèmes de l’écologie dans la campagne risque de susciter les mêmes processus, une instrumentalisation des écologistes convaincus et des surenchères verbales.
– Il faut clamer la nécessité d’un développement durable avec un vrai contenu qui réponde par des solutions socialement et politiquement acceptables aux limites de la planète.
– Il faut que l’écologie soit l’affaire de tous et pas la spécialité d’un groupe ou d’une personnalité.
– Mais quand on voit que la Stratégie nationale de développement durable actualisée en novembre dernier n’a suscité aucune analyse ni des médias ni des « écologistes » ;
– mais quand on voit que nos assemblées parlementaires sont dotées d’intergroupes sur des intérêts particuliers comme la chasse ou le vin mais aucun sur l’environnement ou le développement durable,
on mesure le chemin à parcourir pour que le citoyen y voie clair.