Interview en Contribution pour une table ronde « Pour une vision et un langage communs du développement durable » organisée par l’AFNOR et l’Ecole des Mines de Saint Etienne lors des 2èmes Assises Nationales du développement Durable 25 au 28 juin 2003 à Lille PDF de l’interview
Rencontre d’une personnalité
Christian BRODHAG est enseignant chercheur à l’ENSM-SE, membre du CNDD, Président du groupe de travail SD 21 000 à l’AFNOR, et président d’Agora 21.
En tant qu’acteur majeur au sein du groupe SD 21000 pouvez-vous rassurer les industriels qui craignent qu’une certification labellisée «Développement Durable» n’apparaisse
Vous faites allusion au guide SD 21000 porté par l’AFNOR. Tout d’abord il faut savoir que l’AFNOR n’a pas comme seule vocation de produire des normes. L’AFNOR produit également des consensus, c’est dans cet esprit qu’a été bâti le guide SD 21000. Effectivement, même si la finalité n’est pas de créer une norme, pour des besoins administratifs, c’est en comité de normalisation que nous avons validé ce guide. J’insiste sur la notion de guide, comme en témoigne d’ailleurs sa référence AFNOR: FD X30-021, FD pour fascicule de documentation. Cet outil présente les lignes directrices pour l’intégration des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management d’entreprise. En fait il s’agit d’aider l’entreprise à répondre à 2 questions essentielles: Comment voir clair pour intégrer le DD dans la stratégie et quelles sont les pistes de réflexion? Le DD en entreprise c’est prendre en compte un certain nombre d’enjeux. Le document est structuré plusieurs parties:
La première vise à aider l’entreprise à identifier les parties intéressées et leurs attentes, la seconde traite les enjeux au niveau du territoire, c’est à ce niveau que l’entreprise doit prendre en compte les objectifs des Agenda 21 locaux, une troisième partie propose d’assister l’entreprise à identifier les enjeux DD sur l’ensemble de la chaîne de la valeur pour intégrer les 3 dimensions du DD de la conception au recyclage du produit en passant par une prise en compte des procédés de fabrication, afin que l’on ne reporte pas les “contraintes” d’un niveau vers un autre. Enfin, la quatrième partie traite les enjeux plus génériques du développement durable: climat, générations futures, etc.
Une fois identifiés, l’objectif de l’entreprise qui s’appuiera sur ce guide sera de hiérarchiser ces enjeux et attentes. Est-ce que ces enjeux impactent l’entreprise, ou bien est-ce que l’entreprise peut avoir une influence sur ces enjeux? L’entreprise poursuivra alors ce processus par la traduction de ces enjeux en objectifs stratégiques à intégrer dans son système de management.
Quels sont les outils ou opérations qui viennent compléter ce guide?
Dans cette première phase, notre objectif au sein de l’AFNOR est de proposer au PMI des expérimentations en région, afin que cet outil soit discuté, critiqué et qu’il alimente notre travail de conception de nouveaux outils tels que les diagnostics que nous préparons en ce moment. Une première expérimentation co-pilotée par l’ARACQ, la CCI et le MEDEF a déjà vu le jour dans la Loire depuis 6 mois, il s’agit de faire une évaluation « terrain » du guide par les entreprises. Nous proposerons d’autres expérimentations dans d’autres régions, avec le souci d’uniformiser le langage autour du DD auprès des entreprises, ce qui facilitera les pratiques et la formation de réseaux.
Quelle sera la position de la France au niveau de l’ISO?
Sur la table de l’ISO, plusieurs initiatives existent au niveau international, je pense notamment au Japon qui a proposé un système de management de la responsabilité sociale des entreprises, mais qui finalement n’est qu’une version de l’ISO 9004 adapté au DD. Les pressions existent donc pour faire émerger une norme internationale. La France a considéré que quelque soit l’avenir, ces expérimentations de terrain devaient avoir lieu au préalable. La consolidation de ces travaux menés par l’AFNOR permettra s’il y a un besoin d’avoir une position plus forte au niveau de l’ISO.
Suite à la parution de la SNDD, proposition est faite aux DRIREs d’être des acteurs majeurs du DD. Pensez-vous que ces missions de sensibilisation qu’elles mèneront peuvent se combiner avec l’image qu’elles véhiculent auprès des industriels, à savoir l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement?
Effectivement, il y a toujours eu cette suspicion, cependant les approches DD viennent se rajouter à la dimension purement environnementale. Les entreprises qui souhaiteront s’engager dans une démarche pour devenir des “entreprises responsables” devront au préalable être en conformité avec la législation en vigueur. Ce type de débat a déjà eu lieu lors de la création des FRAC environnement, aujourd’hui pourtant l’objectif d’inciter les entreprises à faire appel à du conseil externe en matière d’environnement est atteint. Nous allons dans un premier temps assister à une phase de sensibilisation, (NDLR: l’objectif fixé est la sensibilisation de 1000 entreprises d’ici à juillet 2004), on peut tout à fait imaginer qu’à terme, cette étape franchie, on voit un FRAC DD entrer en vigueur pour que ces dernières fassent appel à du conseil externe en matière de DD.
“Le handicap de ce triptyque économique, environnemental et social, c’est qu’en faisant un peu d’environnement, de social… on pense faire du Développement Durable. Bien entendu, non!”
Beaucoup d’industriels parce qu’ils travaillent un peu sur l’axe social, environnemental se targuent de faire du DD, en insistant sur le fait qu’ils n’ont pas attendu le concept pour en faire. Quel est votre sentiment?
Je suis quelque peu agacé par ce type d’attitude. Le handicap de ce triptyque économique, environnemental et social, c’est qu’en faisant un peu d’environnement, de social…on pense faire du DD. Bien entendu, non! Toute organisation se pose depuis longtemps des problèmes de management, d’environnement. Ce qui est nouveau, c’est l’ambition des résultats, l’intégration en amont des stratégies, les synergies à mettre en place. J’ai souvent à l’esprit l’image du Rio Solimoes et du Rio Negro qui forme l’Amazone, quand ses fleuves se rejoignent, l’un étant noir l’autre blanc, on distingue pendant des kilomètres les 2 couleurs qui tardent à se mêler. Pour le DD, c’est un peu la même chose, il se trouve au confluent de plusieurs pratiques. Dans les entreprises cela peut être un système de management environnemental, une gestion de l’éthique, etc. Il ne s’agit pas pour autant de faire table rase de ce qui existe dans les entreprises, il y a des choses nouvelles et des choses connues.
Parmi les nouveautés on trouve deux notions fondamentales, la première est celle du reporting, qu’il soit social, environnemental ou économique, la seconde c’est la prise en compte des parties intéressées, victimes ou bénéficiaires.
Vous êtes le président d’AGORA 21. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est AGORA 21, d’où est partie cette initiative, quels sont ses objectifs? ?
En tant que président de la Commission Française pour le Développement Durable, je me suis rendu à la commission annuelle de l’ONU en 1996. J’ai constaté l’absence totale d’acteurs francophone sur le sujet. Il y avait un vrai problème d’accès à l’information en langue Française. C’est en 1998 que nous avons monté le projet AGORA 21, au sein de l’ENSM-SE au départ, ce site a été progressivement externalisé et est aujourd’hui autonome. L’objectif était de mettre en ligne le plus possible de documentation en Français sur le thème du DD. Aujourd’hui avec près de 140.000 connexions / semaine, AGORA 21 est le site de référence en langue française de diffusion de l’information sur le DD. Depuis le sommet mondial de Johannesburg, AGORA 21 a donné naissance avec d’autres partenaires à mediaterre.org, un “Système d’information mondial francophone pour le développement durable » Dans le cadre des initiatives de type II, telles que définies à l’occasion du Sommet Mondial sur le Développement Durable, cette initiative s’inscrit en droite ligne de l’application du paragraphe 52 du Plan d’action de Johannesburg qui recommande “ d’assister les pays en développement et les pays avec des économies en transition pour réduire la fracture numérique … et dans ce contexte soutenir le Sommet Mondial de la Société de l’Information.” Médiaterre concourre à la mise en oeuvre du développement durable dans l’espace francophone par la diffusion et l’échange d’informations. Il s’appuie sur deux principes : le premier considérant l’information et les connaissances comme un bien public, le second, issu des principes de gouvernance multiacteurs, vise les échanges au sein d’une large communauté nationale et internationale concernée par l’environnement et le développement durable. Ainsi, les objectifs du projet sont de contribuer à la réduction de la fracture numérique Nord/Sud et au renforcement des capacités en permettant les échanges entre acteurs du développement durable.
Propos recueillis par Yohan GRES, Ingénieur Consultant ADEPA TOULOUSE