Le débat sur les fonds de pension en France a surtout opposé les systèmes par répartition et par capitalisation. Notre propos ne concerne pas cet aspect du problème, mais celui du marché financier. Certaines fluctuations boursières ont été attribuées au comportement « inamical » de Fonds de pension américains. Certains d’entre eux s’en défendent en faisant justement valoir que la vocation d’un fonds de pension est de maximiser sa valeur à long terme, et donc de ne pas s’engager dans des spéculations de court terme, qui s’avéreraient hasardeuses. C’est sous ce premier angle purement temporel, d’échapper à la dictature du court terme, que le débat se déplace vers la nécessité de qualifier le développement durable des entreprises.
Il rejoint en cela une évolution américaine des fonds éthiques, puis des fonds verts, bien plus ancienne.
On peut faire en effet remonter à la guerre du Vietnam cette idée que des investisseurs/citoyens pouvaient s’intéresser à l’usage de leur argent au-delà de la rentabilité financière. Des portefeuilles d’entreprises qui ne participaient pas de près ou de loin à la guerre de Vietnam ont ainsi été constitués. Les méthodes d’évaluation se sont développées, et se sont ensuite intéressées à l’environnement, avec la même motivation éthique.
Au début des années 90 un cabinet d’évaluation de portefeuille boursier (Investor Responsibility Center) a montré une corrélation entre la rentabilité des entreprises et leur vertu environnementale. Sur un échantillon des 500 premières entreprises américaines, les 250 qui avaient le moins de litiges environnementaux avaient un retour sur investissement de 40% supérieur aux 250 entreprises les moins vertueuses. Sans doute, en mélangeant des entreprises industrielles lourdes et d’autres orientées vers les services, l’étude introduit des biais, mais la plupart des études, qui ont suivi, convergent : si on ne peut pas toujours prouver que l’efficacité environnementale va de pair avec l’efficacité économique de l’entreprise, elle ne la contredit pas.
Cette seconde approche du développement durable des entreprises, privilégie les angles environnemental et social. Elle vise à créer des systèmes d’évaluation et des indicateurs pour qualifier des entreprises dites de développement durable.
Ces approches ouvrent un débat ambigu et idéologique entre des arguments d’opportunité et de contrainte. Les uns, le plus souvent au-delà de l’Atlantique (ou de la Manche), voient là une justification de l’efficacité du marché pour améliorer l’environnement, et même pour apporter des régulations sociales. Les autres s’insurgent en considérant que la vertu environnementale ou sociale a nécessairement un coût, et qu’il appartient à l’Etat, et non au marché, de réguler par la réglementation et la fiscalité. Cette dualité, on la retrouve avec l’opposition entre le marché des permis d’émission et le politiques et mesures nationales, qui a sous tendu les débats de la 5ème session de la Conférence des Parties de la Convention Climat qui s’est achevée ce vendredi 5 novembre à Bonn.
Le problème est moins de mettre en opposition le message de la mobilisation vertueuse d’une part et la contrainte réglementaire de l’autre, que de noter l’élargissement des porteurs de contrainte dans le domaine environnemental et social. Les Etats et la réglementation ont un rôle essentiel à jouer mais ils ne peuvent pas porter l’ensemble du fardeau. L’actionnaire individuel doit pouvoir donner un sens à ses investissements, qui ne se limite par à la spéculation de court terme. Les investisseurs institutionnels ou les fonds de pension doivent pouvoir privilégier la rentabilité à long terme de leurs investissements.
Dow Jones devrait présenter à l’occasion de l' »European Pension Schemes Summit » qui se tient à Paris le 8 et 9 novembre à Paris , un portefeuille d’entreprises de « développement durable » fondé sur des indicateurs. Les critiques fusent actuellement sur le principe même de mélanger le développement durable , c’est à dire des arguments sociaux et environnementaux, à un système boursier qui relèverait de l’horreur économique. Peu se sont intéressés à la méthode et aux indicateurs eux-mêmes, qui sont particulièrement contestables, mais ceux ci ont la vertu d’ouvrir un débat sur l’entreprise et son rôle. Dow Jones aurait dû exclure certaines filières industrielles à priori comme le tabac. L’ensemble des indicateurs est tourné vers les composantes de l’efficacité de l’entreprise mais pas sa responsabilité à l’extérieur (travail des enfants…).
Un système équivalent, et plus pertinent, existe déjà en France développée par l’AreSE entreprise créée sur l’initiative des groupes Caisses d’Epargne et Caisse des Dépôts et Consignations . Son portefeuille développement durable semble évoluer mieux qu’un échantillon d’entreprises standard. Est-ce critiquable de concilier intérêt collectif et individuel en informant l’épargnant-investisseur de l’usage fait de son argent ?
Alors que le système boursier se comporte comme une bulle, et le commerce mondial se développe sans régulation environnementale ou sociale, le développement durable apparaît aujourd’hui comme une tentative de régulation avec des méthodes nouvelles. Il ne s’agit certes pas de crever la bulle du marché, mais d’y pénétrer, et de permettre aux épargnants de faire valoir leurs préférences éthiques dans leurs investissements. En effet « crever la bulle » ne se ferait pas sans d’irréparables dégâts sociaux et humains, doit-on le rappeler soixante dix ans presque jour pour jour après le jour noir du krach de Wall Street et de la crise d’octobre 29 qui a déclenché les épisodes les plus sombres de l’histoire de notre siècle finissant ?
En revanche qui a décidé de ces référentiels ? Des techniciens et des experts, c’est cela qui n’est pas acceptable. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) proposait le « développement d’indicateurs de développement durable après consultation des parties prenantes, utilisés pour la comparaison des performances (environnementale, économique et sociale) dans et entre les secteurs industriels. » Il s’agit là d’un débat à ouvrir aux parlements, élus, associations, syndicats… c’est à dire à l’ensemble des composantes de la société. Ce ne sont pas aux organismes financiers ou boursiers de définir ces référentiels. Comme ce n’est pas le rôle de l’OMC de faire de l’environnement et du social, mais à un système de régulation mondial, de gouvernance mondiale qui doit lui être nécessairement extérieur.
Inventer un contrôle social, introduire des régulations environnementales au sein du marché sont des enjeux essentiels. Le citoyen/consommateur doit y jouer son plein rôle. Doit-on rappeler que l’aventurisme américain des Organismes Génétiquement Modifiés a été (partiellement et provisoirement) enrayé, non par une décision politique des Etats européens, mais par les consommateurs. La demande de transparence et d’étiquetage des produits a été plus efficace que des interdictions administratives de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. Il en est de même pour le citoyen/investisseur épargnant, il doit pouvoir connaître le comportement éthique, social environnemental de ceux à qui il confie son épargne.
La citoyenneté mondiale est en fait l’enjeu majeur au moment où s’ouvre le cycle de négociation de l’OMC à Seattle.