La morale s’est invitée au cœur du débat présidentiel. Une part de l’opinion publique ne se satisfait plus de ce qui légalement autorisé pour s’intéresser aussi à ce qui est moralement acceptable. Cette question de la morale a été le plus souvent en France cantonnée au champ religieux ou à des traditions et donc de facto exclu du champ laïc et de la modernité. Le champ de l’action publique est alors uniquement régit par la loi et un modèle rationnel légal. L’intégration de ces questions morales dans la société relève de l’éthique, c’est-à-dire la façon dont des problèmes de morale, personnels ou communautaires, sont publiquement discutés, promus et déclinés dans des déontologies qui les rendent opérationnels dans des contextes professionnels notamment.
La progression de l’éthique permet une progression de la confiance tant au niveau public en améliorant la gestion des biens publics et des communs, que privé en renforçant l’efficacité du marché.
Sur un plan interpersonnel et privé tout d’abord, toute relation de coopération et d’échange laisse des espaces de vulnérabilité qui peuvent être exploités par la tromperie d’un des acteurs et donc empêcher l’établissement d’une véritable relation de confiance. Dans une relation contractuelle, les contrats sont nécessairement incomplets. Si l’un des contractant cherche à en exploiter les failles, il rompt la confiance. Sur le plan institutionnel, il en est de même, les règles de fonctionnement de la société sont formalisées dans le droit, mais celui-ci laisse toujours des failles qui peuvent être exploitées par des opportunistes, détournant l’objectif de la loi.
L’une des solutions est de renforcer l’arsenal juridique, de prévoir des clauses formelles anticipant chacun des détournements possibles. Il faut alors rédiger des contrats fleuves, avec des clauses nombreuses et précises. Il faut une loi précise dans les détails. Mais, plus il se complexifie, plus le droit formel laisse la place à des incohérences nid à contentieux. La judiciarisation des rapports est source de défiance, alors que la progression de l’éthique est source de confiance.
L’ISO26000 au 7 principes
Le monde complexe auquel la politique doit répondre, les mutations à conduire, les innovations à promouvoir, ne peuvent se limiter à la compétition encadrée par le droit, elle doit aussi permettre des coopérations s’appuyant sur la confiance, c’est-à-dire basée sur des principes éthiques partagés, tant aux niveaux individuels, qu’organisationnels et institutionnels.
Au niveau des entreprises et des organisations ces principes relèvent de la responsabilité sociétale. Elle a été formalisée au niveau international dans un processus impliquant près de 100 pays représentés par 6 parties prenantes (gouvernements, entreprises, syndicats, consommateurs, associations, et consultants et académiques). Cette norme d’orientation ISO 26000 propose 7 principes : redevabilité, transparence, comportement éthique, reconnaissance des intérêts des parties prenantes, respect du principe de légalité, prise en compte des normes internationales de comportement et du droit international, respect des droits de l’homme. Cette norme ne vise pas à se substituer aux institutions, mais à les renforcer, elle prône d’aller plus loin que l’application du droit.
Ce monde complexe est aussi caractérisé par la dimension scalaire des problèmes auxquels nous devons faire face notamment en matière de développement durable. Il s’agit de l’échelle géographique, car il faut embrasser tous les niveaux de la planète au territoire local. Il s’agit aussi de l’échelle temporelle, car il faut répondre aussi bien à l’immédiateté du court terme qu’à la conduite de mutations à des horizons lointains 2050 voire 2100. Le droit n’est qu’un élément du projet collectif que doivent porter les responsables politiques.
Si le responsable politique exploite sa position d’autorité pour ses intérêts personnels et non pour l’intérêt collectif dont il doit être porteur, il rompt la relation de confiance nécessaire avec le peuple. Le pantouflage de Barroso chez Goldman Sachs, la banque qui a aidé la Grèce à maquiller ses comptes, est légal mais ruine la confiance dans les institutions européennes en entachant de suspicion a posteriori l’ensemble de son mandat. La confiance dans les dirigeants est l’un des éléments clé du bon fonctionnement des institutions.
Renforcer les institutions
Mais cette question ne concerne pas que les responsables politiques à titre individuel, elle concerne les institutions elles-mêmes. Les institutions doivent faire face à une demande sociale de nature morale d’une part, mais plus grave elles sont l’objet d’un rejet par les populismes. Ces derniers prônant l’immédiateté, le contact direct et la proximité, rejettent « le système » ce terme valise qui rassemble à la fois les institutions et les médiations sociales, supposées se liguer contre le peuple. Mais celles-ci ont elles mérité la confiance ? Face au populisme et au rejet des autorités, comment restaurer la confiance dans les institutions et vis-à-vis de ceux qui ont l’autorité pour les animer ?
La confiance dans les institutions et les règles qu’elles édictent tient à quatre éléments : la légitimité, la crédibilité, la pertinence et l’efficacité.
La légitimité exprime l’adhésion de la population à la manière dont elle est gouvernée, où le comportement éthique des dirigeants tient une part tant en amont de l’élection qu’en aval dans l’exercice du pouvoir. Elle est en effet tout d’abord issue du processus électoral lui-même au moment de la délégation de pouvoir du peuple vers ses responsables politiques. Elle tient à la nature du débat politique et à la capacité des candidats à proposer des options politiques crédibles et pertinentes. Le comportement électoraliste entache cette légitimité, il consiste à formuler des propositions non faisables mais populaires, ou à éliminer des faits et des connaissances établis qui seraient contraires aux souhaits. La pire étant le complotisme, qui transforme les faits négatifs en des intentions cachées. Mais cette légitimité doit s’entretenir tout au long du mandat par la crédibilité, la pertinence et l’efficacité des politiques menées.
La crédibilité tient à la façon dont le pouvoir est exercé et donc les processus mis en œuvre pour prendre la décision et des bases sur lesquelles sont prise les décisions. C’est notamment la prise en compte des connaissances scientifiques et l’indépendance vis-à-vis d’intérêts particuliers et de lobbies, particulièrement nécessaire dans le domaine de la santé et de l’environnement. La posture climato-négationniste de Donald Trump a été dénoncée par le candidat à la primaire démocrate de 2016, Bernie Sanders, sur ce registre « C’est impensable que le leader de la première puissance mondiale ne croit pas à la science ». L’autorité politique doit s’incliner devant l’autorité scientifique, à condition que celle-ci soit établie elle-même de façon crédible.
La pertinence des politiques et des mesures qui sont décidées tient à la cohérence entre les objectifs affichés et les moyens mis en œuvre. Le développement durable impliquant un élargissement des objectifs et de considérer l’ensemble des impacts. Rappelons l’article 6 de la Charte de l’environnement qui a valeur constitutionnelle : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».
Enfin l’efficacité tient aux effets réels des politiques menées en comparaison des objectifs affichés. Mesurer cette efficacité implique l’évaluation de l’impact des politiques.
La mise en œuvre de ces principes et objectifs, leur amélioration continue, et donc la restauration de la confiance envers les institutions, relève de l’évaluation des politiques publiques. Mais cette évaluation doit être plurielle : expertes par les scientifiques, administrative par les corps d’inspection, partenariales avec les partenaires sociaux et les corps intermédiaires et citoyenne dans des processus participatifs. C’est la combinaison et la cohérence entre ces processus de rétroaction qui permettra de restaurer la confiance.
Le sens de l’intérêt collectif et des principes éthique doivent progresser dans l’espace public. La confiance dans ceux qui portent cet intérêt collectif doit être restaurée. Confiance dans la classe politique, confiance dans l’administration, confiance dans les scientifiques, confiance dans les experts… Tous ceux qui sont en situation d’autorité et de pouvoir doivent assumer leur part de la responsabilité sociétale. Les mêmes principes éthiques doivent être promus pour chacun d’entre eux. Ce n’est pas un rêve utopique mais une obligation plus efficace que le simple anathème contre le populisme.
La chronique de Christian Brodhag, Valeurs Vertes, mars/avril 2017 n°145 http://www.valeursvertes.com/ethique-et-responsabilite/