Forum de l’AFF – Conclusion et perspective
Mesdames, Messieurs
Vous m’avez demandé de tirer les conclusions et de mettre en perspective cette journée. C’est un redoutable exercice, car je n’ai pas pu assister à l’ensemble de vos travaux. Je m’expose à des redites après l’éminents spécialistes qui se sont succédés. Ce risque est maximum, puisque pour vous permettre de disposer de mon intervention j’ai dû l’écrire il y à deux semaines.
Par ailleurs je suis en cours de mise en place de mon équipe. Je ne peux donc vous donner « le message » de l’administration mais je vais tenter de mettre en perspective quelques réflexions et de vous donner des éléments sur le Plan climat 2004.
Tout le monde connaît la définition de 1987 dans le rapport « Our Commun Future » de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement ou commission Brundtland qui le définit comme : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. » En général on oublie la phrase qui suit : « Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoin », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »
Que nous utilisions l’empreinte écologique ou les émissions de gaz à effet de serre pour décrire la pression excessive que notre mode de développement impose aux grands équilibres de la planète, la situation est grave. Si comme le considérait la déclaration de Rio, il faut permettre aux pays en développement d’augmenter leur pression et de garantir leur accès aux ressources pour le développement, les pays industrialisés doivent faire un effort encore plus important. Pour stabiliser la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et donc limiter les changements climatiques, il faut diminuer globalement d’un facteur 2 les émissions, ce qui implique une diminution d’un facteur 4 à 5 des émissions dans les pays industrialisés. C’est le cap qui a été donné pour la France par le Premier ministre à horizon de 2050. Rappelons-nous de ce chiffre Kyoto c’est moins 5% et il nous faut atteindre -50%, et la France doit faire -80%. On mesure l’ampleur du défi.
Il s’agit de modifier profondément les modes de production et de consommation tout en considérant l’équité sociale et l’efficience économique.
L’industrie du froid doit être considérée à l’aulne de cette ambition.
Comment le développement durable s’imposera aux entreprises
Le développement durable considéré comme une régulation environnementale et sociale de la mondialisation économique est un enjeu croissant pour les entreprises. Un double mouvement est observé. Le premier s’appuie sur la mise en place d’institutions internationales, ce que l’on appelle la gouvernance mondiale. Dans ce sens la France propose la mise en place de l’ONUE une Organisation des Nations Unies pour l’Environnement, et d’une fiscalité mondiale. Lors du Sommet de haut niveau sur le financement du développement, qui s’est tenu fin septembre à New York, 110 pays on soutenu un texte présenté par la France, le Brésil, le Chili et l’Espagne, qui considère que « le moment est venu d’accorder d’avantage d’attention aux mécanismes de financement innovant publics ou privés, obligatoires ou non ».
A côté des institutions internationales dirigées par les Etats dont la mise en place est lente, des dispositions volontaires s’imposent progressivement aux entreprises.
Les Nations Unies tentent d’obtenir l’engagement volontaire des entreprises sur les principaux accords internationaux en matière de droits de l’Homme, de droit du travail d’environnement et de lutte contre la corruption, sans attendre que les pays où elles opèrent ne les ratifient. Cette initiative appelée Pacte Mondial (Global Compact), mobilise plus de 1700 entreprises dont près de 20% sont des entreprises françaises.
D’autres initiatives ont été prises pour orienter le comportement des grandes entreprises. L’OCDE a élaboré en 2000 une liste de principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales. La Commission Européenne a fait paraître en 2001 un livre vert sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises.
Les engagements volontaires pris par les entreprises apparaissent comme l’avant-garde des négociations internationales, ils favorisent les innovations qui pourront servir de base à de futures réglementations. Mais la multiplicité des initiatives est source de confusion, et les engagements généraux sans processus d’assurance et de vérification risquent de n’être que communication superficielle. C’est l’objectif de la GRI (Global Reporting Initiative) qui établit le cadre des rapports de développement durable pour les entreprises. Quelques pays, dont la France, ont inscrit dans le droit l’obligation d’élaborer des rapports de développement durable.
La dernière en date est l’ISO qui va proposer d’ici la fin de l’année à ses membres de développer un cadre de responsabilité sociétale des entreprises. La contribution de la France à ce processus pourra s’appuyer sur le SD 21000 développé par l’AFNOR. Des réflexions par filière ou métiers sont en cours.
Un enjeu pour les pays en développement : la sécurité alimentaire
Vous savez que plus de la moitié des achats alimentaires dans les pays développés sont des denrées périssables présentées à la vente sous régime de froid. Le froid est un élément essentiel de la sécurité alimentaire. Dans ce domaine des progrès restent à faire dans nos pays mais surtout dans les pays en développement.
Dans les pays en développement les denrées alimentaires périssables représentent près du tiers du volume total des produits alimentaires consommés. Or seul 1/5e de ces aliments sont réfrigérés, ce qui entraîne des pertes élevées après la récolte. Mais les solutions techniques et économiques spécifiques doivent être trouvées. Avec l’eau et l’électricité, le froid est sans doute un des services de base comme évoqué dans la « Déclaration de Johannesburg pour la garantie d’accès aux services essentiels » au sujet de l’accès à l’énergie. Déclaration sous-entend les services qui sont liés à l’énergie, comme l’éclairage. Mais une approche spécifique sur le froid pourrait être utilement développée. Pour les Pays en développement le froid c’est aussi la vaccination.
La sécurité sanitaire et la qualité des aliments doivent être approchés de façon intégrée tout le long du cycle de vie. Cette approche intégrée du système alimentaire implique la coopération des différentes administrations et acteurs.
Ces acteurs seront liés par une traçabilité le long de la chaîne de production. Cette traçabilité est bien entendu spécifique pour la chaîne du froid.
L’information et la responsabilisation du consommateur va jusqu’à l’utilisation des réfrigérateurs ménagers.
Dans ces pays le froid solaire pourrait trouver sa place. Mais quelle que soit la technologie appropriée choisie, toute la chaîne des compétences est à organiser : la production des appareils, leur diffusion, la structure microéconomique qui en assure la maintenance, les programmes de formation à la conception, l’exploitation, le contrôle et la maintenance.
Mais dans le pays en développement la climatisation doit avant tout passer par des dispositifs architecturaux simples, s’inspirant pour certains d’entre eux d’approches traditionnelles.
La protection de la couche d’ozone
Les acteurs du secteur du froid ont du faire face aux obligations du protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone. Le durcissement progressif des réglementations au fur à mesure de la progression des connaissances a imposé des changements profonds à votre industrie. En 10 ans, l’industrie du froid a remplacé entièrement les CFC et les HCFC dans les équipements neufs par des frigorigènes ne nuisant pas à la couche d’ozone. Cette action a contribué à abaisser la concentration de chlore dans la stratosphère et à réduire les risques d’appauvrissement de la couche d’ozone. Les efforts commencent à payer. Alors que le « trou » de la couche d’ozone en Antarctique était anormalement élevé en 2003, sa diminution est plus modeste en 2004. Les observations satellitaires montrent que la décroissance de 30% concerne cette année moins de 15 millions km2 et 50% de décroissance moins de 1 million de km2. Ces chiffres peuvent être comparés respectivement aux chiffres de 25 à 30 millions km2 et plus de 5 millions km2 observés à mi-septembre 3 des 4 dernières années . Bien entendu ces chiffres devront être confirmés les années prochaines.
Quelles conclusions tirer de ce dossier ?
– En premier lieu que les efforts coordonnés au niveau mondial peuvent payer.
– Mais en second lieu que sur ces questions globales l’inertie du système est importante. Une vingtaine d’années nous sépare déjà des premières décisions, et les résultats ne commencent à être sensibles qu’aujourd’hui.
Le secteur du froid se prépare maintenant à affronter un autre enjeu environnemental pour le prochain siècle : le réchauffement planétaire. Pour combattre le réchauffement mondial, les principales stratégies sont axées sur la réduction de la consommation d’énergie de l’ensemble des dispositifs, la réduction des émissions de frigorigènes qui sont mis en cause directement dans le réchauffement, la recherche et le développement sur les nouveaux frigorigènes et les technologies de substitution, et les améliorations à apporter dans la chaîne du froid et dans les systèmes de conditionnement d’air et de chauffage.
Les effets positifs sur l’environnement des stratégies mises en œuvre doivent être évalués sur la base d’une analyse qui prenne en compte l’impact environnemental global pendant tout le cycle de vie du système frigorifique. Il faut dépasser le seul coefficient de performance (COP) pour envisager l’ensemble du cycle de vie comme le propose l’indice LCCP (Life Cycle Climate Performance) qui mesure les émissions totales de gaz à effet de serre. Il faut normaliser son mode de calcul, et le faire accepter par l’ensemble des parties prenantes.
Mais le système à considérer ne peut se limiter à la technologie du froid, il faut raisonner sur l’ensemble du bâtiment. Se posent les problèmes de maintenance générale et finalement du service apporté pour l’impact minimal. Ce passage du produit au service, implique des changements technologiques mais aussi de nouvelles relations, notamment commerciale, entre les acteurs comme le PPP (partenariat public privé). Ces nouvelles relations seront aussi encouragées par la diffusion de nouveaux mécanismes économiques comme le marché des permis d’émission. Celui ci est limité actuellement aux grandes installations industrielles, mais devrait gagner du terrain. Notamment vers des opérations de plus faible taille pour lesquelles les coûts de transaction seront plus élevés. La première étape est l’étiquetage comme le propose le plan climat sur lequel nous allons revenir.
Il faut noter également les nouveaux développements technologiques dans les systèmes de conditionnement d’air et de chauffage. Depuis quelques années, on se préoccupe davantage de la qualité de l’air intérieur et de ses effets sur le confort, la santé et la productivité des occupants.
La construction durable s’appuie sur la haute qualité environnementale et le bioclimatique préservant à la fois la qualité de l’air intérieur et la diminution des pertes en énergie. Le « chauffage basse température » et le « refroidissement haute température » permettent de faire de substantielles économies d’énergie. Ces nouvelles approches impactent les domaines de la ventilation, du contrôle, de la gestion de l’humidité, et de la filtration/épuration de l’air. Les différentes formes de mobilisation d’énergie solaire, leur combinaison avec d’autres formes d’énergie.
Ces évolutions impliquent la diffusion de technologies nouvelles et de nouvelles formes de partenariat avec l’implication des professionnels du génie climatique dès la conception des bâtiments architectes et énergéticiens.
La conception de systèmes énergétiques plus complexes s’appuiera sur des nouvelles notions comme l’écologie industrielle. Parmi les technologies de ce type la trigénération qui permet la production simultanée d’électricité, de chaleur et de froid.
Le Plan climat 2004.
J’achève mes propos en précisant les politiques concernant les changements climatiques.
Le Plan National de Lutte contre les Changements Climatiques (PNLCC) avait permis la mise en œuvre de quelques mesures dans le domaine de la climatisation : mise en œuvre de la qualification des entreprises, récupération des charges de plus de 2kg, Renforcement des contrôles, contrôle des équipements de climatisation automobile, travaux de normalisation, récupération des fluides, formation et qualification des entreprises.
Le Plan climat 2004 qui vient d’être présenté cet été par Serge Lepeltier consacre un de ses chapitres à la climatisation durable. Il note que les systèmes de climatisation connaissent une forte croissance. Je cite : « Cet engouement peut être lié au souci légitime de nos concitoyens pour leur confort en période estivale, et à leur volonté de se prémunir, eux et leurs proches, contre les effets d’une éventuelle canicule.
Malheureusement, les appareils climatiseurs ont aussi leurs effets pervers : forte dépense énergétique, émission de polluants et de gaz à effet de serre. L’action Climatisation durable aura pour but d’améliorer l’information des consommateurs, de mettre en place des bonnes pratiques des professionnels, de rendre l’État exemplaire et d’imposer un règlement européen sur le contrôle des climatiseurs.
L’information des consommateurs devra porter non seulement sur les performances, les consommations et les émissions de polluants des systèmes de climatisation, mais surtout sur les solutions alternatives : architecture bioclimatique, protections solaires, systèmes de rafraîchissement passif (exemple du puits canadien)… »
5 mesures sont proposées dans le chapitre climatisation durable:
– Climatisation dans les transports : réduction de 3,5 millions de tonnes équivalent CO2 visées en 2010, mesure suivie par le Ministère des Transports
– Qualification des opérateurs de la climatisation fixe et du froid 2,5 M teCO2, MEDD (objectif 2005)
– Plan confort d’été et climatisation 0,5 M teCO2, ADEME 2005
– Équipements frigorifiques fixes 2,4 M teCO2, MEDD 2005
– Améliorations des mélanges de HFC 1,3 M teCO2, MEDD 2005
Le total de ce chapitre climatisation durable devrait permettre une diminution de 10,2 millions de tonnes équivalent CO2 en 2010, sur les 72,3 visés par le Plan climat.
La généralisation de l’Etiquette Energie va impacter de façon croissante les systèmes et les techniques.
« L’Etiquette Energie (de A à G) existe déjà pour la majorité des appareils électroménagers et les ampoules électriques. C’est un outil très efficace pour guider les consommateurs dans leur choix et inciter les constructeurs à concevoir des appareils performants.
L’objectif est de généraliser cet étiquetage aux véhicules, aux logements, aux climatisations, et plus généralement à tous les produits qui consomment de l’énergie. L’étiquette devra porter sur les produits eux-mêmes ainsi que sur les supports promotionnels en cohérence avec l’éco-label européen.
Pour les véhicules, en plus de l’affichage déjà obligatoire des consommations de carburant, les consommateurs disposent depuis le 9 novembre 2003 d’une information sur les émissions de CO2 des véhicules proposées à la vente. L’Etiquette Energie (de A à G) apposée sur le véhicule à la vente dépendra de sa consommation en g CO2/km.
Pour les produits du bâtiment (fenêtres, radiateurs, chaudières…), la classification et l’étiquetage énergétique sont étudiés prioritairement en 2004 avec les professionnels concernés. »
L’enjeu de l’effet de serre ne s’arrête pas en 2010.
Comme l’objectif est de diviser par quatre ou cinq les émissions des pays industrialisés d’ici à 2050, la France doit s’inscrire dans une perspective de long terme au service d’une vision stratégique et technologique pour les prochaines décennies. Diviser les émissions par quatre d’ici à 2050 exige un renforcement de l’effort de recherche français pour accroître l’efficacité énergétique dans les transports, les bâtiments et l’industrie, développer de nouveaux carburants et la séquestration du carbone.
Les travaux de recherche actuels montrent qu’il est possible d’envisager, dans le futur, des bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire dont la production d’énergie (à partir d’énergies renouvelables, notamment solaire) est supérieure à leur consommation. Un programme de recherche pour réaliser des bâtiments à énergie positive sera mis en place, il permettra de fédérer les efforts des professionnels et des organismes de recherche, (notamment le CSTB et les universités…). « Il prendra en compte l’action de mobilisation des professionnels menée par l’ADEME et le PUCA depuis 2002 à travers le programme « Qualité énergétique, environnementale et sanitaire : préparer le bâtiment à l’horizon 2010 ». Ses modalités seront précisées avant la fin de 2004 par les ministères en charge de la Recherche, de la Construction, de l’Écologie et de l’Énergie et l’ADEME, en lien avec les professionnels. Pour la réussite de ces deux programmes, des percées techniques sur les thèmes suivants sont nécessaires :
– l’isolation avec des parois « intelligentes » : protections solaires fixes et mobiles, super-isolants, enveloppes actives (parois et vitrages à propriétés variables…), systèmes de stockage, bâtiment à forte inertie, bâtiment à double peau ventilée ;
– la ventilation avec des systèmes économes en énergie, qui assurent la qualité de l’air intérieur et sans risque sanitaire pour l’air extérieur ;
– le chauffage et la climatisation avec des systèmes énergétiques innovants (pompes à chaleur réversibles à capteurs enterrés, émissions par rayonnement, plafonds et planchers rafraîchissants…), des systèmes de rafraîchissement passif (puits provençaux) ;
– les énergies renouvelables : systèmes solaires thermiques et photovoltaïques, éolien.
Une Fondation bâtiment-énergie sera créée, qui fédérera des actions de recherche et développement d’acteurs publics et privés autour de ce thème. »
Ces évolutions ne doivent pas être considérées comme des contraintes mais comme des enjeux positifs d’innovation et de développement de nouvelles activités et marchés.