En s’engageant pour introduire l’environnement dans la Constitution le président Jacques Chirac marque sa prise de conscience que notre responsabilité est désormais engagée à un niveau inconnu jusqu’à présent. Ce point de vue, qu’il avait exprimé à Johannesburg par des propos qui ont marqué « la maison brûle et nous regardons ailleurs », est partagé par l’opinion publique comme le prouve la large enquête menée à l’occasion de la rédaction de la charte de l’environnement.
Les travaux de la Commission de préparation de la charte de l’environnement présidée par Yves Coppens ont été présentés au Conseil des Ministres le mardi 15 avril et le processus de la réforme constitutionnelle devrait être engagé dans la foulée.
Ce n’est pas un texte anodin. Bien entendu l’aspect solennel de l’intégration de problématiques nouvelles dans le texte fondateur de la République est un affichage politique. La charte adossée à la constitution, se trouvera en effet au même niveau que la déclaration des droits de l’homme de 1789. C’est un acte politique dans lequel chacun doit se retrouver, mais qui doit aussi interpeller chaque citoyen. Le droit à un environnement sain qu’il introduira est équilibré par un devoir partagé.
Mais c’est aussi une référence qui permettra de vérifier la constitutionalité des lois, c’est à dire de garantir que les lois ne sont pas contradictoires avec les principes fondamentaux de l’environnement énoncés de la charte. Des inquiétudes se sont faites jour sur la portée de cette réforme, qui pourrait selon certains bloquer l’innovation scientifique et le développement économique.
Ceux qui émettent ces craintes ont une vision de l’environnement encore très marquée par des approches réglementaires et normatives et surtout n’ont pas pris conscience de l’ampleur des changements nécessaires pour ne pas mettre en péril les grands équilibres planétaires. La vérification constitutionnelle ne doit pas conduire pas à des blocages, mais à prendre en compte l’environnement en amont des politiques par la prévention qui est toujours moins coûteuse que l’action de curation à posteriori. L’environnement isolé, envisagé à part, génère des coûts additionnels et des contraintes, en revanche intégré dans les autres politiques il devient une opportunité d’innovation.
Pour le monde économique une organisation et une stabilité du droit sont nécessaires. C’est pourquoi la charte s’appuie sur des principes déjà largement utilisés. Introduire des notions nouvelles et mal cernées comme un principe d’anticipation, ouvrait plus la voie à l’aventure que de reprendre les principes de prévention, de précaution, pollueur payeur et de participation…
C’est le principe de précaution qui a fait l’objet le plus de débat. Ce principe inscrit dans les principes de Rio en 1992 est déjà dans le droit français de l’Environnement. Il implique de prendre des mesures en cas de risque grave ou irréversible sans qu’il puisse être établi avec certitude en l’état des connaissances scientifiques. Ces mesures peuvent être le renforcement de la recherche et de la veille, voire une décision de moratoire ou d’interdiction, ou un simple dispositif technique. Chaque cas est particulier. Cette mesure ne peut être que provisoire, en attendant que la recherche scientifique puisse cerner avec certitude les risques. Dans ce cas, soit le risque n’est pas avéré alors les mesures sont levées, soit il l’est et alors il faudra appliquer le principe de prévention, c’est-à-dire proportionné grâce à une analyse entre les coûts et les avantages.
Contrairement à un argument repris dans le rapport de la commission, la constitutionnalisation du principe de précaution n’en change pas le sens. Elle ne le transforme pas ipso facto en règle de portée générale qui, selon leur auteur, « violerait les principes fondamentaux du droit et de la liberté individuelle en permettant que l’on puisse condamner quelqu’un en situation d’incertitude, et donc sans preuve ». Ce doit être un principe pour les politiques publiques et non d’application directe. Il conviendra donc de compléter ce principe constitutionnel par les procédures adaptées.
En effet si le principe de précaution n’est pas bien encadré, précisé par la loi et organisé dans des procédures claires, les compagnies d’assurances vont par exemple se prémunir de façon sauvage contre certains risques qu’elles refuseront de couvrir (en petits caractères en bas de leurs contrats). L’inscrire comme une obligation publique facilitera l’évaluation des risques potentiels par des activités spécifiques de recherche et de veille.
Les attaques venues des Académies de Médecines et des Sciences sont légitimes dans leur souci, mais non fondées dans les faits et outrancières dans la forme, et elles ont largement surpris nombre de scientifiques et de médecins. Le mésusage observé du principe de précaution peut en effet rendre inquiet s’il bloquait toute initiative. La demande sociale de risque zéro, repose sur l’illusion entretenue par le mythe scientiste de la science toute puissante. Une science modeste, équilibrant la science agissante et la science éclairante, est la seule réponse possible. Les Académies se trompent de cible et veulent jeter le bébé avec l’eau du bain.
Ces dérives ne peuvent être évitées qu’en précisant les conditions et les procédures qui permettraient l’application du principe de précaution, ce n’est donc pas moins de droit mais plus et mieux de droit qui est nécessaire.
Ce débat fondamental au cœur de la recherche de progrès mérite mieux que les procès d’intentions. Illustrons ce problème par deux questions : les OGM et les téléphones portables.
La modification du patrimoine génétique des organismes recouvre des applications très diversifiées. Prenons une manipulation génétique sur un animal qui lui permette de produire un médicament. Ce médicament doit être évalué et suivi selon les procédures en vigueur comme n’importe quel médicament d’origine chimique ou même naturelle. Ses éventuels effets secondaires seront balancés avec les avantages thérapeutiques qu’il permet. L’animal peut être sacrifié à tout moment, il n’y a pas d’irréversibilité majeure.
En revanche manipuler génétiquement des espèces végétales pour leur conférer un avantage partiel, momentané et commercial en prenant le risque de la dissémination de ce gène à d’autres espèces et d’une perturbation grave des écosystèmes, est d’une autre ampleur. Elle nécessite une évaluation préalable et un degré de connaissance plus complexe et incluant autant des spécialistes de la génétique que de l’écologie.
La confusion entre les deux niveaux est savamment entretenue, par les partisans de la dissémination sans frein des OGM dans la nature, qui se cachent derrière des applications utiles voire nécessaire pour l’homme. Ils ont réinventé « le bouclier humain ».
Prenons comme second exemple les téléphones portables et les ondes que subissent les utilisateurs. Les études sur l’impact sur la santé à long terme sont en cours sous l’égide de l’OMS. Sans attendre les résultats, il est de la liberté du consommateur de pouvoir choisir les téléphones les moins émissifs. Or seulement deux des trois opérateurs français donne sur Internet l’information sur l’émissivité des appareils. On apprend ainsi que le plus émissif en ondes DAS est de 1,19W/kg et le moins émissif est à 0,1, c’est à dire entre le haut et le bas de la gamme la performance varie de près de 12 fois. Même ceux qui sont les plus septiques sur l’impact des ondes sur la santé, doivent convenir que stimuler le marché des appareils les plus efficaces sur le plan technique est au moins aussi rationnel que le nombre de sonneries ou la couleur du téléphone. La généralisation de l’oreillette peut aussi faire diminuer les irradiations.
Ces deux exemples montrent la difficulté de tirer des règles générales, chaque cas doit faire l’objet de procédures adaptées. Mais dans tous les cas les incertitudes doivent être regardées en face, évaluées, suivies et communiquées à tous. C’est cela aussi que doit garantir la charte de l’environnement.