Afin de capitaliser des points de vue complémentaires sinon out of the box et d’ouvrir le champ des possibles, France Qualité a décidé de recueillir les réactions, avis, visions de « Grands Témoins » autour de la thématique Qualité.
Ces Grands Témoins peuvent être des dirigeants, des spécialistes connus-reconnus de tout ou partie du périmètre des démarches de progrès/de maîtrise des risques, mais également des personnalités du monde artistique, sportif, médiatique…
Découvrez la septième interview, menée par Marie Cornet-Ashby
Christian BRODHAG est professeur émérite à l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne (membre de l’Institut Mines Télécom). Il est ingénieur civil des Mines et docteur ès sciences, ses travaux et son enseignement portent sur le développement durable, la responsabilité sociétale et l’innovation. Il a dirigé 14 thèses sur ces thèmes et contribué à plus de 250 articles scientifiques. Très tôt engagé sur l’environnement sur le plan associatif et politique, il a été porte-parole national des Verts en 1989 et 1990, et conseiller régional. Nommé président de la Commission Française du développement durable en 1994, il s’est ensuite consacré à ce sujet en suivant depuis 25 ans les processus internationaux sur le développement durable et les changements climatiques. Il a par exemple piloté le processus préparatoire francophone à la Conférence Rio+20 en 2012 et présidé la Taskforce internationale sur le tourisme durable (10YFP). Il a été Délégué interministériel au Développement durable du gouvernement français (2004- 2008).
Président de la commission de normalisation de l’AFNOR entreprise et développement durable en 2000, il est coauteur de la méthode de réflexion stratégique SD21000. Il a représenté le gouvernement français dans la délégation française à l’ISO 26000, norme sur la responsabilité sociétale des organisations.
Considérant que l’accès à l’information et aux connaissances pour mener la transition écologique est essentiel, il préside aujourd’hui Construction21, portail international sur la construction et la ville durable (www.construction21.org) et l’association le Pôle national écoconception français (www.eco-conception.fr) qui accompagne les entreprises dans l’intégration de l’environnement dans la conception des produits et services.
Que signifie pour vous la qualité ?
À mon sens, elle représente un processus qui permet d’assurer la bonne adéquation entre les moyens et des objectifs de progrès, c’est-à-dire d’améliorer et de garantir une performance.
C’est dans ce sens qu’elle va au-delà d’un système de management et de procédures en visant l’amélioration de la performance elle-même. Donc toute la problématique réside dans le fait d’allier qualité et performance, comme le fait d’ailleurs votre revue.
Les grands enjeux de la transition écologique m’intéressent de près, là en l’occurrence, la qualité y est globale et multicritères. Le développement durable doit répondre à des enjeux environnementaux et sociaux et plus seulement économiques. La recherche de la qualité y est centrale.
Les approches de management de la qualité permettent de confronter l’objectif, la stratégie et le monde réel. Il existe toujours un écart entre les intentions, les modèles de représentation et la réalité. Pour moi, la boucle de rétroaction dans le système de qualité est fondatrice. Une première boucle porte sur la mise en œuvre technique, et une seconde boucle contribue à l’apprentissage organisationnel, l’organisation apprenante, grâce au retour de terrain. Je considère au niveau plus global et sociétal, une troisième boucle, qui touche au changement des paradigmes et des constructions mentales. La transition écologique et les changements induits relèvent d’une boucle impliquant les parties prenantes et l’expérience, c’est à dire une innovation ouverte en amont et une évaluation des usages en aval.
« Les approches de management de la qualité permettent de confronter l’objectif, la stratégie et le monde réel. »
Comment en parler plus et mieux ?
Le processus de qualité doit pouvoir s’adapter à tous les contextes, c’est ainsi que l’on en parlera. Les normes servent de base, de soutien, d’appui : une universalité des approches générales très intéressante. Néanmoins, il est fondamental de l’incarner, c’est-à-dire de l’illustrer des processus complexes et pas seulement des procédures.
Qu’en est-il de votre parcours personnel et de vos centres d’intérêt à cet égard ?
Je suis engagé sur le développement durable. Dans ce domaine, j’ai notamment présidé le groupe de travail de l’AFNOR, qui a conduit au SD 21000 des lignes directrices pour les entreprises, qui ont servi de base à la norme internationale ISO 26000. J’ai eu aussi le privilège, en qualité de Délégué interministériel, de participer à sa rédaction.
Je m’intéresse aux questions des normes appliquées aux questions d’écoconception, d’économie circulaire ou de bâtiment.
Mon deuxième intérêt plus théorique couvre tout le champ du lien entre management et connaissance, organisation et information.
Quelle est pour vous la symbolique du mot qualité ?
Je dirais une valeur ajoutée, de l’immatériel dans le matériel. Un objet ou un processus, de par sa qualité sera doté d’un supplément d’âme… en interaction sera doté d’un supplément d’âme… en interaction quantitative mais aussi qualitative. Et les différentes propriétés qui en enrichissent les fonctionnalités représentent pour moi cet apport de qualité.
La qualité au service de votre action, sous quelle forme ?
Pour ce qui concerne mon approche personnelle, cela consiste à remettre toujours en cause mes convictions par les faits ou les témoignages. D’être en permanence en posture d’amélioration. L’expérience et le savoir permettent de faire « progresser » les modèles de représentation.
Le monde se transforme et les perceptions humaines évoluent sans cesse. Les faits environnementaux et la gravité des risques associés sont fondés scientifiquement, ce n’est pas une question d’opinion. Des opinions sont quelquefois très décalées par rapport à cette réalité. C’est le sens de mon engagement dans Construction21 de faire connaître les solutions mises en œuvre et pas les intentions.
Un objet vous inspire quand il est question de qualité ?
Je ne peux pas citer un objet en particulier. Celui-ci serait juste très simple, frugal, doté de fonctionnalités d’usage très fortes avec le minimum de complexité. J’ai d’ailleurs été frappé par une déclaration de Saint-Exupéry « La perfection de l’invention confine ainsi à l’absence d’invention. », une forme de raffinement de la sobriété.
Une personnalité qui représente pour vous la qualité ?
Il s’agirait d’une personnalité en lien permanent avec la société et qui soit capable dans ses responsabilités et dans son action, d’une adaptabilité permanente… une posture d’amélioration et de progrès continu. Ce « marginal sécant » selon Michel Crozier, quelque peu hors normes et rare, permet à l’organisation de progresser car il fait « entrer » le monde extérieur au sein même de l’organisation.
Un lieu lorsqu’il s’agit de qualité ?
Oui, il s’agirait d’un lieu de consultation des parties prenantes, dont l’objectif ne serait pas limité à la recherche du consensus mais viserait la création de valeur partagée. En partageant les connaissances et les expériences multiples, il permettrait un processus d’innovation et de progrès collectif. Cette démarche est un élément d’élargissement de la qualité.
La qualité, pour quelles raisons essentielles ?
Dans un monde de ressources limitées, la qualité réside dans le fait de les utiliser au mieux. La qualité, c’est ce qui identifie l’ensemble des impacts positifs et aussi négatifs pour répondre aux besoins de la société. À mon sens, le paradigme de la qualité est d’une certaine façon un dépassement du marché. Répondre finalement à la complexité du monde à travers des processus simples et vertueux…
Zoom sur Construction 21
Média social du secteur, Construction21 diffuse gratuitement l’information et les bonnes pratiques du durable entre les acteurs de la ville et du BTP. Sont notamment proposés des études de cas de bâtiments, quartiers et infrastructures exemplaires, ainsi que des dossiers thématiques élaborés avec les membres de sa communauté.
Construction21 organise les Green Solutions Awards, concours international de solutions durables, afin d’inspirer l’ensemble des professionnels du secteur.
L’association Construction21 France rassemble près de 150 organisations professionnelles et entreprises pionnières. Construction21 est aussi un réseau international avec plusieurs portails nationaux en Europe, en Chine et au Maghreb, ainsi qu’une plateforme globale en anglais. Site web : www.construction21.org/france