Christian Brodhag, a été membre de la Commission Coppens pour la Charte de l’environnement.
La Covid illustre l’opposition fondamentale entre les individus, leurs droits et leurs libertés, et la gestion nécessairement collective d’une pandémie. Les citoyens sont face aux institutions qui brident leurs libertés. Dans une époque de dénonciation en illégitimité de ces institutions, amplifiées par les médias, une partie de l’opinion publique fait plus confiance aux témoignages des citoyens qui leurs ressemblent qu’aux représentants institutionnels, aux médecins praticiens qu’ils côtoient qu’aux chercheurs en blouse blanche considérés comme isolés dans leurs laboratoires.
L’excellent article de Catherine Vincent « Le secret médical au risque du Covid-19 » (Le Monde 10 octobre) fait le tour de la question sous l’angle de la régression de la liberté individuelle. Elle cite l’Académie nationale de médecine qui dénonce les atteintes à deux droits fondamentaux : l’usage de données personnelles de santé, le cas échéant hors du consentement des intéressés, et une nouvelle dérogation au secret médical. « Or le secret médical est un principe majeur du droit des personnes, une composante de la dignité humaine et du respect de la vie privée, un élément fondamental de la relation de confiance médecin malade ».
La validation des vaccins et médicaments nécessite des doubles aveugles qui sont présentées comme des ruptures du serment d’Hippocrate, une dérive « méthodologiste » qui laisserait délibérément une population sans soin comme le proclame Didier Raoult (Le Monde 25 mars 2020). Il ne faut pas considérer le médecin ou le scientifique seul face à « son » essai clinique, mais la communauté scientifique dans son ensemble qui doit avoir accès à des données pour faire avancer la connaissance et les soins.
La France pasteurienne reste attachée à la lutte contre la maladie considérée comme une question individuelle qui se gère au sein d’une relation confidentielle de confiance entre le médecin et le patient. La domination de cette idéologie explique la faiblesse française en épidémiologie notamment environnementale. En effet c’est cette même Académie qui s’opposait au moment du débat sur la charte de l’environnement à établir le lien entre santé et environnement question tranchée par le Président Jacques Chirac en personne puisque la charte porte sur le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Même si l’intention du législateur portait sur les impacts de l’environnement dégradé sur la santé, il est légitime d’en appliquer les principes à la gestion des pandémies : d’une part du fait de leur cause première se trouve souvent dans les dérèglements environnementaux, et surtout de la pertinence de ses principes eu égard à la situation.
Droits et devoirs
La première question porte sur le lien entre les droits et les devoirs. La charte constitutionnelle de l’environnement de 2005 met en avant les devoirs au même titre que les droits dans ses deux premiers articles : (1) « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. (2) Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. » Cette question des devoirs n’est pas nouvelle pour les institutions françaises. Elle était présente dans le préambule de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs… », mais ses articles ne font état que de droits. La déclaration de 1995 dite thermidorienne, préambule de la constitution de la 1ère république était plus explicite dans son titre, « Déclaration des droits et des devoirs du citoyen », et déclinait les devoirs dans plusieurs articles. Elle considérait notamment que « le maintien de la société demande que ceux qui la composent connaissent et remplissent également leurs devoirs ». Mais c’est le texte de 1789 qui a été choisis pour notre constitution plutôt que celui de 1795 qualifié de bourgeois et modéré. Notre culture politique française continue à privilégier les droits sans se référer aux devoirs, à valoriser la liberté sans évoquer la responsabilité.
Décider en situation de connaissance imparfaite
Second apport de la charte, ses trois articles qui se réfèrent aux questions cognitives, c’est-à-dire la connaissance et son partage. Il suffit de remplacer dans le texte le mot environnement par santé pour éclairer la gestion de la COVID qui a nécessité une action politique en situation d’incertitude.
Le principe de précaution qui recommande aux autorités publiques (article 5) « la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » L’éducation et la formation à l’environnement (article 8) qui doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs. La recherche et l’innovation (article 9) qui doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement.
Ces principes font jouer un rôle central aux institutions politiques et un rôle institutionnel à la science. La science est une institution, du fait que les processus mis en œuvre par la recherche échappent au bon sens, à l’expérience quotidienne fusse-t-elle celle de médecins. La science s’appuie sur des méthodes, des processus de validation des connaissances et des statistiques inaccessibles directement aux individus profanes. Gaston Bachelard parlait de rupture épistémologique. Ces procédures scientifiques rigoureuses, reproductibles, ne doivent rien non plus au charisme des chercheurs qui les portent.
Les commentaires et évaluations des politiques menées pour lutter contre la COVID pourraient ultimement se référer à ces principes constitutionnels qui ont une portée plus large que le seul environnement. L’objectif doit être le renforcement de l’efficience institutionnelle, sa crédibilité, sa pertinence et sa légitimité et non son affaiblissement encouragé par la dérive populiste.
Les droits de l’homme sans les devoirs, suite dans Le Monde 18-19 octobre 2020.. Pierre-Yves Gautier et Christophe Perchet Les citoyens ne sont pas des enfants dont on disposerait de manière discrétionnaire. « C’est le lieu de rappeler les idées de Jean-Jacques Rousseau qui expliquait que, en s’agrégeant à la communauté, chacun n’obéit qu’à lui-même, parce que telle est son autonomie de décision, et qu’il sait qu’il a adhéré à un ordre social juste. C’est la seule légitimité de l’Etat. »
Pour ces auteurs :la responsabilité serait naturelle, et ce serait l’Etat qui la corromprait en subordonnant les libertés publiques au système de santé. Le bon sens naturel suffirait donc pour cet exercice sans que soient nécessaires les connaissances scientifiques et les données sur les mécanismes épidémiques.