L’innovation territoriale et sa contribution au développement durable.

Soumis à la revue Marché et Organisations revue du Réseau de Recherche sur l’Innovation, pour le numéro spécial printemps 2025 : Organisations responsables et transformations des systèmes productifs territoriaux

La transition écologique repose sur des changements profonds des modes de consommation et de production, des modes durables d’exploitation de ressources renouvelables… c’est-à-dire sur des innovations sous toutes ses formes et à toutes les échelles notamment territoriales.

Cette innovation n’est pas uniquement orientée vers les hautes technologies et la compétitivité sur le marché mondial. L’innovation au service de la durabilité du territoire est tournée vers les besoins du territoire, la gestion de ses ressources, la réduction de son empreinte écologique, l’atténuation du changement climatique et le développement de sa résilience… Elle se fonde aussi sur l’innovation sociale.

L’innovation territoriale se différentie de l’innovation technologique par les processus d’innovation mis en œuvre, le statut des connaissances et les modes de diffusion.

L’objectif du présent article est de considérer de quelle façon les collectivités peuvent faciliter les processus d’innovation du fait de leur proximité avec les acteurs, de quelle façon elles peuvent mobiliser cette innovation sur leur territoire pour conduire la transition écologique. Il vise à réunir des éléments conceptuels et bibliographiques pouvant servir de base à un travail normatif.

1. Le modèle schumpetérien

Pour aborder l’innovation territoriale pour la durabilité il est pertinent de s’interroger en quoi elle se distingue de l’école néo-schumpetérienne. Le modèle schumpétérien repose sur le rôle central de l’entrepreneur, qui met sur le marché le fruit des inventions et des avancées scientifiques et technologiques (Schumpeter, 1934). Il fait une claire distinction entre l’inventeur et l’entrepreneur, entre le laboratoire et le marché. C’est sur le marché que se diffuse l’innovation. Le moteur économique de cette innovation s’appuie sur les brevets, pour lesquels la rente de situation escomptée compense la prise de risque. Ces rentes sont temporaires et remises en cause par de nouvelles innovations. Le mécanisme de destruction créatrice associé à l’innovation est considéré comme un des moteurs de l’évolution du marché capitaliste.

L’approche de l’innovation a évolué vers une approche systémique. Les entreprises, notamment celles du numérique, créent un écosystème d’affaires, dont elles sont le pivot grâce à un comportement de prédateur qui renforce leur position et structure à leur avantage l’écosystème (Moore J. F., 1993).

Sortant du laboratoire de R&D de l’entreprise, l’innovation ouverte repose sur l’idée que les connaissances et les idées ne sont pas uniquement générées en interne, mais peuvent provenir de sources extérieures (Chesbrough, 2003) voire intégrer les consommateurs en amont de l’innovation (Brodhag, 2015).

Le numérique apporte une contribution majeure à l‘innovation tant par ses productions que par ses méthodes, comme celles du développement des logiciels open source. Au modèle de la cathédrale de développement centralisé et planifié, s’oppose un modèle du bazar fondé sur un développement décentralisé et collaboratif, au sein duquel les contributions viennent de nombreux développeurs (Raymond, 2001). En s’en inspirant, l’innovation open source s’est diffusée dans la fabrication numérique portée par le mouvement des makers et des fablabs.

2. Les territoires et l’innovation

2.1. Dans le modèle Schumpetérien

Le marché considéré par l’innovation est aujourd’hui mondial. Pourtant Porter note un paradoxe de la mondialisation, dans laquelle les anciennes causes de la localisation ont perdu de leur importance au profit de grappes (clusters) dans lesquels les concentrations géographiques d’entreprises interconnectées apportent un avantage concurrentiel (Porter M. E., 1998) (Porter M. E., 2000).

L’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) identifie, dans son indice mondial de l’innovation, les concentrations locales d’activités scientifiques et techniques de premier plan au niveau mondial (WIPO, 2024). Les cent pôles scientifiques et technologiques sont établis par l’analyse de l’activité de dépôt de brevets et de la publication d’articles scientifiques, documentant les zones géographiques du monde où la densité d’inventeurs et d’auteurs scientifiques est la plus élevée.

Les stratégies régionales de recherche et d’innovation pour une spécialisation intelligente (RIS3) promues par l’Europe visent à renforcer les structures et les compétences locales existantes pour produire des avantages compétitifs originaux et uniques sur le marché mondial.

Cette approche de l’innovation par un capitalisme urbain et globalisé imprègne les politiques, les études urbaines et régionales, les approches économiques, les discours publics et des réseaux et think tanks au point que l’on peut parler d’une véritable mythologie (Bouba-Olga & Grossetti, 2018). Ces auteurs la résument à un acronyme CAME pour compétitivité, attractivité, métropolisation et excellence.

Contrairement à la spécialisation intelligente qui spécialise les territoires sur des filières ‘d’excellence’, susceptibles d’avoir un avantage concurrentiel dans la concurrence mondiale, l’innovation territoriale concerne tous les éléments du développement local au service des populations locales.

2.2 Le territoire à l’ère de l’anthropocène

On peut considérer que nous sommes entrés dans l’Anthropocène, une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’avènement des humains comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces bio-géophysiques. A ce niveau d’impact, il faut considérer des problématiques matérielles telles que l’énergie, les ressources, les écosystèmes…  ne pas se satisfaire d’un pilotage de l’innovation par le marché dans lequel la dégradation du capital naturel peut être remplacée par des capitaux technique et financier, ce qui a été qualifié de durabilité faible.

Nous proposons d’aborder ce changement en mobilisant la notion de systèmes technologiques[1] conçus comme un ensemble cohérent de techniques, d’outils, de machines, de pratiques et d’organisations sociales interconnectés, qui évoluent ensemble de manière interdépendante (Gille, 1986). Le système technologique de la fin du XVIIIème siècle jusqu’au milieu du XIXème s’appuyait sur le charbon, la machine à vapeur, l’acier et le transport ferré. Différents systèmes lui ont succédés, ou plutôt se sont ajoutés car la destruction créatrice ne les a pas éliminés : l’électricité et la chimie (fin XIXème début XXème), le pétrole et l’automobile (début et milieu XXème), l’électronique et l’automatisation (milieu et fin du XXème), le numérique et les réseaux (fin XXème et XXIème). Nous abordons aujourd’hui un nouveau système celui de la transition écologique qui donne un rôle majeur aux territoires.

La lutte contre le changement climatique et la protection des écosystèmes va conduire à une économie post carbone déconnectée des ressources carbonées fossiles qui va mobiliser des ressources locales : énergies renouvelables, biomatériaux, services écologiques… Leur densité étant plus faible elles mobilisent des surfaces qui sont des facteurs de productivité. Cela va conduire à une compétition accrue sur l’usage des terres entre l’alimentation, les infrastructures et les espaces naturels… L’ensemble des domaines, alimentaire, habitat, mobilité, infrastructure, santé, éducation, culture… seront impactés par le changement et donc devront mobiliser à leur échelle l’innovation pour conduire leur transition.

Cette transition est nécessaire pour que la pression ne dépasse pas des limites au-delà desquelles la stabilité des écosystèmes serait compromise. Le concept des limites planétaires, qui émerge des sciences du système terre, a été formalisé en 2009 (Rockström, Steffen, Noone, Persson, & al, 2009). Il permet d’identifier neuf processus environnementaux critiques qui régulent la stabilité et la résilience de la planète. Certaines limites sont planétaires comme la concentration des gaz à effet de serre, d’autres relèvent de limites locales (biodiversité, eau…). Il s’agit de définir les conditions pour préserver un « espace de vie sûr pour l’humanité« . (Rockström, Steffen, Noone, Persson, & al, 2009)..

Cette question de limites est présente dans les textes du développement durable depuis le rapport Brundtland de 1987, sans avoir été suffisamment considérée au point qu’il a été jugé nécessaire de formaliser une approche absolue du développement durable assortie d’un référentiel d’évaluation absolue de la durabilité environnementale (AESA)[2] (Bjørn, et al., 2020).

Dans ce champ l’objectif de l’innovation n’est pas uniquement le marché mais une performance environnementale jugée par des analyses de type scientifique et par les institutions qui vont fixer les objectifs, répartir les ressources et orienter la transition.

2.3. L’innovation territoriale dans le modèle de la durabilité absolue

L’innovation territoriale pour le développement durable peut être considérée comme un élément opérationnel de la transition écologique. Une innovation peut être qualifiée de « responsable » lorsqu’elle intègre des critères environnementaux, sociaux et économiques, mais elle ne contribue réellement au développement durable qu’en considérant les limites à sa diffusion et ses impacts à long terme. Au niveau du territoire il convient de considérer la gestion des ressources limitées et la capacité de charge des écosystèmes. Le foisonnement peut engendrer de nouveaux problèmes au-delà d’un certain seuil d’adoption d’une innovation dans un bassin local de ressources limitées.

Il ne suffit pas de considérer les productions dans les frontières administratives d’une ville ou d’un territoire alors que les consommations sur ce territoire de produits importés ont des impacts sur d’autres territoires. Il est nécessaire de considérer l’empreinte écologique c’est à dire le cycle de vie, en abordant les fonctions urbaines, les unités fonctionnelles et des flux de référence pour considérer la durabilité des zones urbaines (Albertí, Balaguera, Brodhag, & Fullana-i-Palmer, 2017).

C’est en considérant le système de consommation production dans son ensemble que l’on peut considérer l’effet rebond par lequel, les gains environnementaux d’une innovation ou d’une technologie à court terme peuvent être annulés par une hausse de la consommation ou des changements de comportements.

Ce changement implique une approche multiscalaire : temporelle avec des trajectoires de changement envisagées jusqu’en 2050, et géographique entre le mondial planétaire et le local à toutes les échelles : des produits, des systèmes, et des systèmes socioéconomique (Ceschin & Gaziulusoy, 2016) (Jansen, 2003). Il s’agit de considérer des systèmes anthropiques « dont l’échelle peut aller d’un seul produit de consommation à l’économie mondiale et qui comprend plusieurs activités de production et/ou de consommation anthropiques interconnectées » (Steffen, et al., 2015).

La somme de solutions et d’innovations « responsables » ne suffit pas à assurer un développement durable si les activités non durables subsistent. La destruction créatrice considérée comme une conséquence du capitalisme, prend une forme particulière pour la transition écologique. Les objectifs de neutralité carbone impliquent par exemple de laisser dans le sol les deux tiers des ressources fossiles, charbon, pétrole et gaz (IEA, 2012), c’est-à-dire de mener une politique qui détruit volontairement un capital détenu par des entreprises et des pays.

A l’échelle territoriale il doit être question de transition, et d’intégration des innovations dans des trajectoires de changement fixées par les politiques institutionnelles nationales et internationales.

3. Innovation de quoi est-il question ?

3.1. La dimension systémique

Le champ de l’innovation s’est longtemps limité à l’innovation technologique. C’est le cœur de l’approche initiée par Schumpeter (Schumpeter, 1934).

Le Manuel d’Oslo est la référence internationale pour les statistiques sur l’innovation. Sa première édition en 1992 portait sur l’innovation technologique de produit et de procédé (TPP), la troisième (OCDE, EUROSTAT, 2005) introduit l’innovation non technologique et la dimension systémique de l’innovation en consacrant un chapitre aux liens entre les différents types d’innovation. Elle introduit les services et inclut deux catégories nouvelles : l’innovation en matière d’organisation et l’innovation en matière de commercialisation.

Ces distinctions ont un objectif de classification statistique, elles ont du mal à rendre compte des réalités complexes au sein desquelles ces catégories se mêlent. Opposer les services aux produits en considérant leur immatérialité ne tient pas compte qu’ils sont dépendants d’infrastructures, de produits ou de techniques qui sont eux très matériels consommant des ressources et pesant sur l’environnement. Il est plus pertinent de considérer les « systèmes produits/services » (SPS), dans lesquels une variété de processus économiques et transactionnels innovants se déploient entre les purs produits et les purs services (Tukker, 2004).

La servicisation, c’est-à-dire le basculement du produit au service, a été parée per se de vertus environnementales. C’est loin d’être le cas (Tukker, 2015) et il est donc nécessaire de l’évaluer à travers une véritable écoconception prenant en compte l’ensemble du cycle de vie et chacune des composantes du SPS.

De la même façon la smart city, la ville intelligente et connectée mobilisant les solutions numériques, qui a été parée a priori de vertus environnementales, mobilise des technologies qui peuvent être considérées à la fois comme des solutions et comme des contributrices potentielles aux problèmes environnementaux, ce qui nécessite un examen attentif de leur mise en œuvre (Berville, Croitoru, & Bode, 2025).

Les solutions, innovantes ou non, pour les villes et les territoires sont ainsi pour la plupart systémiques et combinent différentes techniques, procédés, insérés dans des systèmes qui se déploient à l’échelle du territoire : systèmes de consommation/production, systèmes énergétique locaux, systèmes d’économie circulaire, systèmes des services écosystémiques. (Brodhag, 2022). Ceux-ci sont tous attachés au métabolisme du territoire.

La dimension systémique de l’innovation est largement renforcée quand il s’agit de développement durable qui ne répond pas seulement au marché mais à des attentes environnementales, sociales et culturelles, c’est-à-dire à des externalités du marché. L’innovation territoriale n’est pas un objet unifié, elle donne lieu à trois modèles : les éco-innovations pour la transition écologique, l’innovation sociale et la créativité fondée sur les activités culturelles.

3.3. Les éco innovations.

Les éco-innovations peuvent être développées par des entreprises ou des organisations à but non lucratif, elles peuvent être commercialisées sur des marchés ou non, leur nature peut être technologique, organisationnelle, sociale ou institutionnelle (Rennings, 2000, p. 322). Les impacts environnementaux associés au produit ou au système, doivent prendre en compte l’ensemble de son cycle de vie, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à l’élimination finale, selon une analyse du cycle de vie (ACV).

3.4. L’innovation sociale

L’innovation sociale est considérée comme une forme d’innovation à part entière. Le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS) en France la définit ainsi : « L’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et des usagers. » Ces innovations peuvent toucher la participation, les procédures collectives et les comportements (Hochgerner, 2011). Elles peuvent se développer dans l’entreprise ou dans la société civile et l’Etat (Djellal & Gallouj, 2012)

La composante environnementale n’est pas toujours considérée dans ces innovations sociales.

3.5. La dimension culturelle et la créativité

La dimension culturelle locale peut être abordée selon deux considérations différentes de la culture : la culture patrimoniale et les industries culturelles.

La culture patrimoniale

Pour la première nous proposons d’adopter une conception large de la culture : « la culture est un complexe de caractéristiques spirituelles, matérielles, intellectuelles et émotionnelles qui caractérise une société ou un groupe social. Cela inclut non seulement les arts et les lettres mais aussi les croyances, traditions, systèmes de valeur, modes de vie et les droits fondamentaux des êtres humains. » (Serageldin, 1999, p. 240).

Les changements des modes de consommation et production pour la durabilité ont une forte composante culturelle nécessaire à prendre en compte dans l’innovation (Brodhag, 2010). Des solutions vernaculaires et traditionnelles mises au point au cours de l’histoire par les sociétés pour la gestion efficiente des ressources rares alors disponibles localement peuvent retrouver une modernité en étant combinée avec des technologies nouvelles, des processus commerciaux ou des applications numériques.

Le domaine de la construction, par exemple, retrouve l’usage de matériaux locaux traditionnels, terre, pierre, bois, paille… qui ont un impact plus faible sur l’environnement et le climat (Brodhag, 2022). La réutilisation des matériaux et des éléments de déconstruction, qui est une pratique multimillénaire, au moins depuis l‘Egypte ancienne, retrouve une modernité, grâce au numérique allant jusqu’à intégrer des éléments récupérés dans la conception informatique des nouveaux bâtiments (BIM inversé). Cela permet d’optimiser la rénovation et la déconstruction des bâtiments au service de l’économie circulaire.

Des innovations, en général systémiques, peuvent ainsi hybrider les pratiques traditionnelles avec les connaissances et techniques modernes.

Les industrielles culturelles

L’apport des industrielles culturelles et de la création à l’innovation territoriale et promu par l’UNESC0 qui anime un réseau des villes créatives. Selon leurs promoteurs les industries culturelles et créatives peuvent jouer un rôle crucial dans l’innovation territoriale, en stimulant le développement économique, en créant des emplois et en améliorant la qualité de vie des habitants. La dimension environnementale y est peu présente.

Ces distinctions, écoinnovation, innovation sociale ou culturelle, relèvent de disciplines, de communauté d’acteurs, de processus et de critères d’évaluation différents, au point que leur intégration dans un projet de transition territoriale nécessite de franchir des barrières organisationnelles, juridiques, conceptuelles voire idéologiques.

4. Considérations sur le développement durable

4.1. L’institutionnalisation du développement durable

Sans ouvrir un débat académique et politique sur les différentes approches du développement durable et de la responsabilité sociétale, nous considérons ici que la responsabilité sociétale des organisations (RSO) est la contribution des organisations au développement durable (ISO 26000 (F), 2010). La RSO a une double composante : substantive qui considère des objectifs matériels portés par le développement durable et procédurale qui considère la relation de l’organisation avec ses parties prenantes (Brodhag, 2010).

Au niveau mondial les 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies orientent le programme d’action international pour la période 2015-2030. Les ODD considèrent à la fois des approches sectorielles et la nécessité de considérer une approche systémique entre ces enjeux. Les ODD sont assortis d’indicateurs pour mesurer les progrès des pays. Des référentiels ont été développés pour décliner les ODD au niveau des entreprises (GRI, UN Global Compact, WBCSD, 2015) ou au niveau local par des organisations internationales (UCLG ; UNDP ; UN Habitat, 2019). Ils adoptent une approche de type PDCA (Plan Do Check Act), dans le ‘cercle des politiques publiques’ : identification des besoins et priorisation, planification, mise en œuvre et évaluation.

L’ISO 26000, les lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale des organisations (ISO 26000 (F), 2010) a défini sept questions centrales : 1. La gouvernance de l’organisation, 2. Les droits de l’Homme, 3. Les relations et les conditions de travail, 4. L’environnement, 5. Les bonnes pratiques dans les affaires, 6. Les questions relatives aux consommateurs, 7. Les communautés et le développement local.

En adoptant une approche institutionnelle l’ISO 26000 considère la nécessité de conformité réglementaire et de prise en compte des normes internationales de comportement issues du droit international et des accords intergouvernementaux.

La dernière question centrale de l’ISO 26000 considère les actions des organisations et des entreprises qui profitent aux communautés notamment l’innovation en recommandant d’étudier « des partenariats avec des organisations telles que les universités ou des laboratoires de recherche afin d’améliorer le développement scientifique et technologique avec des partenaires issus de la population, et emploie la population locale pour ces travaux. »

Enfin l’ISO 37101, norme sur le développement durable au sein des villes et des communautés territoriales, décrit un système de management pour le développement durable et les exigences et lignes directrices pour son utilisation (ISO 37101:2016). Cette norme qui s’appuie sur les ODD et l’ISO 26000 propose six finalités du développement territorial durable : attractivité, préservation et amélioration de l’environnement, bien-être, résilience, utilisation responsable des ressources et cohésion sociale. Elle est assortie de listes d’indicateurs, notamment l’ISO 37120 (Indicateurs des services urbains et qualité de vie).

Les collectivités sont conduites à aborder le développement durable en cohérence avec ces différents cadres institutionnels qui contribuent à orienter la substance de l’innovation, le champ des actions à mener. Mais ces institutions s’appuient sur la science.

La science est présente dans le modèle Schumpetérien du fait de son rôle moteur dans l’innovation technologique. Les questions de durabilité font intervenir d’autres disciplines, notamment les sciences naturelles et humaines. Celles-ci contribuent l’élaboration de diagnostics qui guident les politiques, ce qui soulève la question des relations science/décision.

4.2. Les sciences et les connaissances

Cette dualité est organisée au niveau international. La question climatique est abordée d’une part, par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui fournit des évaluations scientifiques sur le changement climatique, ses impacts, et les mesures d’atténuation possibles. D’autre part, les aspects politiques de la lutte contre le changement climatique sont gérés par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui réunit les États membres pour négocier et mettre en œuvre des accords internationaux.

Pour la biodiversité les mécanismes sont du même ordre, scientifique avec la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et politique avec la Convention sur la diversité biologique (CDB)

Considérer cette dualité science-décisions au niveau local implique de mettre en place des interfaces entre les connaissances et la gouvernance. La connaissance ne se limite pas à la seule connaissance scientifique académique, mais elle doit aussi considérer les connaissances locales, savoirs locaux et expériences. Enfin le numérique donnant à accès à des données massives apporte des connaissances nouvelles, celles-ci pouvant être traitées par de l’intelligence artificielle ou et/ou par des modèles validés scientifiquement. Il s’agit d’un système de connaissance qui doit être robuste pour fonder la décision. L’intégration et la diffusion de ces connaissances peut s’appuyer sur des outils comme le jumeau numérique ou le métaverse (citiverse).

Ces cadres informatifs vont favoriser le développement de multiples innovations, techniques et organisationnelles dans l’ensemble des secteurs et activités.

Par leurs capacités prédictives envisagées ces applications pourront contribuer à l’évaluation des programmes et situer des innovations dans les trajectoires de changement. Mais l’évaluation environnementale des projets identifie et évalue les impacts potentiels avant leur réalisation. Seul un processus d’évaluation a posteriori permet des corrections dans un processus d’amélioration continue.

Ces innovations numériques se développent par un processus de poussée technologique, paré de toutes qualités. Son impact doit être considéré et maitrisé. Il s’agit dans un premier lieu de son impact énergétique et environnemental. Cela implique de développer des approches frugales, les réflexions étant engagées dans la normalisation pour l’IA frugale (AFNOR, 2024).

Figure 1 : L’interface science-décisions

4.3. L’institutionnalisation des connaissances

La question fondamentale est de savoir comment les connaissances scientifiques s’institutionnalisent au niveau local. Dans cette acception il ne s’agit pas uniquement du droit et des institutions politiques, puisque « les institutions peuvent être définies comme un ensemble de règles de fonctionnement qui sont utilisées pour déterminer qui est éligible pour prendre des décisions dans un domaine donné, quelles actions sont permises ou limitées, quelles règles d’agrégation seront utilisées, quelles procédures doivent être suivies, quelles informations doivent ou ne doivent pas être fournies et quels gains seront attribués aux individus en fonction de leurs actions » (Ostrom, 1990, p. 51). La question est donc comment la science peut contribuer au changement institutionnel.

Trois qualités ont été proposées pour qualifier ce système de connaissances vis-à-vis de la décision : la crédibilité, la pertinence et la légitimité (Cash, et al., 2002) (Wolff, Gondran, & Brodhag, 2017). La crédibilité de l’information est relative à la perception par un acteur de sa qualité, de sa validité et de sa robustesse scientifique et de sa confiance dans le processus de production de l’information et dans les institutions qui apportent les connaissances (Sarkki et al., 2014). La pertinence fait référence au fait que l’information est appropriée pour informer le choix du décideur et donc s’insère dans les processus de décision. Enfin, la légitimité reflète le sentiment que le processus d’évaluation a pris en compte la diversité des systèmes de valeurs et de croyances des parties prenantes, et a été conduit de façon impartiale et juste dans son traitement des opinions et intérêts divergents (Cash et al., 2002). Ces trois qualités peuvent difficilement être obtenues simultanément pour un seul outil comme cela été montré pour les outils utilisés par les entreprises sur la biodiversité (Wolff, Gondran, & Brodhag, 2017).

Cette conception du rôle de la science dans l’espace de connaissance et d’action ne dispose pas d’outil d’évaluation. Elle ne se mesure pas au nombre des citations obtenues par les chercheurs, ce qui est seulement un indicateur approximatif de visibilité, mais par la capacité des résultats produits à se révéler pertinents à l’épreuve du temps, du débat scientifique (Bouba-Olga & Grossetti, 2018) et à la capacité à fournir les connaissances pour relever les défis de la transition écologique locale. De même on ne peut pas mesurer l’innovation territoriale uniquement par les brevets alors qu’une grande part des connaissances locales sont ouvertes et peuvent être considérées comme des communs, et que des innovations frugales peuvent être déterminantes.

5. Les moteurs de l’innovation

Deux moteurs principaux ont été proposés pour expliquer la dynamique des innovations : la poussée technologique et l’attraction du marché. Considérés en concurrence ces modèles ont été longtemps conçus comme des boîtes noires. « L’école de l’innovation poussée sous-estime le rôle actif des utilisateurs dans le processus d’innovation. L’école de la demande ne fait pas la distinction entre la demande, en tant que catégorie quantitative, et les besoins des utilisateurs en tant que catégorie qualitative. » (Lundvall B.-Å. , 1985, p. 28). Ces deux modèles de base se sont diversifiés (Brodhag, 2013) notamment du fait qu’ils portent sur des innovations de natures différentes. Des solutions technologiques issues de la R&D vont plutôt être poussées sur le marché. Des innovations organisationnelles et sociétales vont plutôt être tirées par la demande de la société.

Dans le premier modèle une solution nouvelle va être mise sur le marché grâce à l’intervention de l’entrepreneur (Schumpeter, 1934). Son avantage concurrentiel et donc sa rentabilité va lui permettre de s’imposer vis-à-vis des solutions concurrentes anciennes.

Dans le second modèle c’est la demande qui va être à la source de l’innovation. Cette demande va être formulée avec les consommateurs ou plus largement par la société. Pour prendre en compte les consommateurs les entreprises peuvent mettre en œuvre des pratiques d’innovation ouverte, mais il s’agit alors seulement de révéler ou de susciter une demande et d’ouvrir un marché (Brodhag, 2015).

Pour des demandes collectives de la société comme la durabilité, le cadre institutionnel est déterminant.

Figure 2 : Les moteurs de l’éco-innovation

5.1. Innovations poussées par la réglementation

L’innovation environnementale pour le développement durable nous impose d’ouvrir un peu plus la boite noire. Du fait que l’environnement est une externalité au marché, les politiques publiques peuvent être considérées comme poussant l’innovation (Rennings, 2000, p. 326). Au côté de l’innovation poussée par les technologies et les solutions, il faut considérer la réglementation et les politiques institutionnelles qui poussent des innovations environnementales (Porter M. , 1991) (Porter & Van Der Linde, 1995) à travers des mécanismes d’incitation réglementaire (Hansen, Grosse-Dunker, & Reichwald, 2009) (Ashford & Hall, 2011).

Dans le domaine de l’environnement, les éco-innovations poussées par la réglementation sont évaluées selon leurs performances environnementales qui se rajoutent aux évaluations économiques, ce qui donne un rôle à la science.

Que ce soit par la réglementation ou la normalisation, le cadre institutionnel formel façonne le marché.

Trois moteurs tirent les innovations. Classiquement on retrouve le marché et ses mécanismes d’appropriation de l’innovation. Il paraît opportun de rajouter deux composantes qui jouent indirectement sur le projet entrepreneurial qui s’inscrivent dans la double matérialité. La double matérialité est un concept utilisé dans le domaine de la durabilité et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La première matérialité considère que les entreprises doivent évaluer et rendre compte des impacts financiers des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La seconde matérialité, considère comment les activités affectent la société et l’environnement. La responsabilité sociétale telle que définie dans l’ISO 26000 considère les deux matérialités.

5.2 L’innovation tirée par les conditions matérielles

Les conditions matérielles, les raretés physiques actuelles et anticipées ainsi que les risques attachés au changement climatique et à l’adaptation. Cette approche, limitée à la première matérialité, est adoptée par le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques qui considère les risques et opportunités liés au climat et leur impacts financiers (TCFD, 2017).  

Dans le domaine de l’innovation, il s’agit d’« innovations qui sont perçues individuellement comme ajoutant une valeur nette positive au stock de capital global de l’entreprise » (Hansen, Grosse-Dunker, & Reichwald, 2009).

5.3 L’innovation tirée par la vision et la société

Enfin il peut être proposé un mécanisme tiré par la vision partagée entre les acteurs et leurs engagements en termes de durabilité et de responsabilité sociétale. Il s’agit d’adresser alors la seconde matérialité.

C’est cette vision qui permet d’orienter la demande pour des formes d’innovation collaborative permettant de dépasser la perspective myope typique des entreprises autonomes qui négocient sur les marchés (Weaver, 2008). Identifier ces attentes permet d’anticiper l’évolution du marché. Une vision sociétale tournée vers l’avenir peut agir comme une force, en orientant l’innovation vers des résultats en matière de développement durables (Vollenbroek, 2002).

Les collectivités locales peuvent mobiliser ces différents moteurs de l’innovation dans le cadre de leurs compétences : de leur stratégies et programmes de transition, de leur politique d’achats et les investissements publics, des incitations réglementaires et fiscales, et de leur animation du débat public et des réflexions collectives…

5.4 La dimension temporelle

La dimension temporelle et l’anticipation viennent renforcer ces moteurs. Certaines contraintes où des opportunités ne sont pas significatives actuellement mais peuvent le devenir demain du fait de l’épuisement de certaines ressources ou de l’évolution du contexte réglementaire.

Il s’agit de développer une vision tournée vers l’avenir par une pensée prospective (future thinking). Celle-ci peut être définie comme des « études et pratiques, s’appuyant sur de multiples disciplines à travers les sciences, les arts et les sciences humaines, qui explorent la nature du changement, la façon dont l’homme conçoit les futurs, l’éventail des futurs possibles (et pas seulement probables) et comment des futurs alternatifs pourraient émerger. » (Cork, et al., 2023).

Mais les futurs possibles sont contraints par le cadre institutionnel qui s’appuie sur les diagnostics scientifiques. Les objectifs de neutralité climatique à long terme (2050) ont été traduits par des feuilles de route sectorielles internationales et nationales. La norme ISO IWA 42 sur la neutralité climatique propose ainsi de diminuer par deux les émissions de gaz à effet de serre tous les 10 ans (ISO IWA 42, 2022). La transition nécessite une redéfinition des approches de développement technologique existantes et le développement de nouvelles approches à une échelle qui puisse produire une augmentation de l’éco-efficacité d’un facteur 5 à 50, avec un « facteur 20 » comme objectif. Les échelles de temps de ces approches correspondent à une portée temporelle allant jusqu’à 50 ans. (Jansen, 2003). Ces améliorations ne concernent pas les seules technologies mais le système socio-économique, à travers des changements progressifs par le biais de révisions, de réorganisations, de reconceptions à des échelles de temps allant de 5 à 20 ans.

Cette approche dans laquelle le futur n’est pas abordé par le prolongement des tendances et de l’offre de solutions et d’innovations, mobilise un autre concept : l’approche rétrospective (backcasting) qui partant du futur attendu permet de tracer les voies pour y parvenir. Elle vise à fournir aux décideurs politiques, et au grand public intéressé, des images de l’avenir comme toile de fond pour la formation d’opinions et de décisions (Dreborg, 1996). Cette approche peut être participative (Robinson, Burch, Talwar, O’Shea, & Walsh, 2011).

6. Le cycle de l’innovation

6.1. Les étapes de l’innovation

Dans le domaine de l’innovation technologique une échelle permet d’évaluer le degré de maturité d’une technologie (Technology Readiness Levels – TRL), allant de l’idée initiale jusqu’à son intégration dans un produit commercial. Les 9 étapes de la TRL peuvent être regroupées en trois catégories principales, correspondant à des phases clés du développement technologique : Recherche fondamentale (TRL1 à TRL3), développement expérimental (TRL4 – TRL6), et application/industrialisation (TRL7 à TRL9).

Dans la rupture schumpétérienne entre l’invention et l’innovation, la phase de diffusion s’appuie sur l’entrepreneur qui met sur le marché, au-delà du stade TRL9.

Rogers a proposé un modèle de diffusion qui rend compte de l’adoption progressive d’innovations par un marché segmenté en populations qualifiées d’innovateurs, de primo adoptants, de majorité précoce, de majorité tardive et de retardataires (Rogers, 1962). La dynamique de la diffusion s’appuie sur l’adéquation de la solution avec ces différents segments de marchés. Elle peut être interrompue par le gouffre qui sépare les innovateurs et primo-adoptants de la majorité précoce-qui n’ont pas la même attitude vis-à-vis de l’innovation technologique (Moore G. A., 1991).

Les écoinnovation sont touchées par le même problème (Sroufe, Curkovic, Montabon, & Melnyk, 2000), les adopteurs précoces sont motivés par l’engagement écologique et les pragmatiques doivent être stimulés par d’autres incitations comme un programme public. Seule une obligation réglementaire n’entrainera les adopteurs tardifs.

L’innovation sociale peut être envisagée avec les mêmes quatre étapes. Si l’on considère comme cas général celui des systèmes hybrides humains et non humains, sociaux-économiques et environnementaux, nous proposons de nous appuyer sur le modèle de Michel Callon développé dans son article séminal sur les coquilles Saint-Jacques de la Baie de Saint-Brieuc (Callon, 1986). Michel Callon propose un phasage de la constitution du réseau d’innovation en quatre étapes : problématisation, intéressement, enrôlement et mobilisation.

6.2.  Acteurs et ressources mobilisées dans le cycle de l’innovation.

On peut considérer ces quatre étapes comme génériques, tout en prenant des formes différentes selon le type d’innovation.

Chaque étape met en jeu des connaissances, des ressources et des acteurs différents. On peut postuler deux conditions du succès d’une innovation :

1 – sa capacité à mobiliser les ressources et les acteurs pertinents à chaque étape de son développement

2 – sa capacité à passer d’une étape à l’autre en changeant les types de financements, les acteurs impliqués, voire le porteur de l’innovation.

Ces capacités doivent être rendues accessibles dans le territoire. Cet accompagnement peut passer par différents opérateurs qui vont faciliter l’accès à des ressources, des connaissances, des financements, et mener des activités propres à mobiliser les entreprises et les acteurs.

Les opérateurs sont variés selon le type d’innovation et l’étape de maturité de cette innovation : clusters, pôles de compétitivité, centres de transfert technologique, think tanks, pré-incubateurs, fab labs, living labs, centres de ressources, plateformes d’innovation ouverte, incubateurs, tiers-lieux, couveuses, pépinières d’entreprises, coopératives d’activité et d’emploi, programmes d’accélération, hôtels d’entreprise, centres de démonstration technologique…

Pour l’innovation orientée uniquement vers la rentabilité économique les modes de financement le long du cycle de vie sont liés à la prise de risque, le rendement potentiel devant compenser le risque élevé de pertes. Pour les innovations visant des objectifs d’impact environnemental et social des financements publics peuvent être ainsi mobilisés :

  • Risque Fort : programmes de recherche (financements publics/subventions) ; venture capital ; fonds de capital-risque publics et privé ; business angel ; financement participatif en equity ; financement mezzanine…
  • Risque important : financement d’impact sociaux/environnementaux ; fonds d’investissement public/privé ; mécénat ; partenariats public-privé ; financement participatif…
  • Risque modéré : microcrédit ; emprunt ; prêts bonifiés ; garanties de prêts ; bailleurs de fonds ; fonds de développement durable…
  • Risque Faible : subventions ; assurance ; crédits carbone ; capitaux propres et revenus générés par l’activité…

Les systèmes d’innovation et de transition locaux

La question est comment le territoire organise la créativité au niveau local, accompagne les innovations, initie et coordonne les opérateurs, c’est-à-dire anime le système d’innovation local.

Cette approche systémique de l’innovation a été proposée dans un premier temps pour le niveau national. Le système d’innovation national a été défini comme un « réseau d’institutions dans le secteur public et privé dont les activités et les interactions initient, importent et diffusent de nouvelles technologies » (Freeman, 1987). Lundvall a proposé d’élargir les systèmes d’innovation aux éléments et aux relations qui interagissent dans la production, la diffusion et l’utilisation de nouvelles connaissances économiquement utiles (Lundvall B.-A. , 1992). Il insiste sur la composante d’apprentissage interactif et le rôle des dynamiques sociales dans l’innovation.

Les systèmes d’innovation ont donné lieu à une littérature abondante, le plus souvent dans le champ néo-schumpétérien, la déclinaison au niveau régional/local des systèmes d’innovation se situant dans l’approche de Porter. Ces innovations se focalisent sur la maximisation des impacts sur le marché mondial, dans une forme de neutralité axiologique.

Dans le modèle des villes mondes et des clusters d’excellence (CAME) c’est le marché international qui est supposé assurer la diffusion de l’innovation. Elle repose sur des entreprises mondialisées, des réseaux internationaux d’entreprises. L’innovation s’institutionalise à travers la normalisation. Les normes volontaires, de type ISO ou IEC, vont contribuer à organiser la demande du marché, en organisant et fiabilisant la relation offre/demande.

Les éléments développés au-dessus sur les leviers de l’innovation et les ressources et acteurs nécessaires pour accompagner les différentes étapes sont des composantes du système d’innovation territorial. La contribution de l’innovation à la durabilité du territoire passe par son institutionnalisation. Ce sont les institutions qui orientent l’innovation dans le sens du développement durable, qui mobilisent les leviers pour ‘pousser et tirer’ l’innovation en intervenant sur le système d’innovation.

Le système de transition local

Le système d’innovation tel que défini en général ne s’intéresse pas directement à la diffusion. La contribution de l’innovation au développement durable implique que sa diffusion se fasse à un niveau tel que son impact sur le développement durable soit significatif. Il est en effet nécessaire de surmonter la fragmentation des initiatives et leur tendance à rester isolées ou de courte durée, ce qui réduit en fin de compte leur potentiel de changement pérenne et de grande ampleur (Turnheim, Kivimaa, & Berkhout, 2018, p. 237).

Il s’agit d’intégrer l’innovation comme une composante de la transition écologique, au sein des processus de planification.

Plutôt que d’élargir la portée et la définition du système d’innovation local, nous proposons d’introduire le terme de « système de transition territoriale » qui inclut le système d’innovation dans les politiques et programmes menés pour la transition écologique et le développement durable. Il ne s’agit pas d’un rouage administratif de la politique publique de la collectivité, mais d’un système coopératif composé de multiples acteurs publics (locaux, régionaux, nationaux, européens…) et privés au sein duquel sont mobilisées les ressources et menées les activités.

Conclusion

Nous avons identifié plusieurs pistes de réflexion qu’il est essentiel d’approfondir et de confronter aux réalités du terrain afin d’enrichir notre compréhension des dynamiques locales. Il s’agit notamment de caractériser les systèmes de transition et d’innovation à l’échelle territoriale en analysant leur architecture, leurs composantes, leurs fonctions, ainsi que les processus et activités qui les structurent. Une attention particulière pourrait être portée aux systèmes d’information qui sous-tendent ces dynamiques, en explorant leur rôle dans la circulation des connaissances et la coordination des acteurs.

L’élaboration d’un tel modèle d’analyse pourrait constituer un levier stratégique pour l’évaluation des capacités des territoires à conduire et à soutenir la transition vers un développement durable. En identifiant les forces et les faiblesses des systèmes d’innovation territoriaux, il deviendrait possible de mieux comprendre les conditions favorables à l’émergence de solutions adaptées aux défis environnementaux, économiques et sociaux.

Par ailleurs, ce cadre analytique pourrait aboutir à une normalisation des méthodes et des indicateurs utilisés, facilitant ainsi le partage d’expériences et de bonnes pratiques entre les villes et les territoires. Il permettrait également de mieux organiser les soutiens ciblés aux niveaux régional, national et européen, en alignant les stratégies d’accompagnement sur les besoins spécifiques des acteurs locaux. Cette approche favoriserait ainsi une transition harmonisée et efficace vers un développement territorial plus résilient et inclusif.

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[1] Du fait de l’intégration des aspects humains et sociaux, nous préférons utiliser le terme de système technologique plutôt que celui de système technique adopté alors par Bertrand Gille

[2] AESA : Absolute Environmental Sustainability Assessment

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