Christian Brodhag
Professeur émérite à l’École des Mines de Saint-Étienne,
Président de Construction21, durabiliste[1]
Texte paru dans le numéro spécial de Préventique sur la transition écologique ; Télécharger l’article en PDF
Atteindre les objectifs de développement durable pose un double problème : la coordination des échelles spatiales et temporelles et le suivi des résultats. La coordination des institutions internationales, nationales et locales exige le respect de critères stricts et partagés. Ce chantier de renforcement institutionnel permettrait en outre de restaurer la confiance des citoyens.
Atteindre les objectifs climatiques et les objectifs de développement durable (ODD) nécessite de profonds changements. Mais ce ne sont pas les injonctions médiatiques à changer, les appels à la rupture, la culpabilisation qui résoudront ces problèmes, mais les politiques et les institutions aptes à conduire ce changement.
Les défis posés à la politique
Ces engagements posent deux défis à la politique. Le premier est celui des échelles temporelles et institutionnelles. Les responsables politiques sont concentrés sur un « ici et maintenant », rendant difficile de penser « ailleurs et demain ». Alors décliner concrètement un programme international de développement durable sur la période 2015- 2030 et engager une transition climatique dans la période qui nous sépare de 2050 sont de véritables défis.
Le second défi est l’obligation de résultats, car ces processus sont assortis d’objectifs chiffrés. Les responsables politiques se sentent engagés par la mise en œuvre de leur programme et de moyens, mais pas sur des résultats. Il est facile pour des responsables politiques de souscrire à des engagements 2020, 2030 ou 2050, sans fixer une trajectoire permettant l’évaluation annuelle, car ils ne seront plus en responsabilité au terme de la période.
La réalité de la mise en œuvre des engagements est une question d’architecture institutionnelle. Les institutions organisent le cadre dans lequel se déploient les processus économiques et agissent les acteurs. Ces institutions établissent des règles, fournissent des informations et connaissances ou allouent des ressources qui vont orienter les comportements de ces acteurs.
Relever les défis climatiques et environnementaux et conduire les changements nécessaires n’est possible qu’avec un arrangement institutionnel qui coordonne les institutions internationales, nationales et locales. Il implique aussi de renforcer le rôle institutionnel de la science, dont les diagnostics, ceux du GIEC notamment, et les faits avérés doivent s’imposer aux institutions politiques.
Les quatre qualités des décisions
La capacité des institutions à entrainer réellement les acteurs dépend de quatre qualités de leurs décisions qui sont étroitement liées : leur crédibilité, leur légitimité, leur cohérence et leur pertinence.
La crédibilité est relative à la perception par les acteurs de la qualité, de la validité et de la robustesse de la décision et de la connaissance qui la fonde. Les relations entre science et politique sont au cœur de cette question.
La légitimité reflète le sentiment que le processus politique a pris en compte la diversité des intérêts et des systèmes de valeurs et de croyances. Elle s’acquiert notamment par des processus de dialogue et d’échange avec les parties prenantes.
La cohérence implique d’éliminer les contradictions entre les injonctions des différentes institutions. Les mêmes objectifs de développent durable doivent s’imposent à toutes les composantes de l’institution, ils ne peuvent pas être le fait d’un ministre ou d’un adjoint au maire, en conflit avec les autres. Des activités non durables restent subventionnées alors que leurs effets néfastes sont pris en charge par ailleurs.
La pertinence fait référence au fait que la décision ou la connaissance sont pertinentes pour une situation donnée et bien adaptées pour obtenir les objectifs annoncés. L’évaluation de l’impact des politiques et les retours d’expérience contribuent à améliorer cette pertinence.
Ce renforcement institutionnel qualitatif doit s’appuyer sur deux mécanismes principaux :
– la redevabilité, c’est-à-dire rendre compte de la façon dont les décisions sont prises et les résultats évalués ;
– la participation avec l’implication des parties prenantes aux étapes d’élaboration comme d’évaluation de la mise en œuvre des politiques.
Les institutions pour le développent durable issues de Rio 2012 se situent sur ces perspectives.
L’engagement des ODD
Le dispositif de l’engagement des pays pour les ODD est assorti d’un processus de coordination entre les niveaux institutionnels, par une déclinaison à chacun des niveaux. Les pays et les collectivités locales sont encouragés à aligner leur stratégie sur les ODD, à identifier ceux qui sont pertinents à leur niveau, d’en traduire une stratégie et des programmes, d’évaluer la mise en œuvre et d’en rendre compte. Ce processus doit associer les acteurs et la société civile à chaque étape.
Les ODD portants sur une période 2015-2030 permet le déploiement de stratégies et de programmes qui dépassent les mandats électoraux. Cette continuité institutionnelle permet une évolution qui s’appuie sur une évaluation à chaque étape de l’avancement des résultats.
Les obstacles rencontrés
Dans la réalité ces propositions rencontrent des obstacles de différentes natures.
Les alternances politiques. Les nouveaux élus font table rase des processus lancés par leur prédécesseur. En France la succession des processus stratégie de développement durable, grenelle de l’environnement et transitions, a détruit les expériences et toute capacité d’évaluation.
La bureaucratisation. Les processus proposés par les Nations Unies sont appliqués de façon purement formelle et administrative sans lien avec les principaux processus de décision politique et de communication politique relayé par les medias. Les rapports de développement durable nationaux comme locaux restent un pensum administratif, mais pas un outil de gestion stratégique. Ils relèvent le plus souvent du greenwashing et de la communication.
La déconnexion des systèmes d’évaluation de la décision. Les indicateurs captés par les organismes de statistiques ne sont pas formatés pour l’évaluation fine des décisions, et pas utilisés à cet effet par les décideurs.
Un pilotage du changement par la contrainte. Les contraintes fiscales et réglementaires sont déconnectées de l’objectif d’innovation. L’augmentation du prix du carburant, par exemple, apparait comme un revenu fiscal pour l’État prélevé sur des contribuables captifs, à qui on ne propose pas de solutions alternatives.
L’objectif de changements axés sur l’innovation doit avoir deux composantes : la création de valeur économique et sociale par les nouvelles solutions et la gestion active de la destruction créatrice qui accompagne l’innovation, c’est-à-dire accompagner les reconversions.
Ce chantier de renforcement institutionnel, autour de thèmes d’intérêt collectif, permettrait d’entraîner la société pour tenir ces engagements, mais aussi de faire progresser la confiance dans les institutions et ainsi de lutter contre les populismes.
« ce renforcement institutionnel qualitatif doit rendre compte de la participation avec l’implication des parties prenantes»
[1] C’est-à-dire engagé dans la science de la durabilité telle que la définit l’UNESCO