L’économie circulaire et la construction : pour une AOC du bâtiment VV161

Le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire qui a été adopté en première lecture par le Sénat en septembre 2019 complète le cadre juridique français de l’économie circulaire. Il vise la transposition du Paquet Européen sur l’économie circulaire. L’approche européenne s’appuie sur le principe de responsabilité élargie du producteur (REP) par lequel les acteurs économiques (fabricants, distributeurs, importateurs) qui mettent sur le marché des produits générant des déchets, prennent en charge tout ou partie de la gestion de ces déchets. Elle focalise ainsi l’économie circulaire sur l’aval du cycle et le traitement de déchets plus que sur l’amont et la maîtrise de l’usage des ressources. La loi conduira à un renforcement des régimes de REP, en introduisant des obligations nouvelles en matière de tri, de collecte, de réparation ou de recyclage, et la création de nouvelles filières de traitement des déchets.

Une des nouveautés de la loi est d’élargir le modèle de REP à la construction. C’est ainsi que les metteurs sur le marché de produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (fabricants de fenêtre, de pots de peinture, de béton…) seront tenus de contribuer à la gestion de la fin de vie des produits ou des matériaux de construction. Ils seront incités à mieux concevoir leurs produits pour limiter leurs déchets.

Pour cela ils devront se structurer en une ou plusieurs filières REP pour que les déchets soient correctement collectés puis valorisés. Une extension de l’obligation de diagnostic des déchets en amont de la déconstruction devrait favoriser ce tri.

L’objectif de la loi vise avant tout l’augmentation de la collecte et de la valorisation des déchets notamment grâce au financement de points de collecte installés sur tout le territoire national et une reprise sans frais des déchets triés. Cela permettrait aussi de lutter contre les décharges sauvages. Le contexte de la mort du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, a par ailleurs sensibilisé l’opinion publique sur ce sujet et renforcé la répression.

Pour la construction ce projet de loi s’ajoute à Loi ELAN (loi évolution du logement et aménagement numérique), qui définit la performance RE2020 focalisée sur la consommation d’énergie d’une part dans le prolongement des réglementations thermiques, et d’autre part sur un élément nouveau le carbone notamment celui provenant des matériaux et des produits utilisés dans une approche cycle de vie. La loi ELAN (Art. L. 111-9-2) vise l’approche du cycle de vie pour les produits de construction et équipements : prenant en compte les émissions de gaz à effet de serre et le stockage du carbone de l’atmosphère, les matériaux issus de ressources renouvelables ou du recyclage et leurs impacts sur la qualité de l’air intérieur du bâtiment. Cette évaluation devrait passer par l’usage généralisé des fiches de déclaration environnementale et sanitaire les FDES.

L’approche en silo des dispositifs législatifs est facteur de complexité et surtout ne favorise pas une transition écologique cohérente. La conception d’un bâtiment neuf, ou la réhabilitation doivent ainsi prendre en compte l’ACV en amont principalement sur le champ du carbone (loi ELAN) et en aval pour les déchets (loi anti-gaspillage).

La doctrine sur l’économie circulaire promue par l’ADEME s’appuie pourtant sur 7 piliers : (1) l’approvisionnement durable l’extraction et l’exploitation des ressources et les achats durables, (2) l’écoconception d’un procédé, d’un bien ou d’un service, prenant en compte l’ensemble du cycle de vie, (3) l’écologie industrielle et territoriale, (4) l’économie de la fonctionnalité, (5) la consommation responsable, (6) l’allongement de la durée d’usage, (7) le recyclage.

Mais ces différentes composantes se concrétisent dans des dispositifs législatifs différents empêchant toute cohérence et synergie. L’allongement de la durée d’usage passe par exemple par la sanction de l’obsolescence programmée dans la loi sur la transition énergétique de juillet 2015.

Dans cette logique deux éléments sont faibles l’écoconception et le territoire

Ecoconception

L’écoconception vise à intégrer l’environnement dès la conception d’un produit ou d’un service, en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie. Cette approche méthodologique transversale garantit une réduction globale des impacts environnementaux en évitant notamment les transferts de pollutions. Dans cette logique, l’écoconception ne peut être limitée à une composante de l’économie circulaire ou la prise en compte du seul carbone, mais une approche permettant de choisir les modèles d’économie circulaire pertinents ou d’autres modèles de consommation et de production durables et, d’en garantir la cohérence environnementale, sociale et économique. Elle est tournée vers la création de valeur.

A l’échelle des projets concrets des produits ou services, des bâtiments ou des quartiers ou projets urbains vont pouvoir intégrer l’ensemble de ces questions ressources, énergie, climat, biodiversité, santé… Cette intégration dans des solutions concrètes permet de gérer des conflits, organiser des compromis, mais aussi de trouver des synergies et conduire des innovations. Les projets illustrés et primés par les Awards de Construction 21 montrent comment les professionnels de la construction sont capables de réaliser des bâtiments qui intègrent l’ensemble de ces questions.

Approche territoriale

Globalement en se focalisant sur la prévention des pollutions et la gestion des déchets, le dispositif législatif n’envisage pas le volet ressources où se crée de la valeur. L’un des composantes essentielles de l’économie circulaire est en effet de transformer les déchets en ressources. L’extraction annuelle mondiale de 90 milliards de tonnes de ressources tirées de la nature (sans considérer l’eau), soient 11,9 tonnes par habitant, pèsent un poids considérable sur l’environnement [1]. Les perspectives de doublement d’ici 2050, doivent être démenties par une maitrise de leur consommation.

La construction et les infrastructures absorbent la moitié de ces ressources [2] qui sont pondéreuses et donc ne peuvent pas être transportées sur de longue distance. C’est pour cette raison que le projet de loi prévoit une multiplication des points de collecte, sans pour autant envisager de filières de valorisation à la même échelle locale.

Cette nécessité d’une approche locale porte sur les matériaux de construction issus de filières locales mais aussi sur les caractéristiques géographiques (climatiques, écologiques, géologiques) locales qui conduisent à des formes constructives particulières. La combinaison entre matériaux et géographie locale a été prise en compte dans l’habitat vernaculaire. Il faut se rappeler que 50% de l’habitat dans le monde est construit en terre, et 15% en France.

Il convient aujourd’hui d’agir simultanément sur deux aspects :

  • Organiser la production de matériaux locaux naturels (terre, pierre….), bio-sourcés (bois, paille…) et issus du recyclage, en évaluant et minimisant l’impact environnemental de leur production.
  • Développer des formes constructives, notamment issues des connaissances de la construction vernaculaire, et des techniques de construction et de réhabilitation spécifiques aux conditions climatiques du territoire.

La durabilité de ces matériaux ne peut être jugée par des standards nationaux, mais par une évaluation d’impact intégrée dans des plans de gestion locaux. Les FDES évaluent les produits standards et industriels de niveau national, ils s’appuient sur des données d’impact moyennes non différentiées par territoire. Ils ne portent pas sur les solutions frugales.

La frugalité des solutions est gage de prix bas et d’appropriation technique. Les 2/3 du chiffre d’affaire de la construction sont le fait d’entreprises de moins de 20 salariés qui interviennent sur des marchés locaux.

Une approche de type « AOC de la construction » permettrait le développement de filières locales qui intègrent la construction dans un système productif et culturel local valorisant les solutions vernaculaires, des matériaux locaux en accord avec les conditions géographiques et climatiques locales.

Le concept et les procédures des appellations d’origine, mise en œuvre pour les produits agricole ou artisanaux, ont fait leurs preuves de leur intérêt et pourraient être transposés à la construction.


[1] Oberle, B. et al., 2019. Perspectives des ressources mondiales. Des ressources naturelles pour l’avenir que nous voulons., Nairobi, Kenya: ONU Environnement.

[2] D’après le Groupe international d’experts sur les ressources www.resourcepanel.org