Le mouvement des gilets jaunes interpelle l’approche de la transition écologique et devrait conduire à envisager une véritable politique de développement durable intégrant les dimensions économiques et sociales. Le prix du carburant ne doit pas cacher l’absence de politique d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
Aujourd’hui 1/3 des français dépend de la voiture pour se rendre au travail et avoir accès au commerce, à l’éducation et aux loisirs. Les causes sont connues : l’étalement urbain, l’augmentation de la distance entre les lieux de travail et l’habitat et des zones d’activité et des zones commerciales uniquement accessibles en voiture.
Ces évolutions ont été largement promues par les institutions et les élus. Les conditions économiques qui combinent le prix du foncier et la fiscalité locale privilégient aussi cette évolution. Certains justifiaient ce rapprochement avec l’espace rural par des arguments écologiques : « j’aime la nature ». Ces évolutions ont des effets désastreux sur les émissions des gaz à effet de serre et l’artificialisation des terres qui impacte la biodiversité et les espaces agricoles. Elles font de l’encombrement urbain un calvaire journalier pour ceux qui en sont victime.
Face au mouvement des gilets jaunes contre les hausses du carburant le gouvernement propose des aides au remplacement des véhicules anciens. Les quelques pourcents de diminution de la consommation des véhicules n’est absolument à hauteur. La voiture électrique qui n’est pas exempte de problèmes environnementaux ne peut être la panacée.
La gestion de la question climatique par le seul prix du carbone qui est la doxa actuelle est une théorie pernicieuse. L’illusion rationnelle de l’unicité du prix du carbone partout et en tout lieu pose un problème d’équité, celui de l’utilité sociale et du consentement à payer. L’utilité d’une part ; l’usage de l’automobile pour se rendre au travail d’un côté et les loisirs de soi-disant sports mécaniques ou la consommation ostentatoire de grosses cylindrées ne peuvent pas être considérés de la même façon. Depuis Thorstein Veblen il a plus d’un siècle, on sait que le prix peut avoir un effet inverse sur la consommation de certaines classes aisées (la classe de loisir) en devenant un signal d’appartenance sociale. Les vedettes du show business et du football s’empressant d’afficher leur richesse par des voitures de luxe. Plus c’est cher plus on consomme. Ce problème d’équité est exacerbé au niveau international entre les pays développés et en développement.
Ces considérations ne veulent pas dire que l’absence du prix du carbone ne contribue pas à son émission massive, mais que le prix du carbone doit être un élément d’une politique plus large. On ne peut nier que les pays comme les Etats-Unis, où le carburant est peu taxé, disposent d’un parc d’automobiles bien plus gourmandes que celles des pays taxant fortement le carburant. Mais cela ne fait pas du prix du carburant la solution unique et déterminante pour maitriser les émissions du secteur.
La doxa économique est fondée sur le consommateur rationnel pour qui le signal prix l’oriente vers le choix optimum, car il adopte la meilleure solution en arbitrant entre les différents choix possibles, et ce prix du marché stimule d’offre. Ce modèle idéal ne permet pas d’appréhender l’enjeu pour différentes raisons.
La première est de nature informationnelle. Ce modèle suppose que le consommateur connaisse les différentes options et qu’il puisse calculer les coûts réels de ces options, et faire le choix ce qui n’est pas le cas à l’évidence. On parle de rationalité limitée. Déjà dans les marchés entre entreprises (B to B) ce n’est pas le cas. La limite de la rationalité dans ce cas est organisationnelle, les options environnementales sont rejetées par ignorance. Alors que l’écoconception couplée à innovation est rentable, elle n’est mise en œuvre que de façon marginale. Mais c’est encore plus vrai pour les citoyens qui ne disposent ni de l’information ni de la capacité à comparer réellement les options.
La seconde limite est de nature temporelle car les choix d’investissement sont déterminants. Or ces investissements sont limités par la priorité au présent. Cette priorité prend des formes diverses. Pour les entreprises c’est le ROI le temps de retour sur investissement qui élimine des solutions rentables mais qui ne sont pas assez. Pour les citoyens les moins aisés c’est la fin du mois. Certes malgré les mécanismes d’actualisation qui permettent d’intégrer le moyen terme ou l’approche cycle de vie dans le temps (durée de vie des produits) et dans l’espace, les critères adoptés pour les marchés publics ou privés privilégient le plus souvent le moins disant à court terme sans prendre en compte le coût complet.
La troisième limite est l’absence de solutions alternatives. Une fois le choix de localisation de son logement, loué ou a fortiori acheté, les conséquences sur la distance domicile-travail sont quasi irréversibles. Le comportement ne peut s’ajuster à un changement du prix du carburant, on parle ici de faible élasticité.
Les individus, qui sont placés dans la « précarité mobilité » du fait des conditions économiques et sociales dont ils ont été les victimes, ne peuvent accepter d’être les seuls otages, il faut leur offrir des alternatives. Le levier fiscal qui pèse sur les individus doit être accompagné par des solutions pour échapper au prélèvement.
La première responsabilité incombe aux collectivités locales et à l’Etat, à l’absence de considération de l’enjeu écologique à sa bonne hauteur et de cohérence des politiques.
Ces solutions ne sont pas individuelles pour la plupart. Il faut offrir des options de transport collectif, et pour le diffus, l’organisation ‘massive’ du covoiturage.
Mais soulager les difficultés actuelles ne doit pas aggraver la situation. La prise en charge sociale de la mobilité, les chèques transports ou la prise en charge de la moitié des coûts d’abonnement encourage l’étalement.
Il faut arrêter l’aggravation du mal : cesser l’urbanisation dans l’espace rural, ne pas construire d’infrastructures routières nouvelles. Cela impose de se poser la question des critères qui conduisent les familles, dont l’activité professionnelle est urbaine, d’aller habiter dans le rural distant. Les critères sont économiques notamment du fait le différentiel du prix du foncier et des impôts locaux, mais aussi qualitatif l’urbanisme et les logements. Les jardins familiaux, ou ouvriers, peuvent maintenir en ville ceux qui voudraient disposer de leur quarré de jardin.
Il faut aussi que l’espace rural et les villages ne conçoivent pas leur développement comme villages dortoirs, mais comme un espace créateur de valeur, d’activité et d’emploi. La transition écologique offre de multiples opportunités à travers notamment le développement des services écologiques et de la production d’énergies renouvelables… Le numérique permet de développer des emplois tertiaires. Les territoires ruraux et leurs habitants ne seront alors plus contraints à ne voir l’emploi et l’accès au commerce seulement en ville.