Le Plan France 2030, présenté par le président Emmanuel Macron, mobilise l’innovation au service de la réindustrialisation de la France et du climat. Sans rentrer ici dans la discussion sur le bien-fondé des solutions technologiques envisagées, on doit noter que son approche considère uniquement l’innovation par des technologies de rupture. Son objectif est de favoriser des champions mondiaux d’une filière comme l’hydrogène, de détenir les brevets technologies clés donnant accès à des rentes de situation, selon le principe du « gagnant qui prend tout ».
Depuis 2005, l’OCDE dans son manuel d’Oslo, la référence mondiale en matière d’innovation, ne se limite plus à la technologie, et élargi le champ de l’innovation aux produits, aux procédés, aux processus de commercialisation et d’organisation. L’OCDE considère les politiques d’innovation à travers la constitution de systèmes nationaux d’innovation. Il ne s’agit pas seulement de pousser une technologie sur le marché pour la diffuser, mais d’organiser un système d’acteurs, de coopération et d’échanges de connaissances pour permettre la mise au point et la diffusion de l’innovation.
La structure du système et les acteurs impliqués sont liés au domaine de l’innovation et à sa portée géographique. Considérer l’innovation comme un facteur de compétitivité sur le marché mondial, conduit à concentrer les moyens sur des technologies clés et une concentration industrielle. L’entreprise pivot qui porte la technologie va devoir constituer son propre système d’affaire, dans un processus qualifié de proie et prédateur par James Moore dans son analyse des géants du numérique.
Mais la transition écologique ne peut se limiter à cette seule approche.
La plupart des éléments de transition visent à valoriser des ressources diffuses : les énergies renouvelables tirées du soleil, l’économie circulaire et les matériaux locaux, ou les services tirés des écosystèmes… La transition repose massivement sur des changements des modes de production et de consommation, la sobriété, la valorisation de ressources locales, et la création de valeur partagée au niveau des territoires. Elle ne repose pas sur la concentration du pouvoir et des capitaux.
Comme un iceberg dont la plus grande partie se situe sous la ligne de flottaison, concevoir l’innovation à partir du seul marché mondial, conduit à ignorer les couches nationales et locales, c’est-à-dire le bas de la pyramide, le local où se situent des gisements d’emplois et de création de valeur partagée. La réponse aux décroissants focalisés sur le seul PNB est de déconnecter la croissance de cet indicateur économique avec l’usage des ressources. Mais c’est une diminution d’un facteur 4 des ressources mobilisées pour les modes de consommation et de production qui est nécessaire, voire 10 pour les technologies, ce qui est une véritable rupture. La vague de rénovation des bâtiments envisagée par l’Union Européenne conduit à généraliser des rénovations profondes diminuant de plus de 70% la consommation d’énergie et l’impact sur l’effet de serre en incluant les matériaux. L’innovation peut porter ici sur le mode construction comme le hors site qui permet de produire des éléments industrialisés qui s’intègrent au bâtiment avec le minimum de gène lors des travaux.
Des technologies disruptives aussi bien que des technologies frugales peuvent contribuer massivement à ce découplage, si elles s’insèrent dans des innovations des modèles organisationnels et économiques. Les organisations sociales et les modèles économiques peuvent être eux-mêmes disruptifs avec des solutions techniques frugales.
Pour qui observe les solutions présentées du salon Pollutec qui vient de se tenir à Lyon imagine l’ampleur de la créativité et des innovations potentielles : des pompes à chaleur sans fluide et… sans pompe jusqu’au réemploi des éléments de construction comme le propose le Booster du réemploi. L’arrêt de l’artificialisation des sols doit conduire à exploiter les surfaces déjà artificialisées qui deviennent des ressources. C’est l’intérêt de la solarisation de l’ensemble des bâtiments publics de Saint-Etienne métropole qui permet la valorisation de ces surfaces fatales.
Ces solutions impliquent des coopérations publiques et privées, des systèmes économiques spécifiques, la gestion de micro-filières depuis l’amont jusqu’à l’aval. Une station-service de biogaz a été réalisé dans les Mont du Lyonnais par une coopération entre les agriculteurs et les utilisateurs qui se dotent de véhicules roulant au biogaz, soutenus par des coopérations avec les collectivités locales et GRDF.[1]
Une évaluation rigoureuse des impacts est nécessaire prenant en compte l’ensemble du cycle de vie des produits et services. Des solutions séduisantes peuvent avoir des effets très négatifs. Ce qui s’illustre très bien par le bois énergie présenté comme une solution écologique qui aggrave en fait l’effet de serre (Le Monde 5 juin 2021).
La politique nationale d’innovation devrait systématiquement passer les innovations au crible de l’évaluation environnementale et de l’écoconception. Les crédits impôt recherche devraient être conditionnés à des études d’impact des programmes d’innovation des entreprises.
Cette politique devrait d’une part ne pas soutenir les innovations dont l’effet négatif les condamnent à court ou moyen terme, et d’autre part, identifier les innovations vertes et accélérer leur diffusion en levant les obstacles financiers, et surtout cognitifs. Certes la taxonomie européenne en cours de discussion va qualifier les investissements verts, mais le pilotage de l’innovation doit être plus fin que des règles générales définies par des financiers.
Une telle politique nationale devrait aider à constituer des systèmes d’innovation territoriaux, soutenir des territoires éco-innovants. Ce qui a été fait par les Pôles de compétitivité, qui visent le marché international, doit être fait pour la transition des territoires. A côté des Plans climats territoriaux qui donnent aux territoires des objectifs jamais atteints faute d’opérationnalisation, il faut des stratégies territoriales d’innovation pour la transition qui identifient les voies concrètes pour réaliser leurs objectifs. A cette échelle ces stratégies pourraient intégrer les innovations citoyennes et canaliser la demande sociale vers l’action.
[1] Ces deux réalisations ont été primées au niveau français par les Green Solutions Awards de Construction21 www.construction21.fr