Durabilité et intelligence des territoires VV177

Tribune Valeurs vertes 13 Mars 2024

La durabilité des territoires, leur résilience et leur neutralité ne peuvent se limiter à la mise en œuvre de mesures et programmes sectoriels. Les villes et les territoires ne peuvent pas être de simples relais opérationnels d’une planification nationale segmentée selon les administrations qui les conçoivent.

Dans leur rapport Transition environnementale des collectivités territoriales [1] les sénateurs BURGOA, MARTIN et BENARROCHE, ont identifié ces obstacles et font des recommandations pour les surmonter.

Les conditions locales étant déterminantes pour la pertinence et l’efficacité des politiques, les sénateurs considèrent nécessaire que les collectivités renforcent le travail de diagnostic (climat, ressources, biodiversité, données socio-économiques, cartographie des acteurs, …) et que l’Etat les accompagne pour cela. Ils proposent de mettre gratuitement à disposition des élus locaux un bouquet de données territorialisées relatives aux enjeux environnementaux et de s’appuyer sur les scientifiques pour ce diagnostic.

Enfin ils recommandent une mise en cohérence des politiques contractuelles et de labélisation de l’Etat : les Contrats de relance et de transition écologique (CRTE), les Territoires engagés pour la transition écologique de l’ADEME et les Territoires engagés pour la nature de l’OFB….

Il leur apparait nécessaire d’harmoniser les méthodes et les outils fondant les stratégies, et de déployer des approches systémiques adaptées aux territoires.

« Les élus locaux estiment que l’État doit changer de méthode. Ils attendent un « État stratège » qui fixe la stratégie et les grands objectifs et qui privilégie, pour y parvenir, une contractualisation locale plutôt que d’imposer une solution uniforme et générale, par définition inadaptée aux contextes locaux. »

Agendas 21 locaux

La nécessité pour les territoires de se doter de stratégies de développement durable systémiques n’est pas nouvelle.

Dans la foulée de la conférence de Rio en 1992, les collectivités ont élaboré des Agendas 21 locaux visant à engager la communauté locale dans un processus de planification participative permettant d’intégrer au niveau du territoire, les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable. La France avait mis en place au début des années 2000, un référentiel Agendas 21 locaux accompagné d’un renforcement de capacité des collectivités et un label impliquant les parties prenantes. Cette approche a été abandonnée en 2007 au nom d’une priorité politique unique au climat et sans doute mercantile des tenants du bilan carbone.

Il a fallu attendre près de dix ans pour qu’une approche intégrée et systémique émerge de nouveau. Sous l’impulsion française et avec la participation d’une cinquantaine pays un référentiel a été rédigé au niveau international : la norme ISO 37101 sur le « Développement durable au sein des communautés territoriales » Cette norme parue en 2016 propose un système de management et d’amélioration continue assorti de lignes directrices et d‘exigences pour son utilisation, qui vise à faciliter la mise en place de stratégies urbaines intégrées.

Le cadre d’analyse de l’ISO 37101 est bâti autour de 6 finalités du développement territorial durable : attractivité, préservation et amélioration de l’environnement, bien-être, résilience, utilisation responsable des ressources, cohésion sociale. Ces finalités doivent être déclinées dans chacune des politiques sectorielles, les plans et programmes, le tout envisagé sous un angle systémique permettant d’identifier et de gérer antagonismes et synergies.

Elle est complétée par une norme pour les développeurs de projets (ISO 37109) et des indicateurs pour les services urbains et la qualité de vie (ISO 37120), les villes intelligentes (ISO 37122) et les villes résilientes (ISO 37123).

L’Etat a un moment utilisé la norme ISO 37101 comme base de contractualisation notamment pour le programme cœur de villes. Des guides d’accompagnement des collectivités ont été rédigés[1]. Mais ces références semblent oubliées aujourd’hui au profit de la planification écologique.

La ville intelligente.

Le numérique vient aujourd’hui bouleverser la donne.

La smart city vient au service des citoyens, comme pour la mobilité. La mobilité comme service (MaaS), permet aux utilisateurs de planifier, réserver et payer un trajet intermodal sur une même plateforme numérique. Cela est rendu possible par une intégration des données qui permet la coordination des services.

Les informations disponibles sur le territoire peuvent aussi contribuer au diagnostic pour les Plans de déplacements urbains. Actuellement les Enquêtes Ménages Déplacements (EMD), que les collectivités utilisent reposent principalement sur une enquête en face en face de ménages entiers. Leur lourdeur fait que ces enquêtes sont espacées d’une dizaine d’années. Les nouvelles données disponibles sur les territoires vont pouvoir fournir des données en temps réel sur les évolutions de la mobilité.

Un autre exemple concerne la planification de rénovation. L’observatoire de l’habitat et de la rénovation énergétique, créé en 2016 et déployé depuis 2018, s’appuie sur IMOPE (Inventaire Multi-Objets du Parc Existant) et permet la centralisation, la manipulation et la visualisation d’une grande quantité de données territoriales, avec comme échelle élémentaire : l’adresse. Ce projet initié par les chercheurs de l’Ecole des Mines de Saint-Étienne est géré par la start up URBS. Ces informations permettent la mise en œuvre des politiques de l’habitat, en facilitant les bilans territoriaux, en orientant la massification de la rénovation énergétique des bâtiments et en identifiant les zones à prioriser.

L’intégration des données est en train de franchir une étape supplémentaire avec le jumeau numérique local qui permettra de représenter virtuellement les objets, les infrastructures et les processus d’un territoire en utilisant les données et leur analyse pour nourrir des modèles de simulation. Ces développements sont rendus possibles par la normalisation de l’interopérabilité des données.

La question est alors comment intégrer ces informations dans le fonctionnement et la gouvernance du territoire.

Ces enjeux sont envisagés au sein de la commission de normalisation AFNOR « villes et territoires durables et intelligents (VTDI) ». Son champ porte précisément sur l’articulation du management et de la gouvernance, avec un système d’information qui permette le partage de connaissances, le diagnostic et le suivi des politiques.

Cette normalisation peut être un puissant levier pour des politiques publiques contractuelles entre l’Etat et les territoires. Les conditions sont réunies pour passer d’une obligation de moyens et de conformité aux plans nationaux à une obligation de résultats. Il s’agirait par exemple d’aligner les territoires sur l’objectif européen « fit for 55 » c’est-à-dire de réduction de 55% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, ou l’engagement de réduire de 10% la consommation d’eau. Le territoire pouvant identifier les moyens pertinents pour s’y conformer.

Mais la gouvernance des villes et leur usage de l’information est très politique. Le modèle démocratique européen respectant les libertés individuelles et les données personnelles n’est pas celui des régimes autoritaires qui privilégient le contrôle social, ou des régimes purement économiques qui abandonnent l’initiative au secteur privé et aux géants du numérique.

Pour le modèle européen des villes la normalisation est donc un enjeu de souveraineté et d’influence.

Sous l’impulsion du Commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, l’Europe a adopté une stratégie en matière de normalisation visant à affirmer la souveraineté de l’Union européenne dans le développement des standards aux niveaux européen et mondial. Le thème des villes durables et intelligentes fait l’objet d’une attention particulière.

Une mobilisation de tous, Etat et collectivités locales et parties prenantes économiques et associatives, s’avère nécessaire pour contribuer à cette normalisation.

1 – Laurent BURGOA, Pascal MARTIN et Guy BENARROCHE. 10 novembre 2023. Transition environnementale des collectivités territoriales. Rapport au Sénat https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-087-notice.html

2 – https://outil2amenagement.cerema.fr/le-standard-iso-37101-r1377.html

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