La contamination des poissons du Rhône par le PCB fait l’actualité, mais c’est une vieille histoire. Un rapport que j’avais écrit, il y 20 ans, en 1989, refait ainsi surface. Je l’avais écrit à l’époque dans le cadre d’un bureau d’étude associatif avec le soutien de Tredi. Cette entreprise qui détruisait le pyralène des transformateurs souhaitait y voir clair dans un débat qui la prenait en tenaille.
D’un côté les incendies de transformateurs susceptibles de produire de la dioxine nécessitaient de détruire rapidement le pyralène et de l’autre la campagne menée par la FRAPNA sur la pollution du Rhône pouvait mettre en cause l’activité de l’entreprise. Par ailleurs différents acteurs, Haroun Tazieff en tête, contestaient l’existence même d’un problème. J’ai eu l’occasion de m’en expliquer ensuite avec lui, et de faire évoluer son opinion quand nous étions tous deux conseillers régionaux en Rhône Alpes.
Mon rapport montrait l’absence d’analyses sur l’ensemble du territoire, la difficulté d’accès des données existantes et l’absence d’études épidémiologiques. Je mettais en lumière des données sur la contamination du lait maternel (étude menée sur les pesticides agricoles qui donnait aussi accès aux dosages de PCB). Attaquer ainsi le lait maternel a, sans doute, empêché la presse de relayer cette information alarmiste, un journaliste m’accusant même de faire la part belle au lait en poudre. Je montrais aussi le peu d’empressement de l’administration du ministère de la santé à s’emparer de ces questions.
Les déversements de PCB ont diminué, mais la rémanence de ces produits dans le milieu, notamment dans les sédiments, explique les niveaux élevés de contamination encore observés aujourd’hui. Je ne me suis pas désintéressé de cette question, mais mobilisés pour travailler à la source du problème et faire progresser la réflexion sur la santé et l’environnement.
Juste après la parution de mon rapport, en 1990, la déclaration ministérielle de la troisième conférence internationale sur la protection de la Mer du Nord a été le premier texte qui invoque le principe de précaution, justement pour les composés de type PCB : « les participants continueront à mettre en œuvre le principe de précaution, qui est d’entreprendre une action pour éviter les effets potentiellement nocifs de substances qui sont persistantes, toxiques et susceptibles de bioaccumulation, même lorsqu’il n’existe aucune preuve scientifique mettant en évidence un lien causal entre les émissions et les effets. ». Je citais déjà dans mon rapport les données scientifiques sur la Mer du Nord qui avaient conduit à cette décision.
Je me suis donc mobilisé dès cette époque sur le principe de précaution.
Alors porte-parole des Verts (1991) j’avais fait adopter par le Conseil national des Verts (CNIR) une résolution sur les OGM avec une approche raisonnée, équilibrée entre l’analyse des risques et des intérêts pour la société. C’était la première position politique prise en France sur ce thème.
Quelques années après, en 1996, dès mon arrivée à la présidence de la Commission française du développement durable j’ai lancé un groupe de travail sur cette question qui a conduit à un article publié sous mon nom en 1997 par les Annales des Mines.
C’est donc avec détermination, et fort de ces expériences, que je me suis engagé dans la Commission Coppens pour que le texte associe santé et environnement d’un côté et intègre le principe de précaution de l’autre.
L’Académie médecine, relayée ensuite par l’Académie des Sciences, s’opposait alors à ce que ces deux thèmes soient évoqués dans le texte. Au point que la presse considérait « les scientifiques sont opposés au principe de précaution ». Avec Dominique Bourg, alors professeur à l’Université de technologie de Troyes, je lance un site et une pétition de soutien qui recueille 500 signatures de scientifiques. Cette initiative inverse la situation, la presse dira ensuite : les scientifiques sont divisés sur le principe de précaution. (voir commentaire De la science à l’idéologie scientiste)
Après de nombreux débat une version contradictoire de la charte sera présentée à Jacques Chirac. Pour les deux questions qui suscitent débat, 3 minutes seront données aux positions contradictoires. J’ai eu donc 3 minute pour défendre l’inclusion d’une référence à la santé dans la charte avec comme contradicteur Charles Pilet, Docteur Vétérinaire, Président honoraire de l’Académie Nationale de Médecine. C’est Dominique Bourg qui défendra le principe de précaution contre François Ewald, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, Conseiller pour la recherche à la Fédération française des Sociétés d’Assurances.
Après avoir écouté pendant une heure l’ensemble des interventions des membres de la commission, le président Chirac dira brièvement : « je ne comprends pas qu’une personne autour de la table ait pu un instant imaginer que l’on puisse parler d’environnement sans parler de santé. Et par ailleurs si le principe de précaution, n’était pas dans la charte, on ne parlerait plus que de son absence. Il y sera, mais sous une forme qui ne pose pas de problème juridique ».
C’est ainsi que l’article 1 de la Charte considère : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et établi donc le lien entre santé et environnement.
Mais la rédaction de l’article 5 de la charte a perdu un élément essentiel que Dominique Bourg et moi-même proposions : pour appliquer le principe de précaution l’autorité publique : « met en œuvre un programme de recherches et prend les mesures provisoires et proportionnées propres à parer » au dommage. Le texte adopté retient une autre formulation : « la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques encourus ainsi [que] l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d’éviter la réalisation du dommage ».
Ce passage de « programme de recherche » à « évaluation des risques » est essentiel car il a transféré la responsabilité du scientifique vers le juge. Cette erreur d’estimation du Conseil d’Etat n’a pas été corrigée par les parlementaires.
La suppression du principe de précaution de la Constitution comme le propose la commission Attali est la mauvaise solution. Refuser le principe de précaution n’est pas une démarche scientifique mais scientiste.
Le président Sarkozy a été clair dans son discours sur le Grenelle du 25 octobre : « Proposer sa suppression au motif qu’il briderait l’action repose, à mes yeux, sur une grande incompréhension. Le principe de précaution n’est pas un principe d’inaction. C’est un principe d’action. C’est un principe d’action et d’expertise pour réduire l’incertitude. Le principe de précaution n’est pas un principe d’interdiction. C’est un principe de vigilance et de transparence. Il doit donc être interprété comme un principe de responsabilité. »
La recherche absente du texte de la charte peut être réintroduite par des procédures qui impliquent réellement les scientifiques. La mise en place d’une échelle graduée de risque couplée à une échelle de certitude scientifique permettrait d’identifier pour chacun des niveaux quel type d’activité scientifique à mener : veille, programme de recherche, observation des signes précurseurs… Elle permettrait d’en assurer une lisibilité pour le citoyen.
Mais pour organiser ce processus, les activités de recherche concernées reposent sur l’épistémologie, l’épidémiologie, l’écologie… des recherches fondamentales qui elles sont largement sous dotées comme le prouvent les éléments détaillés au-dessus.
Il faut gérer cette question au niveau international.
La question a été rediscutée au Sommet de Johannesburg en 2002 en le replaçant dans le contexte de la science : le §109f) demande « Promouvoir et améliorer la prise de décisions fondée sur la science et réaffirmer la démarche fondée sur la démarche de précaution telle qu’énoncée en tant que Principe 15 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. » Quelques années auparavant le Pacte mondial avait établi un Principe 7 qui invitait les entreprises « à appliquer l’approche de précaution face aux problèmes touchant l’environnement ». Enfin aujourd’hui la question est aussi en discussion à l’ISO 26000. Certains industriels notamment américains, s’opposent à la présence de la précaution dans le texte.
Si les scientifiques doivent s’emparer de cette question ils doivent donc le faire dans un cadre international comme l’a fait le GIEC sur la question des changements climatiques qui est passée graduellement du principe de précaution (en 1990) à maintenant un principe de prévention puisque les connaissances sont suffisamment fiables.
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