Préambule sur l’auteur : Ces éléments de propositions se fondent sur mon expérience personnelle, et une connaissance de la ‘plomberie’ institutionnelle à tous les niveaux des Nations-Unies au niveau local, et dans tous les ‘régimes’ politiques, administratifs, scientifiques, associatifs, et normatifs. Pour les jeunes lecteurs je me permets d’en faire une liste non exhaustive : ayant été successivement créateur d’une association sur l’énergie solaire en 1978, Responsable de la commission environnement des Verts à partir de la fondation du parti en 1984 puis Porte-parole national des Verts de 1989 à 1991, Président de la Commission Française du Développement Durable 1996-1999, Délégué Interministériel au Développement Durable 2004 – 2008, Membre de la Commission de la Charte de l’environnement, commission Yves Coppens 2002 – 2003, Président du groupe de travail de l’AFNOR sur le développement durable (commission de normalisation), SD 21000 2001 – 2005
Conseiller régional de Rhône-Alpes 1992 à 1998, Conseiller municipal à Saint-Etienne 2008-2014, et aujourd’hui Vice-Président du Conseil de Développement de Saint-Etienne Métropole 2015- :
Activités internationales : Président du Conseil d’Orientation de l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie (OIF) 2006 – 2011 ; Président du Groupe de travail international sur le développement du tourisme durable (UN DESA, UNEP, UN WTO) 2006 – 2008 ; Rédacteur ISO 26000 2008 2010 -: représentant du gouvernement français et président du Groupe francophone ; Rapporteur général du forum francophone préparatoire à Rio 2012 (Lyon janvier 2012)
Actuellement Président de deux associations réunissant principalement des acteurs économiques : le Pôle National écoconception et analyse du cycle de vie (www.eco-conception.fr), et Construction21 média social mondial de la construction et de la ville durable (www.construction21.org).
Dans le domaine académique : Directeur de recherche à l’école des Mines de Saint Etienne dans le domaine de l’innovation, du développement durable et de la responsabilité sociétale jusqu’en 2017, puis actuellement professeur émérite
Le départ de Nicolas Hulot engage un débat salutaire : comment piloter le changement à la hauteur des enjeux environnementaux. Nicolas Hulot invoque l’urgence et donc la nécessité de choix radicaux. Mais ce qui est entendu comme un appel au changement des modes de vie fait reposer la responsabilité sur le seul citoyen comme condition préliminaire.
II lui est opposé comme une évidence politique la nécessité des petits pas et l’écoute équivalente de tous les « lobbies » comme s’il fallait traiter à égalité des acteurs qui militent pour l’intérêt public et ceux qui portent des intérêts privés dont certains sont rigoureusement opposé à cet intérêt public.
L’importance portée à l’écologie par gouvernement se traduirait avant tout par le rang de Nicolas Hulot comme ministre d’Etat.
Or il est nécessaire de concevoir des changements à toutes les échelles internationale, nationale et locale et pour l’ensemble des acteurs privés et publics. C’est tout autant celle du changement institutionnel que celui des changements des modes de consommation et de production.
L’ampleur et l’urgence de l’enjeu semble paralysante. Or nous ne sommes pas démunis sur le plan conceptuel, des pistes ont été tracées encore faut-il les partager avec des acteurs qui se réfèrent à d’autres rationalités et raisonnent comme si le monde était illimité. Le cadre de réflexion et d’action doit être le développement durable car il permet d’établir des relations avec le développement économique et social. En outre il est aligné avec les engagements internationaux et les objectifs 2030 des Nations-Unies. Les critiques sur ce cadre conceptuel se justifient plus de la non mise en œuvre du développement durable, que sur les limites du concept. Il est en général dévoyé par une ignorance, il est flou pour ceux qui ne considèrent ni les textes qui ont jalonnés son histoire ni les connaissances scientifiques qui se sont développées à son sujet. La déclinaison du développement durable au niveau des organisations est bien jalonnée par la norme ISO26000 (voir article).
La pratique française de l’alternance politique, conduit à dévaloriser les activités de l’équipe précédente. Considérant que le développement durable était attaché à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy l’a remplacé par l’environnement et le Grenelle en l’abandonnant en cours de mandat à cause de sa non prise en compte de l’économique. François Hollande sur un principe de table rase a imposé la transition et le seul dossier climat. L’actuelle majorité ne semble pas avoir de doctrine véritablement nouvelle, mais le site du Ministère de la transition écologique et solidaire passe sous silence le développement durable. Dans la liste des « Politiques publiques / de A à Z » sur les 28 thèmes il faut consulter « Stratégie de transition pour le développement durable » pour y trouver référence au développement durable sous une approche administrative.
Cette absence de continuité conceptuelle conduit à une dévalorisation de tout le capital social et institutionnel qui a été construit par les équipes précédentes. Les pratiques des Agendas 21 locaux dans les collectivités locales, qui permettaient la traduction locale du développement durable ont été abandonnés par Borloo, qui les considérait trop ‘compliqué’ au profit de plans climat.
Cela conduit la France à être prise à contrepied puisque Rio 2012 a placé le développement durable comme le cadre des objectifs globaux de développement dans l’agenda 2015-2030.
Il faut rappeler que le climat fait à la fois l’objet d’une Convention et d’un Objectif de développement durable ce qui conduit à des rivalités institutionnelles entre Bonn et New York. La France ne doit pas se limiter à capitaliser sa présidence de la COP21 et l’accord de Paris (que notre pays ne mets même pas en œuvre) mais doit aussi assumer son leadership dans le développement durable. Sous l’impulsion de Jacques Chirac (annonce lors du discours la maison brûle à Johannesburg) et du premier ministre Jean-Pierre Raffarin notre pays a adopté une stratégie de développement durable, et a été le premier à la soumettre à une revue par les pairs (2005) en proposant une méthode reprise ensuite, notamment par la Francophonie. J’ai conduit ce processus comme Délégué interministériel. Ce type de processus a été repris dans le processus actuel des Nations Unies de suivi des engagements nationaux. Les Nations Unies m’ont convié à témoigner de cette expérience au Forum de Haut Niveau du Développement durable (30 juin 2015) sans que la France apporte un quelconque soutien. Tout étant oublié.
La question des exigences de court terme qui empêchent les responsables politiques de penser et d’agir pour le long terme a été largement commentée au moment du départ de Nicolas Hulot. Ce qui pose la question de la continuité des politiques publiques (illustré par cet exemple du développement durable) leur évolution devraient reposer sur des évaluations et non pas la mode politique ou des discours de campagne électorale. Si des engagements de long terme sont contractés, il faut définir des trajectoires précises avec des objectifs annuels, et mettre en place un dispositif d’évaluation pour corriger les trajectoires en cas de non réalisation. Le domaine du nucléaire a été symptomatique. La mandature Hollande légifère pour fixer des objectifs de réduction, sans trajectoire crédible des solutions alternatives et laisse le gouvernement suivant et précisément Nicolas Hulot porter la responsabilité de constater cette impasse.
Mais l’urgence environnementale implique trois autres changements dans la pratique politique :
Un changement institutionnel : les règles et les systèmes d’évaluations (implicites et explicites) doivent être questionnées par rapport à l’exigence du développement durable et évoluer en profondeur, tout en considérant les acquis et le capital d’expérience disponible sur le sujet. La continuité de l’Etat doit être assurée de façon ouverte vis-à-vis des parties prenantes, il doit assurer le maintien des capitaux institutionnels et sociaux en les mettant à disposition des exécutifs politiques.
L’obligation de résultats : le monde politique est habitué à se limiter à des obligations de moyen. Des petits pas dans la bonne direction leur suffisent à apaiser leur conscience et fonder leur communication, sans se poser la question de savoir s’ils sont suffisants. La notion de limites écologiques planétaires et locales impose que la somme des pas permette d’atteindre les objectifs environnementaux. Il faut consolider le bilan au niveau national comme au niveau local.
L’appui sur les connaissances scientifiques : les politiques ne peuvent pas limiter leur réponse à la demande de la société qui est largement ignorante des enjeux. Sans le GIEC il n’y aurait pas de discussion sur le climat. On ne demande pas aux riverains ou au responsables politiques de donner leur avis sur la résistance d’un pont mais aux experts qui fondent leur avis sur des connaissances scientifiques et techniques éprouvées. Les populistes du Mouvement 5 étoiles s’y sont risqués en dénonçant la petite fable [qui annoncerait] l’effondrement imminent du pont Morandi de Gênes, avec le résultat qu’on sait. De même pour évaluer la durabilité environnementale, la résilience de la société au changement climatique, on ne peut s’appuyer sur l’opinion publique, les sondages ou les médias qui les relaient mais sur des faits et des données scientifiques.
Pour combler cette ‘rationalité limitée’ de la société, les pouvoirs publics doivent être redevables sur les processus de décision et expliciter les faits et les données scientifiques sur lesquelles ils les fondent. Mais les scientifiques doivent aussi mener un travail de vulgarisation. Les uns comme les autres doivent démontrer qu’ils travaillent bien à l’intérêt public et dans le cadre de l’objectivité scientifique et ne sont pas captés par des intérêts particuliers. Mais ce processus ne peut pas être seulement descendant, il doit aussi être ascendant pour faire valoir les vécus, les attentes et les expériences et les connaissances du terrain.
Attaqué par les populismes de droite comme de gauche qui nient la légitimité des institutions, celles-ci doivent mener un processus de reconquête en renforçant leur crédibilité, leur légitimité et leur pertinence.
La crédibilité est relative à la perception par les acteurs de la qualité, de la validité et de la robustesse de la décision et de la connaissance qui la fonde. Elle s’appuie sur la confiance dans les institutions et dans les processus de production de la politique ou de la connaissance.
La pertinence fait référence au fait que la décision ou la connaissance sont pertinentes pour une situation donnée et bien adaptées pour obtenir les objectifs annoncés et non pas pensées dans un bureau parisien ou un laboratoire coupé du terrain.
Enfin, la légitimité reflète le sentiment que le processus politique a pris en compte la diversité des systèmes de valeurs et de croyances des parties prenantes, et a été conduit de façon impartiale et juste dans son traitement des opinions et intérêts divergents. Sur le plan scientifique qu’il s’appuie sur un processus pluridisciplinaire.
Si la légitimité est principalement descendante les deux autres qualités nécessitent des processus d’interactions avec les acteurs qui agissent sur le terrain et les citoyens. Ceux-ci disposent d’informations, d’expériences et de connaissances qui échappent à l’Etat qui n’est pas le Léviathan omniscient. La compétence des hauts fonctionnaires formés au même moule s’appuie sur une rationalité limitée.
Pour cela les autorités politiques, administratives et scientifiques doivent mettre en œuvre des processus et rendre compte dans le cadre d’une redevabilité (accountability). Ces objectifs impliquent un changement de la pratique politique et scientifique.
Ils permettent de relever le défi du développement durable mais aussi des populismes qui mettent en péril les démocraties et des réformes dans son ensemble.
L’information du politique ne peut se satisfaire de relations bilatérales avec des lobbyistes pouvant mobiliser des mensonges factuels du fait de l’ignorance du politique, mais de processus ouverts dans lesquels les différents points de vue peuvent être confrontés avec les connaissances scientifiques. Les travaux du Conseil National du développement durable (2002-2004) pour préparer la stratégie française de développement durable, les travaux préparatoires en Région de la charte de l’Environnement (2004), et le Grenelle de l’Environnement (2008) allaient dans ce sens mais sans intégrer la question scientifique.
L’intégration de la science dans la décision nécessite des évolutions. Il ne s’agit pas ici de la science économique qui certes doit contribuer (Négationnisme ou hégémonisme économique Le Monde Economie | 21.09.2016) mais conjointement d’écologie, de climatologie, de sociologie….
C’est-à-dire d‘une science de la science de la durabilité, pluridisciplinaire en dépassant les simples programmes de recherche technologique (souvent limités au climat). En France le découpage disciplinaire et les politiques d’évaluation des chercheurs sanctionnent la pluridisciplinarité et la recherche appliquée sur le terrain. L’UNESCO a défini cette science de la durabilité comme « les activités d’enseignement et de recherche qui génèrent des connaissances et des technologies nouvelles, de l’innovation et une compréhension globale permettant aux sociétés de mieux relever les défis de la durabilité aux niveaux mondial et local, la science de la durabilité est une discipline ou une activité interdisciplinaire ou transdisciplinaire. Elle peut être axée sur la production de connaissances fondamentales, sur les applications technologiques ou sur l’innovation socioculturelle, ainsi que sur de nouvelles formes de gouvernance ou de nouveaux modèles sociaux et économiques. » UNESCO 2017.
Il s’agit aussi d’interactions entre la science et la décision et la science et les citoyens (forum citoyens, recherche participative).
Mais au-delà de la science éclairante qui éclaire les décisions, il y a la science agissante qui apporte des solutions.
La transition vers une économie zéro carbone repose sur la diffusion massive d’innovations technique et sociales et la gestion de la destruction créatrice qui accompagne cette transition. Il s’agit d’un côté de maximiser la valeur créée par la transition, et de l’autre compenser les pertes en reconvertissant les perdants. Depuis Rio 1992, une des conditions mises au développement durable est l’élimination des modes de production et consommations non durables, mais ce point est resté lettre morte. Quand ces activités néfastes sont subventionnées, la suppression des subventions est source d’économies budgétaires et non de coût. Ces économies pourraient être transitoirement affectées aux reconversions.
Pour illustrer l’ampleur de la destruction créatrice, il faut considérer que pour rester dans la limite des 2°C, un maximum du tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles peut être consommé d’ici 2050 (AIE, World Energy Outlook 2012). En fait ce ne sont pas les limites des ressources fossiles qui sont à considérer, mais celles de la capacité de l’atmosphère à absorber le CO2 dégagé par leur combustion. Maintenir dans le sol les 2/3 des réserves identifiées et économiquement exploitables est une destruction de valeur massive.
La régulation globale du climat et la régression de l’usage des énergies fossiles passe par un prix croissant des combustibles d’origine fossile donc du prix de l’essence à la pompe. Mais il faut considérer les solutions qui s’offrent à ceux qui sont impactés. La taxe ne doit pas être considérée comme une punition, la vente d’indulgences ou une source de revenu budgétaire mais bien un outil de changement.
A l’heure où l’innovation ouverte s’impose dans le secteur privé, en impliquant le consommateur final, l’innovation institutionnelle, administrative, industrielle, communautaire dont l’objectif est le bien public doit aussi impliquer largement tous les acteurs.
Les changements comportementaux des consommateurs peuvent être envisagés dans la mesure où ils sont justifiés et compris, que les injonctions institutionnelles soient crédibles, légitimes et pertinentes, et qu’elles s’insèrent dans de nouveaux services et soient créateurs de valeur partagée. En un mot un progrès. De nombreuses solutions sont développées à l’échelle associative et communautaire, mais aucun système massif de soutien, d’évaluation et de diffusion, n’est mis en place.
Le couplage de ces solutions avec les possibilités offertes par le numérique, des mutations comme la servicisation (passage du produit au service) peut apporter des changements profonds. L’écoconception, l’économie circulaire et les services écologiques, sont à même de créer de la valeur et des emplois.
La réglementation doit plus fixer les performances attendues que les moyens et techniques et processus à utiliser pour les atteindre. Elle peut venir en soutien aux innovations évaluées pour accompagner le changement.
Cela impose bien entendu à modifier les politiques d’innovation. Les pouvoir publics ne peuvent soutenir des innovations dont les objectifs sont contradictoires avec les objectifs publics de développement durable.
La diffusion des solutions et des innovations peut être massifiées par des plateformes en ligne. Mon expérience du média social international www.construction21.org me montre l’intérêt, mais aussi la difficulté de financement sur la durée d’un système de connaissances publiques et ouvertes.
L’ensemble des changements proposés ici ne peuvent être pilotés par un seul ministère fusse-t-il d’Etat en conflit avec tous les autres ministères, mais dans une feuille de route de tous les ministères. Mon expérience de Délégué Interministériel m’a montré qu’on obtient plus des ministères par un accompagnement de leurs stratégies de développement durable que par l’opposition frontale avec l’administration en charge de l’environnement. Les rivalités d’administration et d’égo des ministres, prennent le pas sur le fond, et sont arbitrés par les services du Premier Ministre sur des critères bien éloignés de la recherche de solutions gagnantes/gagnantes.
Je recommanderais certes de renforcer le ministère en charge de la transition écologique, mais je pense qu’il est aussi nécessaire de créer un poste de secrétaire d’Etat placé auprès du Premier ministre, qui conduise les réformes proposées ici : pratiques administratives, production de connaissances, évaluation… et qui conduise la mobilisation et la coordination sur le développement durable dans chacun des ministères. C’était mon mandat en 2004, mais mon positionnement auprès des ministres de l’environnement affaiblissait ma capacité de mobilisation et ma légitimité de faire.