Je mesure le privilège d’être intervenu en ouverture et de pouvoir le faire encore au moment des conclusions, c’est pourquoi je me suis tenu à ne pas intervenir dans les débats. Comme Michel Doucin fera la synthèse tout à l’heure des conclusions, je vais vous livrer quelques réflexions de façon très libre et impertinente.
Convergences / divergences
Nous avons mesuré un grand nombre convergences pendant ces trois journées, mais aussi des divergences. La convergence principale est la place des institutions internationales et des droits universels comme un socle solide sur la RSE.
Il y a en revanche un certain nombre de divergences mais pour lesquelles nous devons trouver un dépassement par une combinaison vertueuse.
Je prendrais une de ces divergences pour illustrer mon propos : le problème des approches volontaires versus approches contraignantes. Il faut dépasser cette opposition pour faire la meilleure combinaison des deux.
Je reprendrai volontiers la position d’Olivier Morel, d’Amnesty, le volontaire peut préparer le droit de demain, en ouvrant des possibles. Je rajouterai que réciproquement, il faut que le volontaire s’appuie sur les droits universels sans y faire écran, sans en renégocier le contenu et la formulation.
Selon cette logique, il est essentiel par exemple que l’ISO 26000 fasse directement référence aux textes internationaux. Et que ce texte permette une mise en œuvre concrète, une effectivité des droits fondamentaux.
Adopter une posture positive par rapport à l’économique
Dans son intervention ce matin Frank Eba, du groupe Sifca société ivoirienne, a présenté les actions de son entreprise en contribution au développement durable. Mais c’est seulement dans les questions qu’il a évoqué l’intérêt d’agir de son entreprise : la politique de lutte contre le sida ou les risques au travail ont des retombées positives : elles améliorent la productivité des hommes et de l’entreprise. Même si les responsables des entreprises sont des êtres moraux, l’action de l’entreprise n’est-elle pas à priori morale. Mélanger morale et entreprise est très ambigu.
Des activités philanthropiques, hors du champ d’activité de l’entreprise relèvent de la communication qui donne bonne conscience et ne permet pas la maîtrise d’enjeux concrets du cœur de métier. Microsoft en est un bon exemple : une approche monopolistique, des pratiques anticoncurrentielles, d’ailleurs régulièrement sanctionnées par l’Europe, ont permis de générer des super profits. Son fondateur, une des premières fortunes mondiales, se fait le champion de la morale par sa fondation. Cela n’est pas de la responsabilité sociétale, tout au plus un hommage du vice à la vertu.
Le profit n’est pas immoral
Si on sort du champ de la morale et de la philanthropie, il faut considérer la vocation des entreprises qui n’a rien à voir avec la morale, mais avec la nécessité de faire du profit.
Investir dans le management participatif, les ressources humaines (j’ai entendu bien sûr qu’il fallait bannir l’expression de capital humain), le dialogue social, des processus collectifs de progrès, la maîtrise des ressources rares (énergie ou eau), l’anticipation de contraintes environnementales à venir, la valorisation sur le marché d’une bonne image, la gestion des risques,… sont de bonnes actions unilatérales qui sont facteur de compétitivité et donc de profit pour l’entreprise.
S’engager de façon formalisée sur ces objectifs, crée de la confiance avec les autres acteurs, permet aussi d’engager des coopérations et de mener des actions conjointes avec les institutions et les acteurs de la société, et in fine de donner confiance aux investisseurs.
Si l’entreprise a intérêt à agir en matière de RSE, cela rend moins crucial la nécessité d’avoir une norme obligatoire ou un droit formel qui serait inappliqué. Mais cette mise en œuvre volontaire facilitera l’adoption de normes contraignantes et leur effectivité. Il n’y a pas de contradiction.
De même engagement des entreprises ne veut pas dire affaiblissement de l’Etat. L’Etat a un rôle à jouer dans ce processus notamment pour organiser le cadre de ces approches gagnantes/gagnantes, pour garantir des règles du jeu, mais cela ne peut se limiter à un face à face administration/entreprises, il est essentiel d’élargir le champ des parties intéressées.
Le tripartisme administration/entreprises/syndicats ne suffit pas, il faut aussi une place des ONG. Une approche trop fermée du tripartisme a empêché en France la régulation de l’amiante alors que les données épidémiologiques étaient connues. Des milliers de travailleurs en ont souffert dans leur chair.
La question est donc : comment créer les conditions sociales et politiques conduisant à ce que l’entreprise ait plus intérêt à agir dans le sens des intérêts de la société et du développement durable. L’entreprise aura un comportement éthique non par essence mais par intérêt. Il n’est pas immoral de faire des profits, pour peu que ceux ci soient répartis de façon équitable entre l’actionnaire, l’entreprise, le personnel et le client, ou considérés comme telle par les parties intéressées.
Il faut que l’ensemble des parties et des pouvoirs publics valorisent les bons comportements et sanctionnent les manquements. Certains investisseurs sont sensibles aux problématiques RSE du fait de la pression de l’opinion publique internationale. D’autres, notamment certains fonds souverains, sont insensibles à ces principes et à ces pressions. Ils s’avèrent être des obstacles au développement durable. L’Afrique a un véritable intérêt à ce que ses ressources soient valorisées dans le cadre du développement durable et de la RSE.
Posture positive sur la mondialisation
Nous avons assisté à un double discours sur la mondialisation, l’un négatif, l’autre positif.
Le premier est que la mondialisation doit être régulée (c’est-à-dire être contrôlée) par un arsenal de conventions obligatoires.
La seconde que la mondialisation est un facteur de développement une opportunité qui peut être mise au service d’un progrès collectif (opportunité).
On voit que les ONG, oscille entre les deux postures, soit, elles se mettent situation de contrôle, soit en accompagnement. Cette ligne de fracture traverse les organisations.
La première approche le problème par la nécessité d’atteindre un niveau de performance et s’attache à identifier les manquements.
L’autre vise à susciter une dynamique de progrès.
La critique entendue du Pacte Mondial est due à cette différence d’appréciation. Le Pacte ne garantit pas un niveau de performance équivalent pour tous les signataires, mais qu’une dynamique de progrès est engagée.
Les discours tenus sur la mondialisation sont, bien entendu, différents selon les postures adoptées.
L’approche défensive sous forme de dénonciation : au Nord le dumping social et environnemental, au sud l’exploitation impérialiste des richesses naturelles.
Une vision positive : utiliser l’économie pour le progrès social et environnemental. Passer de la méfiance à priori à la confiance à priori (expression de Abdelmalek Kettani entreprises Maroc), mais la confiance cela se mérite, on en rend compte. Mais cette mondialisation apaisée ne viendra pas toute seule, de façon spontanée ou naturelle, mais de la volonté conjointe de tous d’aller dans ce sens.
Posture positive sur le développement durable
La même nécessité d’adopter une posture positive se pose pour le développement durable au niveau des Etats. Le développement durable n’est pas une contrainte, mais une façon d’assurer un développement pérenne.
On a dit ici qu’il y avait un système, un cercle vicieux : non-respect des Droits de l’Homme / Corruption / Absence démocratique / Non durabilité. Rompre ce système nécessite de progresser sur différents thèmes avec cohérence. Plusieurs réseaux chacun dans leur domaine envisagent cette approche système :
– Les droits de l’homme : font système et se renforcent mutuellement, droits civils et politiques mais aussi droits économiques, sociaux et culturels, à venir environnement voire comme je l’ai évoqué connaissances
– Le développement durable avec 3 piliers économique social, environnement et 4ème selon les cas culture ou gouvernance
– Le Pacte mondial : qui vise à promouvoir et respecter des principes droits homme, du travail et d’environnement et de lutte contre la corruption
La RSE de l’ISO 26000 qui couvre 10 principes de responsabilité sociétale, 7 enjeux clés, qui ont été développé par Abderaim Taibi. Ils recoupent en grande partie les poins évoqués par les autres processus.
– Enfin le processus de Marrakech sur les modes de consommation et de production enfin : les produits, les modes de vie, l’éducation à la consommation, les marchés publics, l’Afrique, la construction et le tourisme. Je préside le GT tourisme au-delà des questions environnementales, la relation aux communautés, la diversité culturelle… la réflexion sur les MCP évoque la chaîne de la valeur et la sphère d’influence qui est objet de débat tant pour les Droits de l’Homme ou l’ISO 26000.
Je vous prie d’excuser, ces énumérations longues, mais je souhaitais montrer que toutes ces approches ont la même ambition d’être transversales et cohérentes. Isabelle Daugareilh vient de dénoncer le danger du pick and choose (notion anglaise non traduisible). S’il doit y avoir des priorités dans le déploiement des différents éléments il faut garder la cohérence d’ensemble, et attaquer les enjeux les plus significatifs et non ceux qui non les moins engageants. C’est la logique adoptée dans le SD 21000.
La francophonie doit se mobiliser pour assurer cette cohérence, et notamment intégrer la vision universaliste et institutionnaliste dans ces processus.
Développer, l’argument de la faiblesse de ces dispositifs sur tel ou tel thème pour justifier de les déserter, c’est être sûr d’y perdre de l’influence. Les combats que l’on est sûr de perdre, c’est ceux que l’on ne livre pas. Mettons-nous en position pour les gagner.
L’alliance pour un cadre conventionnel universel ne mobilise pas tous les Etats. Qu’il y ait aussi des entreprises capables de militer pour leur adoption et de les opérationnaliser facilitera l’adoption.
C’est l’objectif des communautés de travail qui se mettent en place au sein de la francophonie et qui viennent d’être proposées par Isabelle Blaes.
Au niveau national il faut organiser les synergies de la maîtrise de ces thèmes avec les Stratégies nationales de développement durable et les Stratégies de lutte contre la pauvreté. Mais il faut aussi faciliter les relations entre les Commissions nationales des droits de l’homme, les Conseils nationaux de développement durable, les Comités miroirs de l’ISO 26000, les réseaux locaux du Pacte mondial… pour que les cloisonnements disparaissent.