Valeurs Vertes, n°140, mai- juin 2016, version PDF
Le terme d’économie verte recouvre l’activité économique qui envisage à la fois l’amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les impacts, les risques environnementaux et la pénurie de ressources. De façon concrète elle protège et rétablit les services écosystémiques rendus par l’eau, les sols, la biodiversité et développe les énergies et les ressources renouvelables. Elle doit tout à la fois permettre d’émettre beaucoup moins de gaz à effet de serre et de polluants, de préserver et restaurer la biodiversité et contribuer au développement durable.
L’essor de l’économie verte, contribuant au changement de modèle de développement, et aux transitions énergétiques et environnementales, repose sur l’innovation. A cet effet les Nations-Unies mettent en place un mécanisme de facilitation pour la Science, la technologie et l’innovation (STI) pour la réalisation des objectifs de développement durable[1]. Mais en quoi les territoires peuvent jouer un rôle dans un processus qui apparaît avant tout mondial. J‘avais déjà évoqué cette question dans ma chronique de novembre 2015 (Valeurs Vertes n°137) en contrepoint de la COP21 : les solutions aux changements climatiques viendront des territoires, je m’attacherai ici à considérer l’innovation.
Il faut d’abord considérer ce que l’on entend par innovation. Schumpeter en 1934 proposait de diviser le processus de changement technologique en trois étapes : le processus d’invention avec la génération de nouvelles idées ou connaissances scientifiques, le processus d’innovation avec la transformation des nouvelles idées en produits commercialisables et enfin l’étape de diffusion dans le marché. Schumpeter donnait le rôle essentiel à l’entrepreneur. Dans cette approche centrée sur la technologie, la diffusion de l’innovation repose avant tout sur la performance de la technologie qui va pouvoir être poussée sur le marché.
Ces innovations reposent souvent sur des percées scientifiques. Le GPS qui est entré dans la vie quotidienne et qui nous permet de nous orienter par des applications sur des smartphones, repose sur des avancées théoriques de la physique, sur des technologies et sur un appareil industriel capable de produire et mettre sur orbite un réseau de satellites géostationnaires. Cette innovation semble complètement échapper aux territoires, pourtant de nombreuses applications des GPS peuvent apporter des solutions très pratiques aux collectivités locales et créer de la valeur sur les territoires, et gérer des questions environnementales.
L’importance du territoire a progressivement émergé dans les analyses. Les économistes territoriaux se sont par exemple intéressés à la notion de cluster, popularisée dans les années 1990 par Michael Porter. Le concept de cluster d’innovation ou de cluster innovant est caractérisé par une échelle régionale, par une gouvernance collégiale réunissant des acteurs publics et privés et un caractère non uniquement marchand. La proximité géographique permet des coopérations, la diffusion d’informations, le transfert de connaissances codifiées ou tacites… Ce jeu d’acteur se déroule dans un système d’innovation.
En application des théories en vogue, les politiques d’innovation françaises se sont appuyées sur le développement de technopôles (années 1970-80), puis sur les systèmes productifs localisés (années 90) les SPL focalisé sur les PME, puis les Pôles de compétitivité à partir 2005 plutôt axés sur la haute technologie et l’international. Ces dernières politiques organisent la coopération des organismes de recherche et d’enseignement, des entreprises, des acteurs publics sur un territoire. Elles visent une spécialisation industrielle et scientifique dans une mise en concurrence des territoires. Dans le cadre européen sous l’impulsion régionale, les acteurs sont amenés à se concentrer sur des domaines de spécialisation intelligente. Dans ce dispositif français 14 Pôle de compétitivités portent sur les écotechnologies sur des domaines variés de l’eau, des géosciences, de la chimie verte, des matériaux, de la ville…
En face de ces politiques, les évaluations menées pour caractériser les territoires innovants s’appuient principalement sur le nombre de brevets, les dépenses R&D des entreprises, le nombre de publications des laboratoires du territoire, et des activités des pôles de compétitivités. Mais ces lampadaires n’éclairent qu’un coté de la rue, alors que les clés de l’innovation sont pour beaucoup éparpillées de l’autre côté de la rue.
En effet l’innovation ne se réduit pas en effet à la haute technologie protégée par les brevets, s’appuyant sur des grandes entreprises et visant le marché mondial. L’OCDE qui évalue les politiques d’innovations des pays ne reconnaissait que la technologie jusqu’en 2005, pour considérer depuis les innovations de produit, de processus, de nouvelles méthodes de commercialisation ou organisationnelles. Mais en laissant l’innovation circonscrite à l’entreprise.
Or l’innovation prend une variété de forme et investit des champs nouveaux pour lesquels les territoires peuvent jouer un rôle essentiel.
L’innovation peut porter sur basses technologies et des innovations frugales. Prenant son origine dans les pays émergents le mouvement Jugaad (ou bricolage en hindi) a été formalisé par Navi Radjou. Le fait que cette approche ait été adoptée par des entreprises occidentales de l’automobile, de l’énergie ou de la distribution, fait oublier la cible initiale : simples et peu chères, ces innovations visent la base de la pyramide c’est à dire les plus pauvres ou les moins aisés, dans nos pays, mais aussi au niveau international dans les pays en développement. Pauvres mais nombreux ils constituent des marchés importants.
L’innovation ouverte décrite par Henry Chesbrough (UC Berkeley) s’appuie sur de nombreux acteurs, externes à l’entreprise, qui apportent leur contribution à l’innovation. Mise au point avec le consommateur, l’innovation va être mieux adaptée à la demande et au marché. Cette ouverture peut aller jusqu’au libre (open source) qui a commencé par les logiciels mais qui touche aujourd’hui les technologies.
L’innovation sociale n’est centrée ni dans sur technologie ni sur le marché, il s’agit d’une solution nouvelle à un problème social, qui soit plus efficace et durable que les solutions déjà existantes. Ce concept promu par l’université de Stanford (2000) a été poussé par Commission européenne qui a publié un Guide en 2013 qui considère que ces innovations « sont sociales à la fois dans leurs finalités et dans leurs moyens ». Bien entendu ces innovations peuvent s’appuyer sur des technologies ou des modèles économiques comme l’économie sociale et solidaire.
Les écoinnovations, qui sont au cœur de l’économie verte, répondent aux besoins des utilisateurs en conservant les performances fonctionnelles des produits et services tout en utilisant moins de ressources et en dégradant moins l’environnement durant l’ensemble de leur cycle de vie[2].
Il y a enfin de numérique qui multiplie les produits et les applications à un rythme extrêmement rapide. Malgré ses impacts environnementaux qui nécessitent une grande attention, le numérique peut contribuer aux innovations sociales ou environnementales.
Une collectivité a de multiples objectifs pour lesquels ces formes d’innovation peuvent apporter des solutions, création d’emploi, développement de lien social, résilience aux aléas économiques et environnementaux, et l’ensemble de l’économie verte : usages des ressources locales (services écologiques, matériaux locaux, énergies renouvelables…). Ces innovations locales n’ont pas pour vocation le marché mondial, mais la création de valeur pour le territoire.
Une animation du territoire est nécessaire pour que la multiplicité des formes d’innovation soit au service de la multiplicité des besoins. Il est nécessaire d’aborder cette question sous la forme de systèmes d’innovation local, dans lesquels les acteurs coopèrent et échangent informations et connaissances…
[1] https://sustainabledevelopment.un.org/TFM
[2] Voir pour le bâtiment ma chronique de novembre 2014 (N°131) ou pour l’écoconception des produits et services celle de Juillet 2014 (N°129).