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Le système alimentaire des pays développés traverse des crises à répétition. Les impacts des organismes génétiquement modifiés ou des dopages hormonaux sur l’environnement, sur les écosystèmes, voire sur la santé, opposent les Etats-Unis et l’Europe. La logique du hors sol poussée jusqu’à l’alimentation du bétail par l’industrie du recyclage, depuis les farines animales jusqu’aux déchets toxiques en passant par les boues d’épuration, met en péril le système alimentaire européen. Dans un cas comme dans l’autre certaines industries et leurs laboratoires prétendent se substituer aux liens que la production agricole entretient avec les sols et les ressources génétiques et biologiques.
De plus l’agriculture européenne est au bord d’une crise financière. Sous les pressions de l’OMC et de la volonté des autres pays européens de maîtriser les dépenses publiques, s’accumulent des inquiétudes sur la pérennité des financements publics de l’agriculture française. Les règles de l’OMC s’opposent aux subventions à l’exportation et aux soutiens à la production, et suspectent de protectionnisme toute disposition réglementaire prise au niveau national. La négociation de l’OMC sur l’agriculture qui débutera en novembre prochain risque d’aggraver encore les abus et les risques, si une stratégie cohérente et efficace n’est pas opposée au modèle agroindustriel américain. Et ce n’est pas le modèle européen actuellement dominant qui peut servir de référence.
Seul le développement durable offre aujourd’hui le cadre conceptuel et les institutions permettant de sortir de cette impasse. Sur le plan des concepts le développement durable propose de réconcilier l’environnement et le développement économique et social pour préserver les ressources des générations futures. Il s’appuie sur le principe de précaution qui vise une prudence quand des risques graves et irréversibles sont encourus, ce qui est d’évidence aujourd’hui le cas.
Sur le plan institutionnel la 8ème session de la Commission du Développement Durable des Nations Unies d’avril 2000 portera sur l’aménagement intégré du territoire et l’agriculture. Pour préparer cette échéance en novembre 1999, la Conférence des Ministres de l’Agriculture des Etats Membres de la FAO aura adopté un rapport sur le “ Caractère multifonctionnel de l’agriculture et des terroirs”[1]. Une autre logique doit être défendue dans ces institutions, pour ouvrir la voie à une agriculture qui retrouverait le sol et ses terroirs. Cette agriculture devrait reposer d’une part sur des dispositions réglementaires sur la bio-sécurité notamment qui mettraient en œuvre le principe de précaution et d’autre part sur des labels de qualité et d’origine. C’est ce second point que nous développerons ici.
Les relations entre les territoires de production et le marché mondial sont difficiles. Dans le contexte de l’ouverture des marchés mondiaux, les protections des spécificités locales sont souvent vues comme des pratiques discriminatoires, voire des freins au développement, y compris par les pays du sud.
Il faut abandonner toute vision manichéenne qui opposerait un développement endogène d’initiative locale d’un côté et un développement exogène, retombée de la scène économique mondiale de l’autre. Vision qui s’appuierait sur l’antagonisme plurimillénaire qui oppose sédentaires et nomades. Le marché mondial est bien entendu identifié à des hordes, sans foi ni loi, qui saccagent les territoires qu’ils traversent après les avoir exploités. Il faut cesser de diaboliser l’OMC dans les préaux électoraux sans proposer dans la négociation les nécessaires mécanismes de maîtrise du marché. Certes, la mondialisation touche de plein fouet les territoires, en mettant en concurrence des espaces aux potentialités différentes, mais il est possible de valoriser les différences et de prendre en compte les contraintes locales pour en faire des atouts. Les accords multilatéraux de 1994, qui ont débouché sur la création de l’OMC, et notamment l’accord sur la propriété intellectuelle, créent le cadre en faisant expressément référence aux indications géographiques. Dans la prochaine négociation on progressa dans ce sens ou on régressera. Ou bien la France pèse en proposant un modèle agricole durable, où elle subira, isolée dans son exception.
C’est avant tout un modèle de gestion du territoire qu’il faut proposer. Le paysage est façonné par des pratiques sociales en interaction avec des composantes biogéographiques. L’artisanat traditionnel utilise les ressources locales en les valorisant. Les produits agricoles dépendent d’espèces végétales et animales adaptées au milieu. La valorisation par le tourisme de ces spécificités est un moyen d’apporter des ressources économiques au territoire, mais l’exploitation touristique mal maîtrisée peut détruire ces caractéristiques. Il s’agit donc de préserver ce patrimoine tout en le valorisant de façon durable par la création de valeur ajoutée et la diversification des produits intégré dans un véritable projet de territoire.
La labélisation de ces produits (alimentaires, artisanaux et touristiques) peut aider les consommateurs à les identifier et encourager la préservation de leurs caractéristiques. Cette labélisation est compatible avec les règles du marché mondial et, dans cette perspective, l’expérience française reprise dans le droit européen s’avère instructive. Initialement mise au point pour l’organisation de la production viticole, aujourd’hui élargi à d’autres produits alimentaires, l’Appellation d’Origine Contrôlée, valorise les qualités spécifiques liées au terroir. Les AOC qui régissent la production viticole encadrent le mode de production, les cépages, la délimitation des terroirs et les qualités de vinification. Le second label est l’IGP (indication géographique) signe de valorisation de l’origine géographique protégée adoptée au niveau communautaire au mois de mai 1992. D’autres labels produits/territoires ont été mis en place comme ceux des Parcs naturels régionaux.
Ces signes de qualité fournissent au consommateur une information sur la qualité des produits et de l’impact des modes de production. Au sein même de la crise actuelle le contexte est favorable aux produits labélisés. Les consommateurs demandent la traçabilité. Ils veulent pouvoir identifier l’origine et les modes de fabrication des produits, et juger eux-mêmes de leur propre application du principe de précaution. Ce label développement durable pourrait faire référence au concept terroir.
Un terroir pourrait être défini comme une entité territoriale dont les valeurs patrimoniales sont les fruits de relations complexes et de longue durée entre des caractéristiques culturelles, sociales, écologiques et économiques. A l’opposé des espaces naturels où l’influence humaine est faible, les terroirs dépendent d’une relation particulière entre les sociétés humaines et leur habitat naturel qui a façonné le paysage. Considérés d’un point de vue mondial, ils répondent aux objectifs de développement durable : préservation de la biodiversité et des diversités sociales et culturelles[2]
Voilà un modèle agricole exportable, d’ailleurs il s’exporte fort bien. Encore faut-il le défendre faute de cela nous risquons de voir disparaître par exemple nos fromages à pâte molle. Voilà un modèle touristique durable, axé sur les patrimoines culturels, culinaires environnementaux, d’ailleurs c’est lui qui contribue à assurer la première place à la France.
Notre pays a des atouts à faire valoir et pourrait trouver des alliés dans les pays du sud. L’entretien de la biodiversité des espèces domestiques animales et végétales, véritable réservoir génétique pour les firmes agro-alimentaires du nord pourrait être valorisé économiquement par ce type de label.
Encore faut-il que notre pays croie au développement durable et à la possibilité de mettre en place au niveau international des institutions et des régulations environnementales et sociales qui s’imposeraient face à l’OMC. Force est de constater que ce n’est pas le cas pour l’instant.
[1] Cette échéance sera préparée lors d’une réunion internationale qui se déroulera aux Pays-Bas du 13 au 17 septembre 1999 (http://www.fao.org/WAICENT/FAOINFO/SUSTDEV/agr99/fr/default.htm). Le titre de la conférence en anglais, “Conference on the Multifunctional Character of Agriculture and Land”, ou en espagnol, “Conferencia FAO/Paìses Bajos sobre en Caràcter Multifuncional de la Agricultura y la Terra”, gomme la référence au terroir, concept purement français qui est absent des documents de travail.
[2] Un forum de discussion sur ce thème est accessible sur Internet : http://www.agora21.org/terroir