Le cadre général de l’EM
L’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire (EM) est un programme de travail d’envergure internationale d’une durée de 4 ans, destiné à répondre aux besoins des décideurs en matière d’information scientifique relative aux liens entre changements au niveau des écosystèmes, et bien-être de l’homme. L’EM vise à contribuer à l’atteinte de l’objectif du Sommet Mondial du développement durable de Johannesburg (SMDD) : « améliorer les politiques et la prise de décision à tous les niveaux, entre autres à travers une collaboration renforcée entre les experts en sciences naturelles et ceux en sciences sociales, et entre scientifiques et décideurs au plan politique, y compris, par le biais de mesures urgentes à tous les niveaux: (a) le renforcement de l’application des connaissances scientifiques et technologiques et l’augmentation de l’exploitation bénéfique des connaissances locales et indigènes dans le respect des détenteurs de ces connaissances, et en conformité avec la loi nationale; (b) l’utilisation plus fréquente des évaluations scientifiques intégrées, de l’évaluation des risques et des approches inter-disciplinaires et intersectorielles. »
L’EM a été lancée par le Secrétaire général de l’ONU, Kofi ANNAN en juin 2001. Un premier travail publié en 2003 (sous l’égide de WRI et traduit en français) « Les écosystèmes et le bien-être de l’Homme : un cadre d’évaluation », il avait permis de définir le cadre conceptuel de ce travail et ses objectifs. Le rapport principal d’évaluation a été publié en mars 2005[[Millennium Ecosystem Assessment Synthesis Report, Pre-publication Final Draft Approved by MA Board on March 23, 2005]]. Des évaluations sub-globales (jusqu’à 15) seront exécutées aux niveaux local, national et régional et leur publication se poursuivra jusqu’en 2006. Enfin une série de rapports de synthèse visera des audiences spécifiques, notamment les conventions internationales et le secteur privé. Il s’agit dans l’esprit des Nations-Unies d’un processus régulier qui devrait se dérouler tous les 5 ans. Il ne produit pas de connaissance nouvelle mais apporte de la valeur ajoutée à des informations existantes en les collationnant, évaluant, synthétisant, interprétant et communicant sous une forme utilisable.
Une vision utilitariste des écosystèmes
Les objectifs ont été précisés par le rapport intermédiaire de 2003 : « Une évaluation des écosystèmes est susceptible d’aider tout pays, toute région ou société en : approfondissant la compréhension de la relation et des liens entre les écosystèmes et bien-être de l’Homme, démontrant la capacité des écosystèmes à contribuer à la réduction de la pauvreté et à l’élévation du niveau du bien-être de l’Homme… »
L’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire part de l’analyse des services écologiques apportés au développement. Elle développe une vision « utilitariste » de l’environnement qui caractérise le développement durable (c’était déjà l’attitude adoptée par l’Agenda 21 de Rio). Il met l’accent sur la manière dont les changements au niveau des services écologiques [[Le terme service ou bénéfice des écosystèmes traduction de l’anglais « ecosystem services » utilisé dans le rapport est moins utilisé que celui de « services écologiques ». Il est défini par l’EM comme : « les bénéfices que les écosystèmes procurent aux hommes. Ils comportent les services de prélèvement tels que celui de la nourriture et de l’eau; les services de régulation comme la régulation des inondations, de la sécheresse, de la dégradation des sols, et des maladies ; les services d’auto-entretien tels que la formation des sols, le développement du cycle nutritionnel; enfin les services culturels tels que les bénéfices d’agrément, les bénéfices d’ordre spirituel, religieux et les autres avantages non matériels. »,]] c’est-à-dire des services provenant des écosystèmes, ont affecté le bien-être de l’homme, et la manière dont ces changements au niveau des écosystèmes pourraient affecter les individus dans les décennies à venir, et les types de réponses qui pourraient être initiées aux niveaux local, national, ou mondial pour améliorer la gestion des écosystèmes et contribuer ainsi au bien-être de l’Homme et à la réduction de la pauvreté.
Le cadre conceptuel de l’EM place le bien-être de l’Homme au centre de son processus d’évaluation, tout en reconnaissant que la biodiversité et les écosystèmes aussi possèdent une valeur intrinsèque, et que les hommes prennent leurs décisions touchant ces écosystèmes en considérant aussi bien la notion de bien être que celle de valeur intrinsèque. Il établit le lien entre l’Homme et les écosystèmes. Un écosystème est considéré comme un complexe dynamique composé de communautés de plantes, d’animaux et de micro-organismes et de la nature inerte, sujet à des interactions en tant qu’entité fonctionnelle. Les êtres humains sont partie intégrante des écosystèmes. Les écosystèmes procurent une variété de services aux hommes, tels que les services de prélèvement, de régulation, culturels et d’auto-entretien (voir figure).
Le rapport du Groupe de travail sur le cadre conceptuel de l’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire (2003) avait cadré les 5 questions auxquelles cette évaluation devait apporter des réponses : « 1 – Quelles sont les tendances et les conditions actuelles des écosystèmes et le bien-être de l’Homme qui leur est associé ? 2 – Quels sont les changements auxquels on peut s’attendre au niveau des écosystèmes en matière d’offre et de demande de services provenant des écosystèmes et leurs conséquences sur la santé, les moyens d’existence, la sécurité et les autres éléments constitutifs du bien-être ? 3 – Que peut-on faire pour consolider le bien-être et assurer la conservation des écosystèmes? Quelles sont les atouts et les faiblesses des options en guise de réponses, des actions et processus à considérer en vue d’atteindre des objectifs spécifiques ou d’éviter des situations données dans le futur ? 4 – Quels sont les résultats les plus frappants et les incertitudes majeures qui affectent la délivrance de services émanant des écosystèmes (y compris les conséquences sur la santé, les moyens d’existence, et la sécurité) et les autres décisions de gestion et formulations de politiques ? 5 – Quels outils et méthodologies développés, utilisés et appliqués dans le processus d’EM peuvent renforcer la capacité en matière d’évaluation des écosystèmes et des services qu’ils fournissent, de leur impact sur le bien-être de l’Homme et les implications des options en guise de réponse ? »
Quatre groupes de travail ont été mis en place.
Le premier groupe sur les conditions et les tendances (Condition and Trends) a évalué la connaissance des écosystèmes, les moteurs de l’évolution des écosystèmes, les services écologiques (ecosystem services) et le bien être humain associé en 2000. Le deuxième groupe des scénarios a considéré les évolutions possibles des services écologiques pendant le XXIème siècle, selon quatre scénarios qui considèrent l’évolution des moteurs, les écosystèmes, les services écologiques et le bien être humain. Le groupe de travail sur les réponses a étudié les forces et les faiblesses des diverses stratégies de réponse qui ont été utilisées pour le management des services écologiques et identifié les opportunités prometteuses d’amélioration du bien être humain tout en conservant les écosystèmes. Le groupe de travail sur les questions sous-mondiales, a évalué les leçons à tirer des évaluations sous-mondiales.
Enseignements généraux
En premier lieu le constat est que près de 60% (15 sur 24) des services écologiques examinés sont en train d’être dégradés ou être utilisés de façon non durable, incluant les eaux douces les ressources halieutiques, la purification de l’air et de l’eau, la régulation du climat au plan régional et local, les risques naturels et les nuisibles. La dégradation des services écologiques devrait s’aggraver de façon significative au cours de la première moitié du siècle, et être un obstacle à la réalisation des objectifs du millénaire.
Les changements opérés sur les écosystèmes ont permis d’augmenter le niveau de vie mais ont conduit à leur dégradation augmentant les risques de dégradation non linéaire, et l’exacerbation de la pauvreté pour certains peuples. Si on n’y apporte pas des solutions ces problèmes diminueront considérablement le bénéfice que les générations futures pourront tirer de ces écosystèmes..
Le nombre des espèces est en déclin. Depuis les derniers siècles, les être humains ont augmenté le rythme d’extinction des espèces par 1000 comparé au rythme observé sur l’histoire de la planète (certitude médiane). 10-30% des espèces de mammifères, oiseaux et amphibiens sont menacés d’extinction (certitude médiane à haute). Les écosystèmes d’eau douce sont les plus menacées pour les extinctions d’espèces. Ces problèmes sont dus à la croissance de la consommation de ces ressources. Entre 1960 et 2000, la demande des services écologiques a augmenté de façon significative quand la population mondiale a doublé et le développement économique mondial multiplié par 6. La production alimentaire a été multipliée par 2,5 la consommation d’eau par 2, l’exploitation forestière pour le papier par 3, la capacité hydraulique installée par 2 et la production de bois a augmenté de 50%.
L’adéquation entre ces besoins et les ressources existantes est de plus en plus problématique. 15 à 35% des consommations de l’irrigation exèdent les taux d’alimentation et de ce fait sont non durables (certitude faible à médiane).
Les scénarios de changement
Pour imaginer les évolutions possibles et les stratégies politiques l’EM s’est appuyée sur la méthode des scénarios. Quatre scénarios ont été élaborés selon la combinaison de deux approches du management des écosystèmes (proactif ou réactif) et des modes de développement mondial (globalisation ou régionalisation) (voir Tableau 1). Cette méthode permet d’identifier les conséquences possibles des choix politiques.
|management des écosystèmes|développement mondial|
| |globalisation | régionalisation|
|réactif|orchestration mondiale|ordre par la force|
|proactif|jardin planétaire|mosaïque appropriée|
Tableau 1 : Les 4 scénarios de l’EM
Les scénarios sont très contrastés
l’ordre par la force (Order from Strength scenario)
Le scénario « ordre par la force » représente un monde régionalisé et fragmenté, soucieux de sécurité et de protection, accentuant principalement les marchés régionaux, et accordant peu d’attention aux biens communs. Les nations ne recherchent que leur propre intérêt comme défense contre l’insécurité économique, et les mouvements des biens, des personnes et des informations sont sévèrement réglementés et policés. Le rôle des gouvernements se développe alors que les compagnies pétrolières, les systèmes d’eau, et autres activités stratégiques sont soit nationalisées soit sujettes à plus de contrôle étatique. La régionalisation exacerbe les inégalités globales.
Les traités sur le changement climatique, les pêcheries internationales, et le commerce des espèces en danger sont seulement mis en œuvre faiblement de façon irrégulière ce qui résulte dans la dégradation des biens communs. Les problèmes locaux sont souvent non résolus, mais les problèmes majeurs sont parfois résolus par des secours d’urgence sur les catastrophes et ils ne résolvent que temporairement la crise immédiate. De nombreux pays font face avec leurs problèmes locaux en transférant la charge à d’autres pays moins puissants, accroissant le fossé entre pauvres et riches. Les inégalités s’accroissent considérablement aussi au sein des pays.
Les services des écosystèmes deviennent plus vulnérables, fragiles, et variables. Les conditions de récolte sont souvent sous optimales, et la capacité d’importation des sociétés d’importer des aliments alternatifs est diminuée par les barrières commerciales.
l’orchestration mondiale (Global Orchestration scenario)
Le scénario de « l’orchestration mondiale » conduit à une société mondialement connectée dans laquelle les réformes politiques concentrées sur le marché mondial et la libéralisation économique sont utilisées pour réformer es économies et la gouvernance, en mettant en avant la création de marchés qui permettent la participation égale et l’égal accès de tous aux biens et aux services.
Ce scénario s’appuie sur une action d’organisations supranationales qui permettent la promotion du développement économique et de la lutte contre la pauvreté et qui se préoccupent de problèmes environnementaux comme le climat et les ressources halieutiques. Mais du fait de l‘approche réactive de la gestion des écosystèmes les peuples peuvent être surpris par des problèmes écologiques dus à une action trop tardive. L’objectif tourné vers le bien être ne permet de s’occuper de l’environnement que quand les problèmes deviennent apparents. L’expansion économique globale exproprie ou dégrade certains services écologiques des lesquels les populations pauvres dépendent pour leur survie. Le développement économique dans certaines régions permet de compenser les services écologiques détruits par d’autres services mais dans d’autres régions ce n’est pas possible et un nombre croissant de personnes y voient diminuer leur accès à ces services.
Alors que les risques apparaissent gérables dans certaines régions, dans d’autres ils ne le sont pas et l’on observe des pertes soudaines car les systèmes écologiques franchissent des seuils d’irréversibilité : perte de sources d’eau potable, manque de récoltes, inondations, invasion d’espèces et explosion de maladies environnementales.
la mosaïque appropriée (Adapting Mosaic scenario)
Ce scénario de la « mosaïque appropriée » voit l’émergence de stratégies locales de management des écosystèmes et le renforcement des institutions locales. Les investissements en capital humain et social sont gérés pour améliorer la connaissance sur le fonctionnement et le management des écosystèmes, ce qui permet une meilleure compréhension de la résilience, fragilité, et flexibilité locale des écosystèmes.
Il y a aussi une grande variété de styles de gouvernance entre les nations et les régions, incluant le management des services écologiques. Certaines régions explorent activement un management adaptatif, explorant des alternatives par l’expérimentation. D’autres emploient une méthode rigide et bureaucratique pour optimiser la performance des écosystèmes. Il y a une très grande diversité des résultats de ces approches : certaines zones prospèrent, alors que d’autres développent de sévères inégalités ou font l’expérience de dégradations écologiques.
En définitive l’objectif de la gouvernance locale conduit à des échecs dans la gestion des biens communs. Les problèmes des changements climatiques, de la gestion des ressources halieutiques ou de certaines pollutions s’empirent et les problèmes environnementaux globaux s’intensifient. Les communautés locales prennent progressivement conscience quelles ne peuvent pas gérer leur territoire local car les problèmes régionaux et globaux deviennent exaspérants. Mais les échanges d’expériences dans les réseaux de coopération font progresser de nombreux services.
le jardin planétaire (TechnoGarden scenario)
Le scénario du « jardin planétaire » se déroule dans un monde globalement connecté s’appuyant en grande partie sur la technologie et dans des écosystèmes hautement contrôlés, souvent par génie écologique, pour délivrer des services écologiques. La productivité globale des services écologiques de production s’améliore, mais handicapés par les risques inhérents aux grandes solutions humaines et au contrôle rigide des écosystèmes. Les technologies et les solutions sont conçues pour bénéficier aussi bien à l’économie et l’environnement. Ces changements se développent conjointement avec l’extension des droits de propriété aux services écologiques, comme le principe pollueur payeur ou le recouvrement du coût d’accès aux services écologiques. L’intérêt de maintenir et même d’augmenter la valeur économique de ces droits de propriété, combiné avec un intérêt dans l’apprentissage et l’information, conduit à multiplier les approches d’ingénierie écologique pour gérer les services écologiques.
Une variété de problèmes rencontrés dans l’agriculture mondiale sont résolus en développant une agriculture multifonctionnelle et une réduction mondiale des subventions agricoles et les barrières commerciales. Les productions non alimentaires de l’agriculture, et la croissance de nouveaux marchés pour les biens et les services, l’utilisation de mécanismes économiques nouveaux, et le développement technologique s’appuient sur des méthodes plus sophistiquées de gestion des écosystèmes.
La fourniture fiable des services écologiques, comme composante de la croissance économique, l’usage croissant de la technologie rendu possible par l’amélioration du niveau de vie, permettent à un nombre croissant de pauvres de rejoindre la classe moyenne. Mais l’accès à ces services, principalement dans les zones urbaines, peut échapper aux pauvres et être critique dans l’avenir. La dépendance vis-à-vis des solutions technologiques peut causer de nouveaux problèmes et vulnérabilités. Dans certains cas les nouveaux problèmes sont issus des solutions précédentes et les coûts de gestion de l’environnement peut croître de façon continue. Parfois les nouveaux problèmes peuvent émerger plus rapidement que les solutions.
Trois de ces scénarios – orchestration mondiale, mosaïque appropriée et jardin planétaire – impliquent des changements profonds des politiques de développement durable. Dans l’orchestration mondiale les barrières commerciales sont éliminées, les subventions distorsive sont supprimées et un accent est mis sur les politiques de lutte contre la pauvreté. Dans le scénario mosaïque appropriée, en 2010, la plupart des pays dépense près de 13% de leur PNB dans l’éducation (comparé à une moyenne de 3,5% en 2000), et des arrangements institutionnels se multiplient pour faire la promotion des transferts de savoir-faire et de connaissances entre les groupes régionaux. Dans le jardin planétaire les politiques sont mises en place pour rétribuer les individus et les entreprises qui fournissement et maintiennent les services écologiques. Par exemple dans ce scénario en 2015, environ 50% de l’agriculture européenne, et 10% de l’agriculture européenne d’Amérique la production alimentaire avec la fourniture d’autres services écologiques.
La Figure 3 montre le changement net du nombre des services écologiques améliorés ou dégradés dans le scénario de l’EM pour chaque catégorie de services pour les pays industrialisés et en développement exprimé en pourcentage du nombre total des services évalués dans la catégorie [[Ainsi, 100% dégradation signifie que tous les services de la catégorie ont été dégradés, alors que 50% d’amélioration signifie que 3 des 6 services ont été améliorés et le reste inchangé, ou que 4 sur 6 ont progressé et un a été dégradé. Le nombre total des services évalués pour chaque catégorie a été de 6 pour les services de prélèvement, 9 pour les services de régulation, et 5 pour les services culturels]]. Seule une approche proactive de l’environnement permet d’envisager une amélioration des services écologiques. Le scénario mosaïque appropriée qui garanti le mieux la diversité culturelle est moins adaptée pour garantir aux pays en développement les services de prélèvement que le scénario jardin planétaire…
Conclusions
Cette étude consolide bien entendu les rapports alarmants sur l’Etat de la planète. On y trouve de nombreuses données sectorielles impossibles à synthétiser ici. Mais l’originalité de ce travail est de faire un pont vers les politiques possibles et de faire le lien entre l’environnement et d’un côté les modes de gouvernance et de l’autre les problèmes de lutte contre la pauvreté. Alors que de nombreux pays du sud développent de façon séparée leurs stratégies de lutte contre la pauvreté et leur politiques environnementales. Cette approche justifie de développer un cadre unique de stratégie nationale de développement durable intégrant notamment les politiques environnementales et de lutte contre la pauvreté. L’identification et la gestion des services écologiques apparaissant comme une passerelle entre deux approches inconciliées actuellement.
Les résultats plaident sur une combinaison des deux approches proactives dans lesquelles les Nations Unies pourraient jouer un rôle d’animation et de régulation quand c’est possible.