Colloque international : IEPF 10 ans après. Québec 30 et 31 mars 1999
1 – Les imperfections des traductions
La quasi-totalité des textes internationaux est discutée en anglais. Les traductions dans les autres langues sont tardives malgré leur statut de langue de travail. Qui plus est, les traductions sont souvent imparfaites et fluctuantes, ce qui pose des problèmes de compréhension. Le développement durable s’est d’abord appelé développement soutenable[1] pour le même mot anglais sustainable development. La traduction française de l’Agenda 21 hésite en traduisant sustainable 4 fois par soutenable, 7 fois par viable et 51 fois par durable. De même la traduction française du même Agenda 21 fait état de rationnel (225 occurrences) mot qui est rarement la traduction de rational (25 fois) mais principalement du mot sound (solide, juste, sain, 150 fois) par exemple dans ecologically sound technology, mais on trouve aussi sustainable (durable), optimized, efficient, appropriate. Le chapitre 18 sur la gestion des eaux douces, thème pour lequel les francophones jouent un rôle influent, voit au contraire l’usage répété de l’anglais rational (13 fois sur les 25 au total de cet usage en anglais, les 39 autres chapitres se partageant les 12 autres occurrences). Le global est traduit littéralement de global en anglais (global change) qui signifie mondial ou universel, et non ce qui est le véritable sens de ce mot en français » considéré dans sa totalité « .
Une réflexion francophone sur les mots justes et leur traduction de, et en, anglais est fondamentale. Sinon des faux sens peuvent se propager, et l’on peut disserter sur l’étymologie de ces mots en construisant des théories fondées sur … des imperfections de traduction. Il est essentiel que le pluralisme des langues de travail subsiste pour porter différentes cultures et approches.
Certains concepts prennent du temps à être traduit et donc maîtrisé en langue française. Le mot anglais governance, par exemple, traduit aujourd’hui par gouvernance, est présent seulement 8 fois dans le texte original en anglais. Il est absent de la traduction française de l’Agenda 21 de 1992. Ses traductions sont variables se rattachant le plus souvent à l’administration (4 fois) mais aussi action, moyens juridiques et institutionnels, gestion, niveau administratif. Il a fallu attendre le sommet de la francophonie de 1996 pour voir popularisé ce terme en français.
En sens inverse des concepts clairs dans la langue française, comme le mot terroir, n’ont pas d’équivalent dans les autres langues. Afin de préparer cette huitième session de la CDD les Pays-Bas organisent avec la FAO une conférence internationale intitulée “ Caractère multifonctionnel de l’agriculture et des terroirs[2] ” L’énoncé en anglais du titre de la conférence ne garde plus trace du mot terroir et le remplace par le mot land : “ Conference on the Multifunctional Character of Agriculture and Land ” l’espagnol en fait de même avec tierra : “ Conferencia FAO/Países Bajos sobre el Carácter Multifuncional de la Agricultura y la Tierra ”. Il n’est pas étonnant que le concept disparaisse des documents de travail y compris en français. Or la gestion des terroirs à travers des outils de labélisation comme les Appellations d’Origine Contrôlée pourrait apporter une solution élégante à la préservation de la biodiversité et des pratiques sociales et culturelles des territoires tout en les valorisant sur le marché[3].
La traduction n’est donc pas un problème technique à laisser à des professionnels interprètes, mais un domaine stratégique. De même les thesaurus qui permettent d’organiser et de classer les informations gardent la mémoire de la langue de travail. L’équipe Agora 21 mène[4] actuellement un travail pour le compte de l’Institut Français de l’Environnement de validation du thesaurus environnement en français de l’Agence Européenne de l’Environnement (GEMET). Dans la version précédente la moitié des descripteurs était exclusivement disponible en anglais et non traduits en français. Aucune définition n’était traduite en français.
La présence d’informations en langue française sur Internet est, elle aussi, problématique. Une étude de 1998[5] a comparé la présence de textes portant sur le développement durable et sustainable development. Selon les moteurs de recherche la proportion varie entre 1,8 et 4,8%. Les sites des Nations Unies sont loin d’accorder l’importance légitime au français qui est une langue de travail. Le PNUE par exemple n’avait que 0,38% de ses textes en français, seuls deux sites sur les dix domaines explorés se distinguent : le PNUE IE hébergé à Paris (8,3%) et le serveur du Centre Exécutif de Genève (10%). Ces nombres s’expliquent sans doute par le fait que ces sites sont réalisés dans des pays francophones.
Dans une enquête de 1996[6] sur les bases de données portant sur les technologies propres le Programme des Nations Unies pour l’Environnement a répertorié seulement 6 sites utilisant la langue française sur les 84 sites répertoriés.
Une démarche politique constante vis à vis des autorités internationales et des efforts de publications de la communauté francophone sur Internet sont nécessaires pour rééquilibrer la présence de la langue française.
2 – Information et développement durable dans l’Agenda 21
Le thème de l’information est stratégique. Il est jugé comme étant fondamental dans l’Agenda 21 comme un élément permettant d’orienter les sociétés vers le développement durable. Le Chapitre 40 est consacré à l’information pour la prise de décisions : “ dans le cadre du développement durable, chacun est un utilisateur et un fournisseur d’informations, au sens large. Il faut entendre par là des données, des renseignements, des expériences présentées de façon appropriée et des connaissances. Le besoin d’informations se fait sentir à tous les niveaux, du niveau national et international chez les principaux décideurs au niveau local et à celui de l’individu. Pour veiller à ce que les décisions soient de plus en plus fondées sur des informations correctes, il y a lieu d’appliquer les deux éléments ci-après du programme : a) Elimination du fossé qui existe en matière d’information; b) Amélioration de l’accès à l’information. ”[7]
L’ordre du jour de la Commission du développement durable des Nations Unies de 2001 portera sur le thème “ informations devant être communiquées à des fins de prise de décisions et de participation coopération internationale ”. Il est donc essentiel de préparer ces échéances.
Les organes de la francophonie ont un rôle majeur à jouer comme communauté et vis à vis de leurs membres appartenant au sud : pour améliorer leur connexion matérielle et leur appropriation des outils techniques, favoriser leur accès à l’information pertinente et leur capacité de générer et diffuser des informations…
Les cibles de ces informations sont les parties concernées par la mise en œuvre du développement durable dans le cadre de ce qu’on appelle la gouvernance. Cette gouvernance met en œuvre des principes et des outils, mais surtout tente d’organiser les relations entre les différentes institutions et les parties intéressées. Là où l’approche classique voyait des frontières de compétence et une vision hiérarchique, la gouvernance propose de mettre en œuvre des relations, d’instaurer le dialogue et de mobiliser. Le partenariat public privé y trouve une place croissante.
La privatisation dans les domaines de l’eau et de l’électricité, par exemple, est un phénomène majeur dans l’ensemble des pays du nord comme du sud. La régulation des services publics est marquée par ce que les spécialistes appellent l’asymétrie de l’information : l’entreprise régulée disposant de toutes les informations et le régulateur de peu d’information. Ce problème de contrôle public passe donc par le renforcement de la capacité des Etats ou des collectivités locales à assumer ce rôle, mais les informations utiles à ce contrôle peuvent aussi provenir de la société civile et du secteur privé dans son ensemble[8].
La Figure 1 montre la structure générale des institutions avec 5 acteurs majeurs qui agissent au nom de la population : l’Etat et les collectivités locales, les administrations publiques et le secteur privé et les organisations communautaires à but non lucratif. La population est formée d’individus qui agissent tantôt comme citoyens, tantôt comme usagers-clients ou comme êtres humains concernés par les aspects naturels et sociaux. Le poids respectif de ces différentes institutions varie d’un pays à l’autre selon le contexte historique, politique culturel ou social. Il ne faut pas faire de préalables institutionnels, comme la décentralisation, avant toute progression vers la bonne gouvernance, même si cet objectif de décentralisation doit être reconnu. Les collectivités locales peuvent être de plein exercice ou au contraire plus ou moins administrées par l’Etat. Dans ce cadre la déconcentration de l’administration de l’Etat, rapprocher la gestion des administrés peut être un progrès et amorcer une évolution à long terme vers la décentralisation. Les services publics peuvent être en gestion directe ou, au contraire, concédés au secteur privé. Soit on approche ces thèmes par des a priori idéologiques et l’on aboutit rapidement à un blocage, soit on réfléchit aux conditions de bonne gouvernance qui doivent accompagner chacune des situations.
Figure 1 : les acteurs des institutions
La bonne gouvernance doit pouvoir s’adapter aux différents contextes tout en les faisant évoluer, il n’y a pas de solution miracle prête à porter dans tous les pays. En revanche il est possible d’énoncer des principes généraux qui doivent régir les relations entre ces acteurs :
- clarification des rôles et des responsabilités : les institutions doivent être lisibles et compréhensibles pour tous les acteurs qui doivent se situer dans le processus de décision
- procédures de partage des objectifs: les objectifs et les stratégies des différents acteurs doivent être parfaitement lisibles et des procédures de dialogue doivent permettre que les objectifs partagés soient identifiés (recherche du consensus)
- renforcement des capacités de chacun des acteurs : l’efficacité de l’ensemble dépend de celle des parties, chacun doit donc participer au renforcement des capacités des partenaires
- transparence: le principe de la transparence sur les objectifs et les moyens (contrats, budgets…) est la base de la coopération
- confiance reposant sur la transparence, la confiance est conditionnée notamment par la prévention et la lutte contre la corruption, en mettant en place des mécanismes qui ne la suscitent pas, par exemple des approches multiacteurs des problèmes et des décisions (la corruption est plus facile à deux qu’à plusieurs)
- évaluation: la capacité d’évaluer les résultats des politiques et des programmes doit reposer sur la construction de systèmes de mesure, de collecte d’information, et de réévaluation dans une perspective d’amélioration continue (principe de la roue de Deming[9] en usage dans les certifications qualité ou environnement ISO 9000 ISO 14000).
- concertation contractualisation: l’ensemble des relations entre les acteurs dans la concertation doit pouvoir conduire à des approches contractuelles formalisées scellant la reconnaissance du rôle de chacun des acteurs et les objectifs partagés.
Tous ces éléments impliquent la mise en œuvre d’informations spécifiques à destination de chacun des acteurs. Il ne s’agit pas d’opposer des approches ascendantes (bottom up) ou descendantes (top down) mais de la coordination des deux.
3 – Outils et programmes
Plusieurs projets sont en cours qui permettent de répondre aux enjeux énoncés ci dessus.
3a – RELIEF
Le projet RELIEF (Réseau de liaison et d’échange de l’information environnementale francophone) coordonné par l’IEPF associe l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’UQAM et l’équipe Agora 21 de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne (ENSM-SE). Ce projet est composé de diverses actions dont les rôles se renforcent mutuellement :
1 : renforcement de capacité des pays francophones du sud :
- Séminaires de mobilisation sur les problèmes d’information lors des conférences internationales dont les réunions de la Commission du Développement Durable des Nations Unies.
- Une Université d’été[10] permettant l’initiation et la formation aux technologies informatiques des spécialistes de l’environnement, de l’énergie et des grandes conventions. La distribution de modules d’autoformation.
- Le recensement et le renforcement de points focaux dans les pays dont le rôle serait la collecte et la diffusion d’informations ;
- Enfin l’hébergement sur des sites accessibles de données et d’informations en provenance d’acteurs et d’organisations qui pour l’instant n’auraient pas accès à Internet.
2 : centre virtuel d’information :
- Deux documents participent à l’information de la communauté francophone : le Bulletin des Négociations de la Terre disponible chaque jour lors des grandes réunions internationales (conventions, CDD…) ; et Objectif Terre[11] ;
- Constitution d’une banque de données des sources d’information ; collecte, lecture, tri, analyse, rédaction de résumés ;
- Mise en place d’une liste de diffusion relief@uqam.edu modérée par l’UQAM pour diffuser en temps réel ces informations
3 : traduction
- Des rapports ou informations stratégiques existantes en anglais pourront faire l’objet d’une traduction pour les rendre disponibles en langue française. Cette partie du projet n’est pas financée pour l’instant.
4 : annuaire des sites
- Une liste des sites Internet francophones sur l’environnement et le développement durable, triés par catégories et régulièrement mise à jour[12].
5 : calendrier des manifestations
- Création de la base ; renseignement de la base[13]
6 : forum mediaterre
- Liste de diffusion mediaterre@agora21.org permettant la diffusion des informations sur les publications et les réalisations nationales (activités de recherche, projets etc.), cette liste ne sera pas modérée et permettra des débats libres.
7 : débats thématiques
- Débats sur des documents, mise en place expérimentale sur le thème du climat ; évaluation de la méthode et proposition de généralisation à d’autres thèmes.
- Des espaces privés pourront mettre en relation les négociateurs avant les réunions internationales pour partager les informations et échanger des points de vue.
8 : suivi de la présence du français sur Internet :
- Un suivi de la présence du français[14] permettra l’élaboration d’indicateurs de la présence du français sur les sites des organismes internationaux et l’ensemble d’Internet. Les résultats seront communiqués au Conseil des Ministres de la Francophonie pour qu’il puisse mener les démarches nécessaires pour faire progresser cette présence.
9 : concepts clés et thesaurus
- Le développement d’un thesaurus commun à l’ensemble de la Francophonie dans le domaine du développement durable assurera l’interface avec les thesaurus internationaux existants, et permettra une définition et une utilisation commune des mots essentiels du développement durable.
10 : sites miroir
- Mise au point de procédures permettant la duplication des informations vers des sites de proximité
- Evaluation technique des différents sites d’accueil dans une perspective de renforcement de la capacité des pays du sud
3b – Université Virtuelle du Développement Durable[15]
Ce projet vise à faire coopérer des équipes universitaires sur le thème du développement durable. Dans la phase préliminaire des représentants de 9 pays sont impliqués (Maroc, Algérie, Tunisie, Roumanie, Moldavie, Russie, Canada, Belgique et France) mais ce projet est ouvert à d’autres coopérations. Les objectifs sont :
- assurer une réflexion collective sur le développement durable dans la communauté universitaire francophone, et en particulier dans les pays francophones en développement
- mettre en réseau les compétences universitaires et para-universitaires sur des thèmes liés au développement durable dans une approche interdisciplinaire et interculturelle
- réaliser des documents multimédias utilisables par des équipes pédagogiques.
- constituer des groupes de travail virtuels constitués pour chaque sous-thème : l’eau, les technologies appropriées, le management environnemental, les technologies propres, le développement économique durable…
- mettre au point des procédures matérielles et logicielles permettant une coopération internationale efficace et l’appropriation de nouveaux outils de communication.
3c – Université d’été : développement durable et systèmes d’information [15]
L’objectif est l’information et formation des acteurs francophones en matière d’Inforoutes et sur les outils informatiques au service du développement durable. Le public visé est :
- les responsables des administrations et des ONG des pays de l’espace francophone ?
- les points focaux des conventions sur l’environnement et le développement ?
- les scientifiques, chercheurs et enseignants.
Elle permettra des formations de différents niveaux pour la maîtrise des techniques informatiques liées à l’utilisation d’Internet et des systèmes d’information. Trois groupes fonctionneront en parallèle :
- Groupe initiation à l’utilisation d’Internet pour la recherche d’information (courrier électronique, logiciels de navigation, réalisation de pages d’hyper-texte…)
- Groupe Internet avancé pour développer l’offre (réalisation de pages, conception d’un site, maîtrise de logiciels libres…)
- Groupe bases de données géoréférencées et Systèmes d’Information Géographique (cours et démonstrations)
Des activités communes seront organisées :
- conférences et travaux pratiques sur les systèmes d’information (Internet, Systèmes d’Information Géographique, Bases de données…)
- présentation des systèmes d’information des organismes nationaux et internationaux (secrétariat des conventions, organismes des Nations Unies, Communauté Européenne…)
- présentation des programmes de coopération francophone dans le domaine de l’environnement et du développement durable (RELIEF, Bulletin des Négociations de la Terre, Objectif Terre…) et des financements d’équipements (programme Inforoutes francophones)…
[1] dans l’édition française de 1989 du rapport Brundtland et même encore aujourd’hui dans certains documents européens qui utilisent simultanément les deux termes
[2] http://www.fao.org/WAICENT/FAOINFO/SUSTDEV/agr99/fr/default.htm
[3] Christian Brodhag, Pour une labélisation internationale des terroirs : un outil de développement durable Objectif Terre, volume 1, n°2, avril 1999
[4] Mme Renate Husseini équipe Agora 21 , Ecole des Mines de Saint-Etienne (husseini@emse.fr)
[5] Renate Husseini, Florent Breuil, La promotion de l’Environnement et du Développement Durable sur Internet en français. Etude de faisabilité pour accroître la diffusion sur Internet d’informations en français dans le domaine du développement durable, Agora 21 ARMINES ENSM-SE, 1998
[6] Survey on information system related to environmentally sound technologies, April 1996, PNUE
[7] Agenda 21 § 40.1.
[8] Christian Brodhag, Les infrastructures de réseaux et l’environnement, in Annales des Mines, Réalités Industrielles, octobre 1994, pp 56-61
[9] principe d’amélioration continue : PLAN : engagement de la direction, politique/objectifs; planification et programmes. DO : mise en œuvre des dispositions. CHECK : contrôle et audit. ACT : revue du système, efficacité, modification des objectifs, réaction.
[10] La première session de cette Université d’été : développement durable et systèmes d’information, se déroulera en France à Saint-Etienne du 5 au 9 juillet 1999, elle n’est pas financée dans le cadre du projet RELIEF mais participera à consolider le dispositif détaillé ici.
[11] Ces deux bulletins sont pris en charge par ailleurs mais constituent une matière première essentielle et cohérente avec l’ensemble du projet RELIEF
[12] application expérimentale sur http://www.agora21.org/recherche/liste.html
[13] application expérimentale sur http://www.agora21.org/calendrier/dates.html
[14] sur la base du rapport http://www.agora21.org/publications/pres-francoph.html “ La promotion de l’environnement et du développement durable sur Internet en français ”, Agora 21, ENSM SE, ARMINES
[15] coordonnée par l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, Agora 21