Article paru dans : « Les limites planétaires, une nouvelle boussole pour l’habitabilité de la terre », mai 2024 Gallimard, Collection Points FNAU – Alternatives n°15
Introduire les limites planétaires dans des territoires implique un système de mesure qui permette d’évaluer les limites pour le territoire lui-même dans son ensemble et pour chacun des processus se déroulant dans ce territoire, comme les systèmes productifs, les systèmes produits/services et les organisations. La normalisation doit organiser la dimension substantive (métrique et scientifique) pour déterminer les impacts, et d’autre part une dimension procédurale (organisationnelle, managériale et politique) pour affecter les quotas de ces limites.
Les limites une question scalaire
Parler de limites planétaires au niveau local peut paraître comme un oxymore, si ‘on ne considère pas la question scalaire.
Les limites concernent des systèmes à des échelles territoriales chacune particulière. La limite de concentration des gaz à effet de serre, l’acidification des océans ou la couche d’ozone concernent le système global et les interactions atmosphère/biosphère/lithosphère.
En revanche la biodiversité, l’usage des sols, la pollution de l’air et de l’eau ne deviennent une limite globale qu’à la suite d’un processus d’agrégation de multiples données locales, dont le mode de calcul est en partie conventionnel.
Le territoire doit être considéré comme un système, au sein duquel on puisse ‘boucler le bilan’ c’est-à-dire considérer l’ensemble des consommations de capital réparties entre ses différentes composantes. C’est bien entendu un système ouvert avec des importations et exportations. S’inscrire dans les limites planétaires implique de considérer l’ensemble du cycle de vie des activités.
Figure 1 : Problématique scalaire, du global au particulier
La prise en compte des limites planétaires au niveau local doit être envisagée de deux façons. D’un côté il s’agit d’imputer les limites globales aux territoires par un calcul conventionnel, de l’autre il s’agit d’identifier les limites au sein des écosystèmes locaux grâce à des évaluations et modélisations spécifiques à chaque territoire. Il s’agit notamment des fonctions écologiques de base qui garantissent le fonctionnement des écosystèmes pour fournir les services des écosystèmes.
Il convient ensuite d’identifier la pression des activités sur ces ressources limitées selon une approche cycle de vie. Ce processus d’identification des limites est principalement de nature substantive et scientifique. En revanche celui qui concerne l’imputation de ces limites à des communautés et des systèmes sociotechniques est de nature procédurale et politique. Il s’agit moins de limites mais de communs, ressources et capitaux, disponibles.
Placer la normalisation des limites dans le système des normes existantes.
La territorialisation des limites écologiques devrait s’inscrire dans le champ des normes internationales développées au sein du comité technique de l’ISO (ISO TC/268) – Villes et communautés territoriales durables, dont comité miroir français est la commission AFNOR VTDI et au niveau européen le CEN TC 465.
La figure 2 donne à voir l’organisation conceptuelle actuelle des normes portant sur la durabilité de l’ISO TC/268. La logique de ces normes est, dans une logique systémique, de faciliter l’intégration des décisions et l’interopérabilité des données : par le management et la gouvernance d’un côté et par les données et les informations de l’autre.
Figure 2 : Champ d’application des normes sur la durabilité publiées par l’ISO/TC 268 et en projet au CEN TC 465 (*)
La normalisation peut prendre deux voies, soit l’intégration des limites dans les normes existantes lors de leur processus de révision, soit la rédaction de nouvelles normes qui s’insèrent dans le système de normes.
Un certain nombre de changements doivent être opérés :
Management et gouvernance : Le système de management actuel s’appuie sur l’amélioration continue et sur des objectifs fixés par la collectivité. Pour les limites les objectifs sont fondés sur des données scientifiques (science based targets), ou sur des objectifs et des trajectoires fixés par des institutions supérieures (comme la diminution de 55% des émissions GES d’ici 2030 pour l’UE). Le système de management devant permettre de vérifier la conformité vis-à-vis de ces trajectoires.
Processus et structures : la structure des villes intelligentes (Smart City) est considérée sous l’angle de des services intelligents apportés aux citoyens. L’architecture pour les limites doit introduire trois composantes supplémentaires (1) des systèmes écologiques et géographiques d’identification des limites, (2) les systèmes sociaux économiques auxquels imputer ces limites, (3) les systèmes institutionnels, collectivités locales département région Etats pour la décision.
Données et information : Piloté par l’innovation numérique et la disponibilité massive de données la normalisation actuelle vise l’interopérabilité. Le jumeau numérique permettra la modélisation, la simulation, la visualisation des données pour faciliter la gestion urbaine. Les données nécessaires pour évaluer les limites devraient ouvrir de nouveaux chantiers, de connaissances du fonctionnement des écosystèmes qui ne relèvent pas uniquement des données mais du traitement de ces données par des modèles et la compréhension des mécanismes. Quand il est nécessaire de combler l’absence actuelle de données, il faudra considérer les apports de capteurs et de modèles nouveaux. On pourrait proposer un « jumeau scientifique » comme étant le processus de structuration des connaissances.
Ce système devrait être conçu pour légitimiser les apports scientifiques dans la décision c’est-à-dire la confiance dans les processus scientifiques. Le développement de ces connaissances locales serait aussi une solution à la crise démocratique et à la prise en compte de la science.
Solutions et projets : Les processus de déclinaison pour les projets urbains ou les entreprises ne portent pas sur l’ensemble des sujets mais sur certaines limites pertinentes.
Indicateurs. Des indicateurs spécifiques aux limites planétaires doivent être élaborés.