Emmanuel Macron a présenté, à Davos le 24 janvier, une vision de la mondialisation fondée sur une relance des coopérations internationales et du multilatéralisme, et un engagement des entreprises. Sa conception d’une responsabilité environnementale et sociale est « institutionnelle » c’est-à-dire orientée par le cadre multilatéral. Elle correspond à celle qui a fondé la rédaction de l’ISO 26000[1] qui est actuellement en panne.
En effet, pour la seconde fois l’ISO a consulté ses membres sur l’opportunité de réviser la norme ISO26000. 55% ont confirmé le souhaite de conserver l’ISO 26000 en l’état. Élaborée pendant 5 ans et votée en 2010 la norme ISO26000 sur la responsabilité sociétale des organisations aurait pourtant besoin d’une sérieuse actualisation. En 7 ans les pratiques et les enjeux attachés à la responsabilité sociétale ont évolué comme ceux du développement durable.
Sur le plan institutionnel du développement durable d’abord. La conférence de Rio en 2012 et les 17 objectifs de développement durable (ODD) inscrits à l’agenda 2015-2030 précisent et structurent l’approche du développement durable et donc la façon dont les organisations peuvent y contribuer. L’Organisation Post Publication (PPO) de l’ISO 26000 appuyait sur cette base la demande de révision[2].
C’est la GRI, le Pacte mondial et le WBCSD qui ont écrit le guide permettant aux entreprises de contribuer à la réalisation de ces ODD : le SDG Compass. L’ISO a été absent de ce travail. En France c’est EpE et le Global Compact France qui ont traduit le guide SDG Compass en français, à destination des entreprises françaises et francophones[3]. Ni l’ISO ni l’AFNOR se sont impliqués dans ce travail.
Cela tient d’une part à l’absence de dispositif institutionnel pour porter l’ISO26000 ce qui n’est pas le mandat de la PPO, et d’autre part à la séparation entre l’ISO26000 et les Nations-Unies.
Au-delà de cet aspect institutionnel, le président Emmanuel Macron a identifié dans son discours quelques questions qui mériteraient d’être intégrées dans une nouvelle norme ISO 26000.
Le diagnostic du président est que la compétition non coopérative a fragilisé le multilatéralisme. Le comportement des Etats et des entreprises comme passagers clandestins des biens communs explique leur dégradation. Il identifie ainsi des besoins de coopération et d’investissements dans les biens communs tant aux niveaux des Etats que des entreprises. En insistant sur le partage de valeur il donne une légitimité aux processus de création de valeur partagée que Michael Porter[4] proposait comme un dépassement de la responsabilité sociale. On peut rapprocher cette question de celle de l’optimisation fiscale, qui consiste à capter de la valeur, sans la rendre aux communautés et aux pays qui permettent de la créer. Le président cite enfin le nouvel agenda du changement technologique, notamment celui des big data ou de l’intelligence artificielle, qui pose le problème de l’innovation responsable. Il propose un cadre institutionnel qui permette de stimuler les innovations positives et de les accompagner, tout en stoppant des innovations néfastes.
Les biens communs, le partage de la valeur ou l’innovation responsable pourraient être des questions centrales nouvelles pour l’ISO26000.
Les conditions d’une nouvelle réflexion sur la responsabilité sociétale
En fermant la porte à la révision de l’ISO26000, l’ISO ouvre peut être la porte à une réflexion dans un nouveau cadre. Les institutions en charge du développement durable pourraient s’en emparer.
Une référence de l’ISO26000 dans le texte de Rio avait été proposée en 2012 par la Francophonie, et relayée par l’Union Européenne. L’amendement a été éliminé par le Groupe des 77 et de la Chine (pays en développement) dans la négociation finale. L’ISO ne s’est pas mobilisé alors pour cette reconnaissance. Le dispositif de responsabilité sociétale le plus reconnu par les Nations Unies est le Pacte mondial, une initiative de Koffi Annan alors secrétaire général des Nations Unies. Sur le papier le Pacte Mondial s’appuie sur 10 principes généraux alors que l’ISO26000 cite explicitement 135 documents multilatéraux Onusiens. L’ISO26000 est donc de loin le meilleur allié des NU.
La référence à la RSE dans l’article 47 de Rio 2012 se limite au rapportage financier sous forme volontaire. Le Groupe des amis de l’article 47, initiative internationale pour le développement du rapportage extra-financier, maintient la flamme.
La question n’est donc pas liée au contenu mais à la légitimité institutionnelle de l’ISO et à l’absence d’une organisation portant l’ISO 26000 sur la scène internationale. L’ISO 26000 n’a pas été portée par l’ISO au niveau institutionnel. Ses adhérents, les organes de normalisation, notamment ceux liés à la certification auraient été plus à l’aise pour promouvoir une norme certifiable. Ce n’est pas leur mission de vérifier l’application de principes du droit international.
Cette « norme hors norme », est un accident, tant les conditions de son élaboration ont été inhabituelles. Les normes ISO sont élaborées par des processus ascendants, comités d’experts et de praticiens, avec des discussions et des votes dans les organismes nationaux de normalisation. Les normes ISO sont ensuite adoptées de façon volontaire. Les conventions ONU sont élaborées, par en haut et adoptées ensuite par la ratification des pays. Ces deux régimes institutionnels concurrents, s’ignorent. Les normes ISO ne citent que d’autres normes ISO et pas les textes internationaux, réciproquement ces derniers ne font pas plus référence à l’ISO.
En faisant références à des textes adoptés par les institutions multilatérales, l’ISO 26000 établit un pont entre les deux mondes. Cela n’a été possible qu’en associant les organisations internationales à l’élaboration de la norme. Cette coopération improbable a été possible grâce à Allan Bryden le secrétaire général de l’ISO d’alors. L’ISO avait alors signé un protocole d’accord (MOU) en 2005 avec l’OIT. L’ISO a dénoncé depuis cet accord, marquant un changement de cap.
L’originalité de l’ISO26000 tient aussi à la représentation des parties prenantes dans le processus de rédaction. C’est ainsi que les représentants des entreprises, des États, des syndicats, des consommateurs, des associations, et d’autres experts, ont tantôt travaillé ensemble par collège au niveau international, tantôt dans les délégations nationales en portant des positions élaborées au niveau national.
Rouvrir la négociation au sein de l’ISO dans les rapports de force actuels aurait pu n’aboutir qu’à exclure les références au droit international et aurait risqué de faire rentrer la 26000 dans les processus normaux de l’ISO, et à la transformer en norme de management certifiable.
Une voie pourrait être de constituer une Alliance mondiale sur une base de participants proche du processus mis en œuvre pour l’élaboration de l’ISO 26000 : les 6 parties prenantes et les organisations internationales en liaison. Elle permettrait de gérer la relation entre l’ISO et les organisations internationales.
Placer l’ISO26000 comme lignes directrices globales partagées, donnerait ensuite tout loisir à l’ISO d’élaborer des normes sectorielles, ou des déclinaisons.
Les processus d’Alliance Mondiale apparaissent aujourd’hui comme un processus essentiel de gouvernance internationale. Une Alliance Mondiale pour la Responsabilité Sociétale des Organisations (Global Alliance for social responsability of organizations) pourrait porter cette norme à mi-chemin entre les institutions internationales et l’ISO. Et accompagner le processus institutionnel. Fort de l’engagement actuel du président et du rôle joué dans l’élaboration de l’ISO 26000, il serait souhaitable que la France prenne une initiative en ce sens.
[1] Christian Brodhag. Une responsabilité sociétale multi-institutionnelle : émergence et modalités. RIODD 2016, Jul 2016, Saint-Étienne, France. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01348912
[2] Cette organisation qui réunit les parties prenantes de la rédaction de l’ISO 26000 assure le suivi de sa mise en oeuvre http://iso26000.info/
[3] http://www.epe-asso.org/le-guide-des-odd-a-destination-des-entreprises
[4] Porter, M. E., & Kramer, M. R. (2011). The big idea: Creating shared value. Harvard Business Review, 89(1), 2.