Intervention devant le Comité Européen de Normalisation

Monsieur le Président,
Madame, Monsieur les Vice-Présidents,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeur Généraux

En consacrant une journée de votre Assemblée générale au développement durable vous ouvrez le débat sur l’une des questions essentielles de notre temps : comment mettre en place des régulations environnementale et sociale dans la mondialisation économique ? Je n’évoquerai pas ici les normes techniques et sectorielles qui contribuent au développement durable et dont vous venez de parler monsieur le président.
La Commission Européenne a défini la Responsabilité Sociétale des Entreprises en 2001 dans un livre vert comme « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et à leurs relations avec les parties intéressées. Il s’agit non seulement de satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et d’investir davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties intéressées. » Mais le Comité Européen de Normalisation ne s’est pas saisi de cette question des approches volontaires, alors que quelques Etat membre le faisaient. C’est l’ISO qui a lancé un processus de rédaction de lignes directrices en matière de responsabilité sociétale des entreprises qui devrait prochainement être soumis à la décision de ses membres.

Dans ce contexte, posons-nous la question centrale des relations entre les initiatives privées volontaires et les conventions et institutions internationales du système des Nations Unies qui s’appuient sur la négociation multilatérale entre pays souverains ?
La question de la régulation la mondialisation économique sur les plans environnementaux et sociaux, ce que l’on appelle la gouvernance mondiale, est en effet posée. Différentes propositions ont été faites. Dans la ligne du discours tenu à Johannesburg par le président Jacques Chirac, la France propose la mise en place d’une Organisation des Nations Unies pour l’Environnement. Par ailleurs avec le Brésil, le Chili et l’Espagne, la France vient d’ouvrir la voie à une fiscalité mondiale. En effet lors du Sommet de haut niveau sur le financement du développement, qui vient de se tenir à New York, 110 pays ont soutenu un texte qui considère que « le moment est venu d’accorder d’avantage d’attention aux mécanismes de financement innovant publics ou privés, obligatoires ou non ».
Mais ces initiatives prendront du temps à se concrétiser. Les Etats tardent toujours à donner un réel mandat aux Nations Unies pour mettre en place le cadre institutionnel, législatif et réglementaire permettant de réguler les conséquences environnementales et sociales de la mondialisation économique. Les pays peuvent toujours choisir à la carte de ratifier telle ou telle convention internationale. Les Etats Unis refusent par exemple de ratifier les engagements sur le climat (le protocole de Kyoto) tel autre pays en développement ne ratifie pas les accords de l’Organisation Internationale du Travail.
Pour éviter que certaines entreprises multinationales ne s’engouffrent dans ces lacunes en pratiquant le dumping social et environnemental, les Nations Unies tentent d’obtenir leur engagement volontaire sur les principaux accords internationaux en matière de droits de l’Homme, de droit du travail d’environnement et de lutte contre la corruption. Cette initiative appelée Pacte Mondial (Global Compact), mobilise plus de 1700 entreprises. Notre pays a répondu présent, près de 20% des signataires sont des entreprises françaises.
D’autres initiatives ont été prises pour orienter le comportement des grandes entreprises. L’OCDE a élaboré en 2000 une liste de principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales. La Commission Européenne a fait paraître en 2001 un livre vert sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises, que j’ai déjà cité.
Les engagements volontaires pris par les entreprises apparaissent comme l’avant-garde des négociations internationales, ils favorisent les innovations qui pourront servir de base à de futures réglementations. Mais les engagements généraux sans processus d’assurance et de vérification risquent de n’être que communication superficielle. C’est l’objectif de la GRI (Global Reporting Initiative) qui établit le cadre des rapports de développement durable pour les entreprises. Quelques pays, dont la France, ont inscrit dans le droit l’obligation d’élaborer des rapports de développement durable pour les entreprises cotées en bourse.
Mais la multiplicité des initiatives est source de confusion et de coût pour les entreprises. C’est dans ce contexte que l’ISO a ouvert un dialogue avec entreprises, syndicats, associations et administrations qui l’a conduit à envisager la rédaction de lignes directrices sur la Responsabilité sociale et à éclaircir les points de débat. Les syndicats, notamment, s’inquiètent de voir des systèmes volontaires, des lois molles, se substituer aux conventions internationales voire aux réglementations nationales. Les relations entre approches volontaires et cadre juridique devront être éclaircies de façon à ce qu’elles se renforcent mutuellement. D’autres s’inquiètent de voir une version « allégée » de la RSE se contenter d’un discours éthique désincarné ou de la seule prise en compte des attentes des parties intéressées immédiates et de leurs aspirations en termes de qualité de la vie. Or certains thèmes environnementaux plus globaux comme les changements climatiques, ou tout simplement les intérêts des générations futures, qui sont au cœur du développement durable, auraient pu en être exclu. Les Européens doivent affirmer haut et fort que la RSE et le développement durable sont intimement liés.

Trois types d’approches s’offrent à nous.

Une norme de management certifié par une tierce partie (comme les ISO 9001 ou 14001) qui permettrait de garantir que l’entreprise met en œuvre les bons processus. Cette piste est critiquée par les entreprises comme étant coûteuse, et par les associations qui considèrent qu’elle ne garantit pas des résultats concrets et « substantifs ». Cette piste semble écartée par les premiers travaux de l’ISO.

Un cadre éthique formalisé dans une charte de comportement. Cette approche bute sur les problèmes de vérification et pourrait aboutir à des perversions, comme la proposition australienne (AS 8000) qui propose un système de dénonciation organisée dans l’entreprise (whistle blowing) dont on imagine l’impact délétère sur le climat social des entreprises.

La troisième piste, celle retenue dans les premiers travaux de l’ISO, consiste en des lignes directrices qui ne seraient pas une « norme » mais un système apte à organiser les transactions sur l’environnement et le social entre les entreprises et la société, le long de la chaîne de la valeur (approche produit) et avec le territoire et les cadres juridiques nationaux. Elles devraient aussi intégrer la référence aux engagements internationaux.

Cette dernière approche avait été retenue par la commission de l’AFNOR qui a élaboré un guide pour la prise en compte des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de l’entreprise : le Fascicule de documentation SD 21000, sur le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises. Une large expérimentation, impliquant à terme près de 300 PME, a été lancée dans les régions, pour valider la démarche et les outils d’accompagnement, ce qui renforce la pertinence de l’initiative française.

Le processus qui pourra être initié par l’ISO, sous la houlette des Suédois et des Brésiliens, si les pays adhérents lui en donne mandat devra innover sur le fonds et la forme. L’ISO devra par exemple répondre aux demandes des pays du sud qui s’inquiètent de voir des normes conçues comme des barrières d’accès aux marchés du Nord. Un récent colloque, préparatoire au Sommet de Ouagadougou des Chefs d’Etat francophones qui sera consacré en novembre au développement durable, a identifié la nécessité d’impliquer les pays du sud et notamment les réseaux francophones dans les processus de normalisation.

Cet enchevêtrement d’initiatives privées et publiques, ce que certains appellent la diplomatie des réseaux, est au cœur du débat sur la mondialisation. C’est un défi conceptuel tant pour mettre les questions de développement durable au cœur de la réflexion sur la compétitivité, que pour trouver une articulation concrète entre les cadres juridiques nationaux et internationaux et les approches volontaires. C’est un redoutable défi collectif, qui implique la coopération entre tous les acteurs : les pays, les entreprises et les acteurs syndicaux et associatifs. C’est enfin un défi pour l’Europe qui devra établir les partenariats avec les pays en développement, face à ceux qui refusent le multilatéralisme.
En s’organisant pour participer à animer ce chantier qui s’ouvre à l’ISO le Comité Européen de Normalisation contribuera à faire entendre la voie de l’Europe dans le domaine des approches volontaires comme elle le fait au sein des Nations Unies. La France saura être aux côtés de la Suède et du Brésil qui animeront ce chantier.

Je vous remercie de votre attention et vous encourage pour les travaux de cette journée.

Source : http://www.ecologie.gouv.fr/article.php3?id_article=3821