Au moment où le débat constitutionnel rebondit en France sur la langue française et sa relation aux langues régionales, on peut s’interroger si l’on doit protéger une langue par la défense juridique ou par l’action. C’est sans doute un mal français de se retrancher derrière les principes et le droit en oubliant de considérer les forces en présence et de s’engager dans l’action.
Bien entendu les principes sont utiles. J’applique scrupuleusement le principe que les délégations françaises dans les organisations internationales parlent uniquement français, la parole internationale de la France est la langue française. Mais c’est un handicap quand il n’y a pas de traduction simultanée. Les organisations internationales ont tendance à attendre que la France prenne en charge ces traductions alors qu’elles devraient systématiquement le faire pour cette langue de travail des Nations Unies. Mais invoquer des principes ne suffit pas, il faut aussi rappeler que c’est équité vis-à-vis des pays francophones en développement que de leur donner accès à l’information.
J’ai été confronté à cette question lors de ma première participation à une commission du développement durable à New York en avril mai 1996. J’ai été immédiatement frappé par l’absence de la langue française dans les réunions de travail (y compris et surtout des ONG au sein du stakeholder forum qui sont la quasi-totalité anglo-saxonnes). Devant mon étonnement, un représentant des ONG françaises me déclare abruptement : « le français n’a pas d’intérêt, il ne se produit rien en français ».
J’ai été plus interpellé que choqué et j’ai été convaincu de l’importance de créer une communauté de travail en français.
Je me rapproche rapidement de l’IEPF avec qui je travaille depuis près de 10 ans et dont je préside aujourd’hui le conseil d’orientation.
La première étape a été de donner accès à la littérature international en français, elle est le plus souvent disponible (avec une qualité de traduction inégale) mais n’était pas accessible sur Internet. En juillet 1998, il y a dix ans, je crée avec Florent Breuil Agora 21. Ce site devient rapidement le site de référence sur le développement durable, n° 1 sur Google place qu’il conservera de nombreuses années, il est aujourd’hui vieillissant mais devrait trouver prochainement un rajeunissement et un nouveau rôle.
Deux Universités d’Eté sont organisées à Saint-Étienne en 1999 et 2000 sur la thématique de l’information et du développement durable, conduisant à la rédaction d’une charte « la Déclaration de Saint-Étienne sur le développement durable et les systèmes d’information, 9 juillet 1999 » et surtout d’un réseau de partenaires dans plus de 20 pays qui sera mis à profit pour la seconde étape.
Vincent Jay et Vincent Gilfaut rejoignent l’équipe début 2000 pour créer le site portail francophone sur le Sommet de la Terre (Johannesburg) en 2002. Il fait près de 2 millions de connexions pendant le Sommet et permet de tester une nouvelle configuration de portail permettant l’administration à distance. Avec l’IEPF et le réseau des partenaires francophones nous déposons une initiative de type II : un système mondial d’information pour le développement durable qui est devenu Médiaterre. Les partenaires ont soutenus dans leur capacité à maîtriser Internet.
François Ossama en est le meilleur exemple, présent dès l’Université d’été à Saint-Étienne en 1999, il a développé au Cameroun un site consacré à la forêt Riddac.org. Ce site a reçu le prix RFI NET AFRIQUE 2006 du meilleur site Internet africain décerné par Radio France International en partenariat avec l’Agence Universitaire Francophone et l’UNESCO. Edito. François Ossama est un des auteurs modérateurs les plus actifs de Médiaterre.
La version 3 de Médiaterre qui vient d’être mise en ligne dans l’esprit du Web 2 marque une croissance qualitative car plus orienté vers l’organisation de communautés et quantitative : 26 portails d’information (17 en 2004) avec 35 modérateurs. C’est aujourd’hui 5818 utilisateurs inscrits, 4 millions de pages consultées au mois de mai 2008 soit plus de 100 000 pages vues chaque jour. Elle permet d’avoir directement accès aux ressources et participe ainsi au renforcement de capacité. La version 3 de la GRI a pu ainsi être téléchargée 415 fois. Le numéro 20 des Cahiers de Global Chance 1961 fois. La thèse d’Aurélien Boutaud a été téléchargée 1797 fois par Médiaterre.
Le succès de Médiaterre est du à plusieurs ingrédients : la qualité technique du système, des règles du jeu favorisant l’esprit coopératif, un soutien indéfectible de la francophonie (IEPF), l’engagement financier de collectivités locales (Saint-Etienne Métropole, Département de la Loire et région Rhône Alpes), et surtout des partenaires, auteurs et modérateurs motivés.
Le chantier à venir : organiser un financement pérenne d’un véritable réseau d’intelligence sur le développement durable dans l’espace francophone et créer sur Agora 21 des espaces coopératifs mêlant connaissances scientifiques, acteurs de terrain et décideurs.