Après les travaux préliminaires de la Commission de la charte de l’environnement présidée par le professeur Coppens, les arbitrages politiques menés au plus haut niveau et le passage devant de Conseil d’Etat le texte définitif de la charte vient d’être présenté au Conseil des Ministres. Comme toute innovation, elle a surpris et nourri de nombreux débats, le texte court est plus clair et vigoureux que le document produit par la commission Coppens. Il tient en sept considérants et dix articles.
La charte qui devait initialement être adossée à la Constitution selon les propos de Jacques Chirac, sera en fait placée au côté de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. La principale nouveauté réside dans le fait qu’aux notions de droits de l’Homme développés dans ces textes hérités de l’histoire, la charte introduit à la fois des droits et des devoirs.
Avec les droits politiques conquis au moment de la révolution française et les droits sociaux et économiques formalisés au milieu du XXème siècle, la France se dote à l’aube du XXIème siècle d’une troisième génération de droits de l’homme, ceux liés à l’environnement. Après un certain retard dans les engagements internationaux en matière d’environnement et de développement durable, la France reprend l’initiative. Le discours remarqué de Jacques Chirac à la tribune du Sommet mondial du développement durable de Johannesburg a lancé une double impulsion : l’importance de l’environnement et le diagnostic sur la gravité de la situation d’une part et la nécessité de mettre en place des mécanismes multilatéraux pour apporter les régulations environnementales et sociales à la mondialisation.
La posture du multilatéralisme devait tout naturellement conduire la France aux positions que l’on connaît sur le conflit irakien.
Sur le plan de l’environnement la France reprend une forme d’initiative, car si de nombreuses constitutions évoquent déjà l’environnement comme par exemple le Brésil, l’Argentine, et plus près de nous, en Europe, l’Espagne, la Grèce, le Portugal…, c’est en général selon des termes vagues. Le texte proposé par le gouvernement ne se limite pas à de bonnes intentions mais précise les conditions de l’intégration de l’environnement dans les politiques publiques. On ne peut que souhaiter que cette initiative inspire d’autres pays, et surtout trouve un écho dans le projet de constitution européenne.
Le texte marque la prise de conscience, aujourd’hui largement partagée, sur le fait que les systèmes naturels conditionnent l’existence de l’Humanité et que celle-ci a un impact grandissant sur les équilibres écologiques. L’avenir de la diversité biologique, l’épanouissement individuel et les progrès collectifs sont mis en péril par des modes de production et de consommation non durables. Le texte de la charte affirme ce constat et crée les conditions politiques des évolutions nécessaires fondées sur un droit pour chacun à un environnement sain et des devoirs pour tous de le préserver.
C’est bien entendu un signal politique fort avec une forte valeur symbolique, mais il permettra surtout de vérifier que les lois sont compatibles avec les principes fondamentaux de l’environnement énoncés dans la charte. Le Conseil Constitutionnel mettra sans doute un certain temps à développer sa jurisprudence au fil des saisines et des sujets qu’il devra aborder. Le principe d’intégration de l’environnement s’imposera dans l’ensemble des autres lois, car chaque politique publique se devra prendre en compte la protection de l’environnement tout en le conciliant avec le développement économique et social.
Ce texte aura aussi une influence directe sur la réglementation et son application. Le droit à l’information et à la participation du public et des associations par exemple sera ainsi mieux respecté par les administrations.
Parmi les questions largement débattues il y avait la place de la santé qui se trouve consacrée au côté de l’environnement et le principe de précaution. Sur ce dernier point il y avait un fort consensus dans la commission pour considérer le mésusage du principe de précaution, alors que son utilisation devait être limitée au cas de risques graves et irréversibles en présence d’incertitude scientifique. Les uns y voyaient une raison de ne pas retenir ce principe dans la Constitution, les autres considéraient à l’inverse qu’il fallait justement plus de droit pour l’encadrer. Dans le code de l’environnement de Michel Barnier ce principe pouvait être considéré comme un principe d’inaction. Le libellé choisi impose au contraire deux choses fondamentales à la puissance publique : la première est de prendre les mesures provisoires permettant d’éviter la réalisation du risque redouté et la seconde la nécessité de développer les études d’évaluation des risques.
Cette dernière proposition devrait remporter l’adhésion de la communauté scientifique, car elle permettra de renforcer l’expertise scientifique sur les risques. Elle clarifiera aussi la situation des entreprises et des compagnies d’assurances qui sont aujourd’hui obligés de prendre des mesures de précaution dans une incertitude scientifique et juridique.
Il faudra bien entendu modifier la législation pour rendre applicable ces principes. Comme l’évoque le rapport de la commission de la charte, dans les procédures qui donneront un avis scientifique, il faudra trouver un équilibre entre les représentants de la science éclairante et ceux de la science agissante. La science éclairante permet d’établir les diagnostics et d’envisager les conséquences, la science agissante propose les solutions. Les intérêts des membres des commissions scientifiques qui seront consultés sur l’éventuelle application du principe de précaution devraient être transparents de façon à garantir leur indépendance et leur objectivité, c’est-à-dire leur crédibilité.
José Bové tire une partie de la légitimité de son combat du fait des liens trop étroits entretenus par les experts scientifiques qui ont présidé aux décisions en matière d’OGM avec cette technologie. Et donc d’une suspicion généralisée sur le processus de décision, qui finalement retard certaines innovation notamment celle les mieux contrôlées en matière d’environnement, c’est-à-dire, pour les OGM, celles qui n’impliquent pas la dissémination incontrôlée en plein champ. Restaurer la confiance dans l’expertise est une condition de l’apaisement du débat social. Une organisation plus efficace et plus transparente du débat entre les experts, n’aurait pas fait peser sur les politiques la suspicion que l’on connaît dans l’affaire du sang contaminé et aurait accéléré la décision épargnant des nombreuses vies humaines.
On pourra toujours trouver des libellés de lois européennes ou nationales qui vont plus loin que tel ou tel article de la charte, mais en élevant ces principes au niveau constitutionnel et donc s’imposant à l’ensemble des lois la charte marque une considérable avancée. Celle ci ne sera pas bloquante, mais imposera une approche de prévention en amont du travail législatif. Pour les industriels il est moins coûteux de pratiquer l’écoconception et d’intégrer l’environnement en amont de la conception des produits et des services que de s’adapter en aval. De même sur le plan législatif, l’intégration dans la constitution permettra de développer des pratiques d’écoconception des lois et des politiques publiques, le moyen le moins coûteux d’aller vers un développement plus durable.
Avec la stratégie de développement durable arrêtée par le gouvernement le 3 juin, deux pas majeurs sont franchis. Il ne reste que… la traduction en pratiques nouvelles, politiques et moyens budgétaires et humains adaptés, ce qui par les temps qui courent ne paraît pas si aisé. Le projet de budget 2004 et les débats parlementaires nous éclaireront vite sur ces points.