C’est la cinquième fois, en un peu plus d’un siècle, que les socialistes se livrent à l’exercice de rédaction d’un texte fondateur 1905, 1946, 1969, 1990, 2008. C’est dire l’importance du processus qui se veut être celui du XXIème siècle et du texte qui vient de paraître soumis aux débats au sein du PS.
Bien entendu les socialistes considèrent que leur spécificité c’est de « ne pas se satisfaire du monde tel qu’il est » . Ce faisant, ils s’arrogent le monopole du politique, car finalement la politique c’est bien opposer un projet collectif à l’évolution spontanée du monde. Cette appropriation est dans la droite ligne du discours des ténors socialistes qui s’identifient aux forces de progrès contre tous les autres qui seraient conservateurs. Ils tentent aussi de monopoliser le progrès.
Qui détient la vérité et la connaissance ?
Le texte a une position équivoque vis-à-vis du progrès et de la science. Le préambule considère d’ailleurs que le « socialisme démocratique veut être une explication du monde ». Il est curieux que cela ne soit pas la connaissance scientifique qui explique le monde mais le processus démocratique des socialistes. Le texte ne fait référence à la science que sous l’angle de la technologie et de ses risques.
Le principe de précaution voit ainsi son contenu biaisé : « Le mérite du principe de précaution est de permettre de faire des choix collectifs, à travers l’arbitrage des choix politiques, qui subordonnent l’acceptabilité des risques, inséparables du développement de la science, à l’utilité des innovations et à la légitimité de leur utilisation ».
La science inséparable des risques dont il est question ici, c’est la science agissante débouchant sur la technologie et pas la science éclairante celle qui permet de décider en connaissance de cause : écologie, épidémiologie… Il faut penser à la fois d’un côté la connaissance des risques et de l’autre le principe de précaution pour les risques non évaluables du fait d’absence de certitude scientifique.
Mais cette confusion avait été déjà faite par le Conseil d’Etat qui a modifié la proposition de rédaction que Dominique Bourg et moi-même avions proposée à la commission Coppens : lier la décision d’appliquer le principe de précaution au développement des programmes de recherche.
La place de la connaissance est essentielle. La Charte de l’environnement avait tout de même éclairci le débat en évoquant des droits et des devoirs en matière environnementale en considérant que l’accès à l’information et aux connaissances (éducation, formation) et la recherche contribuaient à l’exercice de cette responsabilité. C’est aussi le sens du principe présent dans la stratégie européenne de développement durable reprise dans la stratégie française : de fonder les décisions politiques sur les meilleures connaissances disponibles. Celles ci sont extérieures à la sphère politique. En voulant être une explication du monde, en mettant les connaissances citoyennes au même niveau que les connaissances expertes alors qu’elles sont de nature différente, le socialisme démocratique s’expose aux extrêmes manipulations.
La place de l’environnement et du développement durable
L’enchaînement des sujets des premiers articles est éclairant : être socialiste, l’égalité, le développement durable, le progrès et la démocratie. Le développement durable est donc en bonne place.
L’article 3 limite le développement durable aux « générations nouvelles » et non futures, faut-il entendre une restriction de la portée temporelle aux jeunes, enfants et petits-enfants et pas au-delà ? Le texte reprend quelques éléments présents dans la charte de l’environnement sous une forme légèrement différente. Mais un article bien placé ne suffit pas, le développement durable n’imprègne pas l’ensemble du texte et tant s’en faut. Il y a quelques juxtapositions : « Le but de l’action socialiste est l’émancipation complète de la personne humaine et la sauvegarde de la planète. » Le texte reprend souvent la protection de la nature mais de façon extérieure au discours politique le progrès humain et la nature sont pensés de façon séparée. La protection de la planète n’est pas articulée avec les autres activités. L’article 4 propose d’apprécier progrès économique et social aux conditions de vie et de travail sans évoquer leur viabilité environnementale. Plus loin « La régulation est également un des rôles majeurs de l’Etat pour concilier l’économie de marché, la démocratie et la cohésion sociale. » On n’y trouve pas l’environnement. Sur le rôle de l’Europe, là aussi il n’y a pas l’environnement.
L’environnement apparaît donc comme une affirmation générale sous le vocable « sauvegarde de la planète » sans contenu ni opérationnel ni intégré dans les autres préoccupations. L’absence des problématiques changement climatique ou biodiversité est très préoccupante par exemple.
Les inégalités sont résolues par le PS par la « redistribution permanente des ressources » ce qui n’est pas le droit d’accès aux ressources. Le développement durable prône en revanche que l’accès aux ressources et au développement garantisse l’accès des plus pauvres. C’est-à-dire qu’il ne bloque pas leur développement. La redistribution c’est la captation par une administration publique puis une distribution active. Bien d’autres approches notamment de renforcement de capacité, de droits opposables… peuvent contribuer au même résultat.
L’article 7 propose un modèle de développement durable d’où la mondialisation et la dimension culturelle sont cruellement absentes. Pourtant la culture est essentielle dans la vision francophone tant de la mondialisation que du développement durable. L’accès à la culture est placé au même niveau que le sport : deux activités de loisir. Elle se réduit aux artistes et à certaines pratiques culturelles mais pas aux valeurs fondamentales qui organisent la vie en société. Par culture il faut en effet entendre comme Edgar Morin « l’ensemble des savoirs, savoir-faire, règles, normes, interdits, stratégies, croyances, idées, valeurs, mythes qui se transmettent de génération en génération, se reproduit en chaque individu, contrôle l’existence de la société et entretient la complexité psychologique et sociale » , Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, © UNESCO, octobre 1999.
Régulation de la mondialisation ?
A l’article 6 pour répondre à la mondialisation dominée par le capitalisme financier : « les socialistes sont partisans d’une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux. ». On rêve. Il ne suffit pas de citer les valeurs universelles et les Nations Unies pour avoir réglé le problème de la mondialisation.
L’affirmation du marché d’un côté et des biens hors marché de l’autre rend impossible de penser la gestion de biens environnementaux par le marché. Cette affirmation explique le rejet des permis d’émission, par exemple, considérés comme d’inacceptables droits à polluer par les riches, pour lesquels on a oublié que l’allocation initiale était une décision politique essentielle, que les échanges sur le marché un second ordre et que donner un prix au carbone ouvrait des opportunités économiques y compris aux pays en développement !
Cette vision explique aussi l’absence de référence à la responsabilité sociétale qui est une véritable dynamique de progrès des entreprises à intégrer dans le modèle de régulation publique. Une RSE intégrée dans des stratégies publiques de diffusion des principes universels est une voie essentielle, pourtant totalement ignorée par le Parti socialiste. Heureusement que les acteurs sociaux eux l’ont compris.