=http://www.agora21.org/entreprisecb/cb1.htm
Le contexte
La session spéciale de l’Assemblée Générale des Nations Unies de juin 1997 a fixé l’ordre du jour de la 6ème session de la Commission du Développement Durable des Nations-Unies. Parmi les 3 thèmes de discussion figure l’industrie. Cette réflexion est dans la droite ligne de l’Agenda 21 (Action 21) de Rio qui proposait dans son chapitre 30 » . le commerce et l’industrie, y compris les sociétés transnationales et les organisations qui les représentent, doivent participer pleinement à la réalisation et à l’évaluation des activités relatives au programme Action 21. » Ce chapitre prend place dans la partie 3 de l’Agenda 21 qui traite des grands groupes c’est à dire des acteurs qui doivent contribuer au développement durable. Les propositions de Rio pour les entreprises concernaient essentiellement le management environnemental des entreprises et l’utilisation de technologies propres ( » écologiquement rationnelles « ). Il insistait aussi sur l’importance du rôle des syndicats (qui ont un chapitre spécial le n°29), des PME et de leur relation avec les grands groupes, sur l’accès au capital… Malgré ces points, force est de constater que la proposition porte principalement sur l’environnement.
La vision environnementale
L’approche la plus courante du développement durable dans le monde économique se résume en effet à l’intégration de l’environnement dans le management des entreprises. Cette approche conduit à appliquer un certain nombre de principes et de mécanismes : participation, transparence, engagements de progrès, certification de démarches environnementales… qui sont en général considérés comme concourant au développement durable. Certaines entreprises ont pris des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre (Les Trois Suisses), d’autres proposent une démarche permettant la préservation de la biodiversité (Yves Rocher). La démarche de certification du management environnemental peut conduire des entreprises à faire certifier leur déclaration environnementale (Rhône Poulenc) dans l’esprit de la norme européenne de Système de Management Environnemental et d’Audit.
La logique qui préside cette approche repose sur l’affirmation, sinon la conviction que performance environnementale est une composante indissociable de la performance de l’entreprise. Nous sommes là au confins de la qualité totale.
La norme ISO 14001 est présentée par certain comme un des moyens de maîtriser au niveau international les délocalisations pour cause environnementale qui conduiraient les entreprises les plus polluantes à s’implanter dans les pays du sud. Cet argument est partiellement juste car la norme ISO 14001 prend comme référence de base la réglementation du pays, il peut y avoir des différences fortes de comportement vis à vis de l’environnement d’entreprises certifiées dans les pays différents. La gestion de la norme par les représentants des entreprises (Allemagne) est aussi un facteur de souplesse par rapport aux pays où c’est l’Etat qui intervient (France). Sans doute un référentiel de comparaison pourrait à terme émerger de la future norme ISO 14031 sur l’évaluation de la performance environnementale. Cette dernière en discussion au sein de l’ISO est trop négligée actuellement en France. Basées dans un premier temps sur une démarche volontaire, les normes de comportement, qui en émergeront, auront un impact important à terme.
Elles reposent finalement sur la nécessité de réconcilier la protection de l’environnement et les activités économiques. Mais cette vision du développement durable est étroite : le développement durable repose sur le trépied économique social et environnemental, auquel doivent s’adjoindre de nouveaux mécanismes de » bonne gouvernance « . Le » contrat de Rio » repose sur l’échange de la protection de l’environnement par les pays du sud contre une solidarité du nord qui devrait soutenir leur développement.
Un nouveau pas est nécessaire la France et l’Europe pourraient se positionner clairement pour l’intégration du thème social dans l’approche du développement durable pour les entreprises. L’homme est au centre du développement durable comme l’énonçait le premier principe de la conférence de Rio.
Intégration du facteur social
Le terme de développement repose à la fois sur une activité économique et sur le développement social (collectif) et humain (individuel). C’est pourquoi le développement durable est plus large que le concept de croissance durable. Les théories du développement endogène font reposer le développement des entreprises sur des facteurs non-économiques : participation à des réseaux, capital humain, formation, ressources d’un territoire… Se nourrissant de l’immersion dans la société l’entreprise doit être responsable de cet » environnement » économique et social qui est donc une condition essentielle d’un développement durable. Selon cette vision l’entreprise du développement durable serait donc une entreprise » citoyenne « . Mais ce terme proposé par le CJD est utilisé avec des significations très variées. Nous allons tenter de le préciser ici.
Chercher un sens
Le développement durable repose sur la recherche de stratégies à multiples dividendes où le développement économique sert à la fois le développement social et humain et la préservation de l’environnement. Un débat est largement ouvert qui porte sur la fin et les moyens : la finalité de l’entreprise doit-elle être comprise comme son développement grâce et pour le marché sous les contraintes environnementale et sociale; ou au contraire elle serait la création de valeurs sociales sous contrainte du marché. Cette question ne pouvant être épuisée, nous tenterons de dégager des stratégies et des actions qui soient acceptables par les tenants d’une ou l’autre thèse.
Il y a par contre plus de consensus sur le fait qu’une entreprise est une collectivité de femmes et d’hommes, et qu’un véritable projet mobilisateur pour l’entreprise dépasse le seul accès au marché, il doit être créateur de sens. Le cadre du développement durable par sa prise en compte du long terme ou de la solidarité interpelle cette création de sens par les entreprises.
Dans cette vision la labellisation environnementale est un moyen et non une fin. Or dans bien des cas l’entreprise s’attache à la mise en œuvre formelle de procédures sans inscrire réellement les objectifs du développement durable dans sa stratégie. La labellisation de procédures internes lui fera oublier les objectifs globaux. Le sous-traitant s’engagera dans une certification ISO 14001 à la demande de son donneur d’ordre. Une entreprise organisera le covoiturage en mobilisant son personnel, mais laissera de côté le transport de ses produits par des poids lourds hors normes. La théorie des dominos qui établit que la multiplication des certifications ISO se fera spontanément par les nécessités de l’accès au marché, risque de conduire à un dévoiement des objectifs.
L’intégration de l’entreprise dans le cadre d’un développement durable repose donc avant tout sur une vision, sur l’affirmation de responsabilités sociales et écologiques de l’entreprise. Les chartes d’engagement des entreprises sont un des moyens de l’affirmation de ces valeurs, qui dépassent la seule mise en place de procédures formelles. Celles ci sont nécessaires mais comme un moyen d’arriver au but et non le but lui même.
Une vision intégrée de l’entreprise
Les trois composantes du développement durable : environnement, social et économique sont présentes dans l’entreprise. L’efficacité économique est sanctionnée par le marché et par les outils de gestion financière. Le bilan social est discuté avec les représentants du personnel. Le management environnemental mobilise ses évaluations et ses procédures. Les éléments disjoints progressent indépendamment, il leur manque le projet intégré qui formerait le bilan de l’entreprise eu égard au développement durable. Leur intégration dans une approche unique serait le moyen de juger la stratégie de développement durable de l’entreprise.
Alors que les approches réglementaires classiques dans le domaine de l’environnement ou du social visent à établir une norme minimale, le développement durable s’intéresse à la progression des entreprises les plus en avance, en tentant de transférer vers l’ensemble des entreprises ces comportements. En prônant la réflexion conjointe sur les modes de production et de consommation le développement durable propose un nouveau contrat entre producteurs et consommateurs contrat qui repose sur une relation de confiance et la transparence.
Figure 1 : les trois comportements et leur régulation
Quand Robert Verrue le Directeur général de la DG XIII informatique énonce quatre éléments conditionnant la compétitivité européenne, il définit bien ce cadre nécessaire à l’évolution vers un développement durable :
» l’aptitude des entreprises à globaliser la prestation tout en la personnalisant – la production de masse fait place à une production sur mesure (…)
le passage d’un logique de propriété à une logique d’usage, où il s’agit d’accompagner, d’assister le client durant la durée de vie du produit ou service ;
le passage d’une relation marchande à une relation plus complexe, où la transaction devient de plus en plus générique, où la confiance a une importance accrue.
le respect du paradigme » compétitivité-environnement » dans le cadre du développement durable (…) L’idée de lier progressivement la fiscalité à l’utilisation des ressources naturelles y fait son apparition. »
Les relations avec les acteurs extérieurs à l’entreprise
Cette relation des entreprises avec la société se décline en relations nouvelles avec des acteurs externes à l’entreprise, ceux que l’on appelle les parties intéressées (ou concernées) (voir Figure 2). Certains de ces partenaires sont impliqués par le biais de relations économiques (contractuelles, financières…) comme les donneurs d’ordres ou les sous-traitants, les transporteurs et traiteurs de déchets, les distributeurs et les clients, mais aussi en émergence les acteurs financiers : actionnaires et investisseurs, les banques et assurances.
Figure 2 : Les parties intéressées au fonctionnement de l’entreprise.
Les modes de production et de consommations sont liés, il ne peut y avoir de production responsable sans consommateurs responsables. De même les acteurs financiers ont une forte responsabilité, c’est à eux de mieux évaluer, dans les bilans, les dépréciations ou les valorisations des capitaux environnementaux et sociaux. La pollution des sols n’apparaît dans le bilan qu’au moment d’un audit de cession par exemple, avec potentiellement une forte dépréciation. Les licenciements secs conduisent à se défaire d’un patrimoine humain, véritable capital pour l’entreprise. Une politique de formation est un investissement productif. Les entreprises ne pourront avoir cette vision intégrée que si les acteurs extérieurs, publics ou privés, y sont sensibilisés.
Les entreprises les plus orientées vers le développement durable doivent pouvoir avoir accès aux financements » En collaboration avec le secteur privé, les gouvernements devraient favoriser la mobilisation de capitaux à risque en faveur des projets et programmes de développement durable. »
L’appartenance au territoire est une composante importante du développement durable. De nouveaux modes de gestion environnementale se mettent en place :
eau et milieux aquatiques : SDAGE, SAGE, contrats de rivières
pollution de l’air en milieu urbain : plan de déplacements urbains, réseaux mesure, loi sur l’air
gestion des déchets : plans régionaux et départementaux
énergie : bois énergie, management par la demande…
établissements classés: commissions locales d’information
Toutes ces approches mobilisent les entreprises dans des approches partenariales ou elles devront communiquer, informer, participer, dialoguer…
Quel rôle pour les syndicats
Si les acteurs externes ont un rôle à jouer, c’est surtout à l’intérieur de l’entreprise que se joue sa participation au développement durable. L’Agenda 21 évoque le rôle des syndicats, en le limitant à l’environnement : » les associations industrielles et commerciales devraient coopérer avec les travailleurs et les syndicats pour améliorer continuellement les connaissances et les compétences afin de mettre en oeuvre des opérations compatibles avec un développement durable. » L’environnement est un facteur de mobilisation du personnel de l’entreprise. C’est d’autant plus vrai que l’on y lie les conditions de travail.
Mais d’autres dimensions du développement durable peuvent être concernées. En développant des liens avec les syndicats des pays du sud avec lesquels leur entreprise est en relation, les syndicats peuvent contribuer à la réduction des écarts.
Le personnel de l’entreprise peut être partie prenante des contacts de l’entreprise ouverte. La prise en charge de l’environnement par les CHSCT a permis à la problématique environnementale de rentrer dans un organisme paritaire. Auparavant l’inspecteur des établissements classés n’était en relation qu’avec la direction de l’entreprise, contrairement à l’inspecteur du travail. Mais cet organisme est sectoriel.
Quel rôle doit jouer le comité d’entreprise comme lieu de discussion sur l’avenir stratégique de l’entreprise. C’est là que doivent s’intégrer les trois dimensions environnementales, sociales et économique de l’entreprise.
Le rôle des PME
» L’initiative des entrepreneurs est l’un des principaux moteurs de l’innovation car elle permet d’accroître l’efficacité du marché, de relever les défis et de saisir les occasions. Les dirigeants des petites et moyennes entreprises, en particulier, jouent un rôle très important en ce qui concerne le développement économique et social d’un pays. » Si l’Agenda 21 cite les PME c’est sous l’angle environnemental, et seulement par ses dirigeants, car bien souvent la représentation syndicale en est absente..
Les petites & moyennes entreprises (PME) de l’Union Européenne représentent 99,8% de l’ensemble des entreprises, 66% de l’emploi et 65% du chiffre d’affaires. Pourtant elles rencontrent des problèmes spécifiques, avec en premier lieu leur difficulté d’accès à l’information sur les normes et les évolutions internationales du fait des stratégies de développement durable. Dans son groupe de travail sur l’emploi la Commission Française du Développement Durable a fait quelques propositions pour les PME :
» (1) Création d’un réseau d’information sur les normes,
(2) Mise en place d’un dispositif d’aide à la mise en conformité aux normes,
(3) Installation de médiateurs de la normalisation,
(4) Appui à la coopération entre les PME du développement durable pour l’élaboration des normes
(6) Soutien et financement des protocoles de coopération entre grandes et petites entreprises. »
Cette dernière proposition rejoint l’Agenda 21 : » Les grandes entreprises commerciales et industrielles, y compris les sociétés transnationales, devraient envisager de passer des accords de participation avec les petites et moyennes entreprises pour faciliter l’échange de données d’expérience en matière de gestion, de développement du marché et de savoir-faire technologique, le cas échéant, avec l’assistance d’organisations internationales. »
Il s’agit bien de définir de nouvelles relations ou la concurrence et le marché restent présent mais la gestion des relations contractuelles sur la durée ouvrent la voie à des domaines de coopération.
Le tiers secteur
De nombreuses activités se trouvent entre le secteur public et le secteur privé. En France beaucoup de structures associatives (loi 1901) ont pour vocation de dispenser des services à vocation sociale ou écologique. Le statut de la loi 1901 sert de cadre à des activités très diverses les unes purement associatives, et les autres commerciales. Des excès d’un petit nombre ont conduit à mettre en cause l’existence même de ces associations.
Dans sa proposition 8 le groupe de travail de la Commission Française du Développement Durable propose de définir un » statut de l’entreprise non lucrative à vocation sociale et écologique » :
» Pour des entreprises positionnées à la fois sur l’insertion ou sur l’innovation sociale et dans le monde marchand, l’application de ce statut permettrait de résoudre le problème de l’inadaptation de la forme juridique d’association loi 1901 aux relations de marché tout en n’assimilant pas totalement ces structures à des entreprises classiques. Dans la mesure où ces entreprises se donnent dès leur origine des contraintes supplémentaires en matière sociale et (ou) écologique, ce statut différencié devrait se traduire par une fiscalité préférentielle (allégement du taux de TVA par exemple). Cette fiscalité constituerait la contrepartie positive des charges additionnelles supportées par ces PME. »
Ce point de vue pourrait être modéré par le fait que l’existence de certaines de ces activités sont dues au fait que les entreprises classiques ont délaissé certaines fonctions, ont abandonné certains rôles. La multiplication des entreprises d’insertion par exemple peut être préoccupante. Surtout si elles ne débouchent pas sur de vrais emplois. Le domaine de l’environnement est particulièrement en cause dans ce domaine. De nombreuses tâches (entretien de rivières, collecte de déchets…) font l’objet de dispositifs précaires sans réel débouché professionnels : CES, emplois d’insertion, emplois jeune…
On pourrait préférer la mise en place de véritables filières professionnelles. Une solution pourrait être que ces entreprises non lucratives à vocation sociale et écologique puissent être filiales d’entreprises classiques qui assureraient ensuite l’insertion dans la vie économique normale.
Conclusion
Le développement durable ouvre des perspectives nouvelles qu’il est nécessaire d’explorer dans le cadre d’un dialogue entre les parties concernées et sur la base de la transparence. On manque actuellement des outils pour évaluer le comportement des entreprises en matière de développement durable.