Le développement durable présenté comme le triptyque économique social et environnemental a tendance à noyer l’environnement sous des considérations qui en affaiblissent le sens. Nous allons tracer dans les lignes qui suivent des pistes qui démontrent que le développement durable conduit à un dépassement des perceptions classiques de l’environnement et jette les bases d’une citoyenneté nouvelle.
Le développement durable conduit à élargir l’approche environnementale
Le développement durable est un contexte de réflexion et d’action qui dépasse les approches traditionnelles de l’environnement. Ce dépassement ne se limite pas à l’intégration de facteurs sociaux, culturels et économiques. Les deux premiers dépassements se situent dans le champ même de l’environnement.
Le premier dépassement conduit à accorder un intérêt aux faibles niveaux de pollution qui peuvent avoir des effets cumulatifs ou lointains dans le temps ou l’espace (gaz à effet de serre par exemple) ce qui nous éloigne de ce qui « environne » l’homme, et les seuls éléments qui peuvent être directement perceptibles. En effet sauf exception locale particulière beaucoup des problèmes environnementaux globaux qui sont la cible du développement durable (climat, biodiversité…) ne sont pas perçus au niveau local avec la même urgence.
Le deuxième dépassement est que l’environnement est considéré comme une ressource, un bien public, qui est la base même du développement. C’est ainsi que sa valorisation est indissociable de sa protection. Ces deux dépassements sont en relation dialectique : ce qui peut apparaître comme utilitariste dans le second est contrebalancé par le premier. La complexité et les incertitudes sur les effets lointains induits par de nos actes, nous empêchent de limiter notre raisonnement à la seule valorisation immédiate de l’environnement. Cette valorisation doit être envisagée à quatre niveaux :
– les valeurs directes, les plus utilitaristes, qui considèrent les usages consommateurs et non-consommateurs de l’environnement,
– les valeurs indirectes apportées par les fonctions et les services des écosystèmes, ce qu’on appelle aussi les services écologiques[[voir à titre d’exemple : Christian Brodhag, Les abeilles butineuses assurent un service écologique, 29 février 2004, www.brodhag.org]],
– les valeurs d’option : qui considèrent les usages et applications futures possibles, c’est à dire ce qui pourrait être des valeurs directes pour les générations futures,
– les valeurs de non-usage enfin qui s’attachent aux valeurs culturelles, esthétiques, patrimoniales, de legs aux générations futures.
La régulation de ces différentes composantes ne peut se limiter à une régulation économique (par la propriété ou le marché) ou législative et réglementaire. Il est aussi nécessaire de patrimonialiser les biens publics environnement, au même titre que le patrimoine culturel. Il faut noter à cette première étape la composante éthique de l’environnement.
Mais le développement durable implique aussi un dépassement sur les plans procéduraux.
Le troisième dépassement est celui de la gouvernance qui intègre de nouveaux acteurs à la décision. La gouvernance a une composante politique, celle qui permet la prise en compte de l’intérêt des parties intéressées, et une composante cognitive, par apport mutuel d’information et d’expertise scientifique. Le quatrième qui lui est lié est l’obligation redditionnelle (accountability), celle de rendre compte grâce à des systèmes de rapportage (reporting) ou d’accès à l’information. Cet accès à l’information environnementale est sans doute un apport du droit de l’environnement au développement durable, au point où cette obligation de rendre compte s’élargit pour les entreprises aux composantes sociales et économiques.
Ces deux éléments, la gouvernance et l’information, entretiennent aussi des rapports étroits, au point où nous pourrions proposer d’introduire la notion de gouvernance éclairée, pour souligner cet aspect cognitif, pour lequel l’éducation relative à l’environnement a un rôle essentiel à jouer, depuis le simple citoyen jusqu’au décideur.
Le cinquième est ce qu’on appelle le renforcement de capacité des autres partenaires qui est la base d’approches partenariales. Il ne s’agit pas de chercher à exercer des rapports de force pour avoir accès aux ressources de l’environnement mais d’en garantir aussi l’accès aux acteurs faibles, démunis voire absents. Le sixième est celui de la recherche systématique de l’amélioration continue dans l’usage des ressources environnementales. Il s’agit plus de s’appuyer sur la recherche de l’innovation et de l’excellence que sur la contrainte (administrative, réglementaires, fiscale).
Tous ces éléments imposent d’introduire dans les approches de l’environnement une composante politique tournée vers l’action.
Le septième dépassement, qui est celui auquel on pense en général en premier quand on évoque le développement durable, est l’intégration. Le principe d’intégration considère qu’il est nécessaire d’envisager les problématiques économiques, sociales et environnementales, voire culturelles de façon intégrée et non plus de façon sectorielle. Cette intégration s’appuie en général sur la recherche de stratégies et de projets qui soient gagnants sur chacun de ces points, c’est-à-dire qui prennent en compte les intérêts d’un plus grand nombre de parties intéressées. Il conduit à des décloisonnements comme le fait que certains objectifs de santé et d’hygiène passent par des politiques dans le domaine de l’éducation et de l’assainissement. Dans le domaine de la connaissance ce principe implique des approches transversales et pluridisciplinaires nouvelles.
L’éducation à l’environnement est donc un des éléments clés de la capacité collective à orienter les sociétés vers le développement durable[de la même façon que les systèmes d’information, c’est la vocation du projet francophone Médiaterre que de permettre les échanges d’informations et de connaissances sur le développement durable en langue française [www.mediaterre.org ]].
L’homme multidimensionnel
Mais ce principe d’intégration sociale, économique et environnementale, ne se limite pas à un processus de relation entre des acteurs ou des disciplines mais passe par nous même. Comme citoyen nous avons quatre rôles :
– Celui de l’électeur qui limite souvent la citoyenneté au simple exercice démocratique des élections, dans une posture « vote et oublie ».
– Le consommateur qui doit devenir un « consommacteur », la consommation et les modes de vies sont en effet des facteurs essentiel vis-à-vis des impacts sur l’environnement.
– L’investisseur, même si cela ne concerne pas tout le monde, l’usage de l’épargne n’est pas neutre, orientons les investissements vers l’investissement responsable.
– L’être biologique qui considère que comme élément de la biosphère il est indissociable des cycles écologiques et des chaînes alimentaires.
Il s’agit de réunifier ces quatre composantes et de les mettre en cohérence, et de cesser avec cette forme de schizophrénie où les actes de chacun ont des effets que chacun souhaiterait éviter par ailleurs.
L’éducation condition de l’exercice de l’écocitoyenneté
L’éducation est donc au service de la citoyenneté. Avec le développement durable cette citoyenneté est proprement planétaire, notre Terre Patrie. Il est utile de se replacer dans une perspective universaliste, dans le contexte de l’histoire des droits de l’homme. Avec les droits politiques, conquis lors de la révolution française, et les droits sociaux et économiques formalisés au milieu du XXème siècle, la France envisage de se doter à l’aube du XXIème siècle d’une troisième génération de droits de l’homme, ceux liés à l’environnement. La charte de l’environnement devrait être placée au côté de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. La principale nouveauté réside dans le fait qu’aux notions de droits de l’Homme développés dans ces textes hérités de l’histoire, la charte approche simultanément et au même niveau les droits et les devoirs.
Le projet de Charte de l’environnement commence ainsi : « Le peuple français, considérant,
« que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ;
« que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
« que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
« que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;
« que la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ;
« que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;
« qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ; « proclame :
Art. 1er. – Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé.
« Art. 2. – Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. »
Il est dans la tradition française, celle du siècle des lumières, d’éclairer l’action publique par le savoir. C’est pourquoi il faut insister sur le développement de la science éclairante au côté de la science agissante. L’énoncé actuel de la charte privilégie l’information, l’éducation et le recours à la science pour éclairer les débats et permettre au citoyen d’assumer à la fois ses droits et ses devoirs. Les droits et devoirs des personnes, qu’elles soient simple citoyen, scientifique, administration ou acteur économique, reposent en premier lieu sur le développement, la transmission des connaissances et des informations accumulées en matière d’environnement. Ces points font l’objet des trois derniers articles du projet de charte :
« Art. 7. – Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement
« Art. 8. – L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.
« Art. 9. – La recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement. »
Ce projet rencontre quelques difficultés. A l’observation des débats qui ont lieu sur la charte de l’environnement on se rend compte à quel point le défaut d’éducation environnementale rend difficile l’exercice de la démocratie.