En déclarant que Nicolas Hulot emmerde tout le monde, Gérard Depardieu a encore fait le buzz. Je ne vais pas commenter ici la finesse du propos d’un acteur certes exceptionnel, mais boulimique et asocial, adepte de l’évasion fiscale et des régimes autoritaires. Non je souhaite évoquer le mécanisme profond qui se cache derrière ses propos.
Attacher les contraintes environnementales à une personne, d’abord, répond au besoin primitif de personnaliser la Nature. C’est le fonctionnement des mythes de l’Antiquité. Le panthéisme donnait un visage aux processus naturels. Des dieux incarnaient ainsi la Nature ou des phénomènes naturels remarquables. L’usage de la foudre était le privilège de Jupiter. Mais au-delà de cette personnalisation, et de la focalisation sur des individus, fussent-ils des dieux ou demi-dieux, il y a l’incarnation collective.
Les questions environnementales sont portées par les écologistes, catégorie fourretout de scientifiques engagés, de citoyens concernés, de militants politiques… Dans cette perspective d’incarnation la question environnementale, n’a pas d’existence pour elle-même, mais parce qu’elle est portée par des acteurs. C’est avant tout une question d’opinion. Les problèmes environnementaux sont ainsi ravalés aux croyances d’un groupe social qui plus est marginalisé.
Je me rappelle les propos d’un ancien premier ministre, qui s’est engagé récemment sur la question climatique, qui déclarait, quand il était en exercice, considérer l’importance de l’environnement par son poids dans l’opinion publique : « C’est important regardez les sondages ». Dans le monde politique l’importance est mesurée par les sondages ou dans les urnes par les résultats du parti Vert. Ces dernières années, avec une nouvelle génération de responsables politiques, cela a un peu changé.
Mais une part de la société a la même position que le vieux monde politique. Cela a été très bien illustré il y a quelques années en Ardèche par la rumeur qui accusait les écologistes de lâcher des vipères par hélicoptère. L’origine des vipères ne pouvait qu’être intentionnelle et d’origine humaine. Les responsables ne pouvant donc être que les écolos. Ceux qui défendent les ‘nuisibles’ sont eux-mêmes nuisibles.
J’ai pu observer un raisonnement analogue, mais inverse. Si ce qui est considéré par le sens commun comme négatif dans la Nature est dû à l’action des écolos, ce qui est positif ne peut être aussi dû qu’à des humains. Au sein de la Commission Coppens, lors du débat sur l’introduction de la biodiversité dans la charte de l’environnement, un des membres, affirmait que s’il n’y avait pas les forestiers il n’y aurait pas de forêt. Une opposition frontale a mobilisé de nombreux membres de la Commission pour refuser toute référence à la biodiversité dans le texte. Dominique Lambert, l’actuelle patronne de la FNSEA n’était pas la dernière. La biodiversité est ainsi absente de la proposition de la Commission au profit de termes comme ressources, patrimoines ou équilibres naturels. Le texte de la charte évoque lui, la diversité biologique et un environnement équilibré, mais aucun ne cite la Nature.
Nicolas Hulot a dit à l’Assemblé nationale que la biodiversité « tout le monde s’en fout ». Je suis plus pessimiste que lui, il y a des acteurs très actifs que l’intérêt, l’idéologie ou l’ignorance encouragent à détruire la biodiversité souvent de façon consciente. Les données sont pourtant évidentes et connues depuis longtemps, et l’actualité est venue en renforcer l’urgence.
Selon le Muséum national d’histoire naturelle les populations d’oiseaux vivant en milieu agricole ont perdu un tiers de leurs effectifs en 17 ans. S’intéresser à la biodiversité c’est certes protéger le panda ou la girafe, mais c’est aussi s’intéresser aux vers de terre, aux insectes, aux oiseaux communs, aux prédateurs qui limitent les populations des micro-rongeurs. Renards et fouines sont bénéfiques pour lutter contre les infections véhiculées par les tiques telle que la maladie de Lyme[1]. Cette écologie « commune » fournit de nombreux services écologiques comme la limitation des maladies. Mais seule la science écologique est à même d’établir ces liens. Et sûrement pas le sens commun.
Le lobby agrochimique n’est qu’un des éléments de cette dégradation des écosystèmes. Le refus idéologique de reconnaitre l’altérité de la Nature, rend impossible de concevoir que la Nature peut parfaitement se passer des hommes alors que l’Humanité ne peut pas se passer de la Nature. Certes les écosystèmes sont fortement anthropisés mais quand ils fonctionnement dans leur diversité ils apportent de nombreux services.
Opposer les deux n’a pas de sens. Défendre les écosystèmes c’est défendre l’homme. L’analyse de ces interactions s’appuie sur une science, l’Ecologie, et ses processus d’observation, de modélisation et de validation. La plupart des problèmes environnementaux ne sont envisageables qu’à travers la science. Ces sont les scientifiques qui tirent des conclusions à partir d’observations rigoureuses encadrées par des protocoles robustes, d’analyses statistiques de grandes séries de données ou à travers des modèles. Or ils ne sont pas assez entendus tant par les politiques que par les citoyens.
La science du climat a su se structurer avec le GIEC qui a pu énoncer des seuils (2°C) acceptés par le monde politique. Mais pour la biodiversité la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) n’a pas le même impact, l’objet est plus complexe, et surtout il est extérieur aux villes et donc incompréhensible aux urbains. En ville la biodiversité est en effet une création humaine, c’est une concession des promoteurs du minéral au profit du vivant. Cela conforte l’idée que la biodiversité serait une création humaine.
Le contexte de la progression du populisme est très préoccupant sur cette question. Toute compréhension scientifique de la nature est exclue au profit de l’expérience sensible ancrée dans les archaïsmes. Le renard ce n’est que celui qui chipe les poules. La chouette celle qui porte malheur (d’ailleurs son cri le prouve !!!) doit être clouée à la porte des granges… La faune se divise en espèces utiles d’un côté et en nuisibles de l’autre.
La vague populiste s’appuie sur un refus des élites (auxquelles appartiennent les scientifiques) et des institutions. Quand les institutions sont contaminées par le populisme, comme dans les Etats Unis de Trump, elles commencent par nier la science.
Mais les politiques urbains, on tendance à laisser du terrain au populisme rural pour peu qu’il puisse se déchainer seulement contre la nature. C’est pourquoi ils prétendent en France laisser aux chasseurs la gestion de la biodiversité. La chasse française est tenue par le populisme, niant la science écologie.
Mon propos n’est même pas contre la chasse en tant que telle. Dans de nombreux pays la chasse a une place en harmonie avec une certaine protection de l’environnement. Ecologistes et chasseurs peuvent ensemble protéger des espaces naturels contre leur artificialisation, se mobiliser pour une agriculture respectant le vivant. Mais ce qui n’est pas le cas en France.
La protection des écosystèmes, la maximisation des services apportés par ces écosystèmes est un enjeu fort pour l’espace rural. Créer le maximum de valeur collective en s’appuyant sur la biodiversité, c’est la condition pour la sauver. Cela passe par une multifonctionnalité de l’espace rural, de l’agriculture comme de la forêt. C’est-à-dire aussi la coopération entre des acteurs variés, et pas le monopole à un seul. La FAO se mobilise aujourd’hui pour une agro-écologie, susceptible de nourrir l‘humanité en préservant la planète. Un retour à l’enrichissement du sol et de sa biodiversité est un moyen de stocker du carbone tout en augmentant la fertilité.
C’est donc l’innovation, c’est à dire la connaissance scientifique couplée à la création de valeur, qui est l’enjeu de l’espace rural. L’environnement et la biodiversité sont à c’est égard une formidable opportunité.
Les scientifiques écologues emmerdent les ruraux populistes, au moins autant que Nicolas Hulot emmerde Gérard Depardieu, ce n’est pas peu dire !!!
Article paru dans Valeurs Vertes, n°151 avril 2018 : http://valeursvertes.com/populisme-et-biodiversite/
[1] http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/284/1859/20170453