Dans le cadre d’un Appel à idées Thématiques régionales de la Recherche en Rhône Alpes, un groupe de travail s’était réuni avec des représentants du Centre International du Design, Saint-Étienne, de l’Ecole de Beaux Arts, de la Chambre de Commerce, de l’Ecole des Mines de Saint-Étienne. Il a aboutit au texte de travail suivant pour lequel j’avais tenu la plume. 20/06/02, J’ai rajouté un paragraphe en introduction sur le design pour tous. La Région n’avait pas donné suite à cette proposition.
Contexte général :
Les pratiques proposées au nom du développement durable rencontrent aujourd’hui celles issues du design. La conjonction des trois éléments du développement durable (économique, social et environnement) se retrouve sous d’autres formes dans le design qui croise les arts plastiques et les disciplines culturelles avec la production industrielle.
Selon l’Office de la langue française, le design est considéré comme une activité créatrice se rapportant aux qualités formelles des objets produits industriellement, en vue d’un résultat esthétique s’accordant aux impératifs fonctionnels et commerciaux. En tant que discipline, le design vise une harmonisation des composantes de l’environnement humain à partir des formes données aux productions industrielles. Le mot « design » est emprunté à l’anglais où il qualifie un large champ d’activités de conception. Il persiste dans la terminologie française malgré les différentes recommandations officielles et tentatives de nominations successives (stylistique, esthétique industrielle, création industrielle). L’échec de ces propositions s’explique de deux manières. D’une part, elles réduisent la démarche à ses aspects stylistiques ; or les composantes esthétiques et fonctionnelles visibles ne sont que les résultantes formelles d’une conception s’attachant à relier les besoins du commanditaire, ses capacités productives, le marché qu’il vise, et la satisfaction de l’utilisateur final. D’autre part, le mot design aurait pour origine les deux racines françaises « dessein » et « dessin ». Cela renvoie de manière satisfaisante à la notion d’un projet dont le processus de résolution s’articule autour d’un système graphique de représentation.
Dans le présent contexte, nous retiendrons simplement que le mot design s’applique à la conception des produits de biens de consommation et d’équipement : objets industriels, produits répondant à l’aménagement de l’environnement physique de l’homme, packaging. Les entreprises inscrites dans des marchés très concurrentiels, tels l’automobile, les loisirs, l’électronique grand public ou l’électroménager, utilisent le design dans un objectif de différenciation. Le design y génère un système expressif par lequel l’entreprise gère sa marque et fidélise le client. S’il contribue ainsi en aval à la communication de l’entreprise, il s’exécute en revanche en amont de l’ingénierie du projet, dans la phase de conception où il intègre les données du consommateur fournies par le marketing et les disciplines sociales.
Chargé des aspects liés à la satisfaction d’usage du consommateur, le designer est sensible aux orientations sociétales et les traduit dans le choix des solutions qu’il préconise. Sa formation culturelle et en sciences humaines l’y prépare ; elle comporte les questions d’éthique, d’écologie et de développement durable. L’engagement de la discipline et des établissements de formation est, dans ces domaines, plus important que la marge de manœuvre laissée aux designers au sein de leur exercice professionnel.
Pendant les dix dernières années, la priorité donnée aux besoins et aux attentes des clients, consommateurs ou usagers est un changement qui s’est opéré dans d’autres champs que le design.
Le management de la qualité vise la satisfaction des demandes des parties intéressées : “ Lors de la conception et du développement de produits ou de processus, la direction assure que l’organisme est non seulement capable de tenir compte de leurs performances et de leur fonction de base, mais également de tous les facteurs qui contribuent à l’obtention des performances des produits et processus attendues par les clients et les autres parties intéressées. Par exemple, l’organisme tient compte du cycle de vie, de la santé et la sécurité, de la testabilité, de la capacité d’utilisation, de la convivialité, de la sûreté de fonctionnement, de la durabilité, de l’ergonomie, de l’environnement, de l’élimination du produit et des risques identifiés. ” (ISO 9004)
L’analyse de la valeur est une méthode visant la satisfaction du besoin de l’utilisateur par une démarche de conception à la fois fonctionnelle, économique et pluridisciplinaire. Elle est caractérisée par un raisonnement partant des fonctions et non à partir des solutions. Elle est fondée sur une dynamique de groupe associant toutes les parties prenantes.
Le principe d’écoefficience de la production permettant une consommation durable vise la maximisation de la valeur d’usage (service réel rendu au consommateur) et la minimisation de la consommation des ressources et des pollutions. On évoque ainsi le facteur quatre qui permet d’assurer la même unité de produit ou de service avec un usage de l’énergie et des ressources divisées par 4. Cette approche conduira à des solutions nouvelles : traçabilité, glissement du produit vers le service, sensibilisation et responsabilisation de l’écocitoyen…
L’écoconception appelée aussi “ ecodesign ” intègre formellement les objectifs environnementaux dans le processus de développement des produits, et fournit une évaluation proactive, suivie et systématique de la performance environnementale des produits et services.
Le design pour tous qui conçoit les produits et services à partir des besoins des plus démunis (handicapés, personnes âgées, personnes socialement exclues…) est une autre composante du design pour le développement durable. Non seulement on conçoit des produits pour des populations qui seraient exclus de certains type de consommation, mais facilite l’utilisation par la majorité de la population.
Cette convergence est paradigmatique. Elle vise l’intégration du maximum de fonctionnalités et des valeurs d’usage pour un produit ou un objet, avec un usage efficient des ressources. Le processus de conception et de production étant asservi à la formalisation de la demande, voire au delà des besoins des utilisateurs finaux. Les parties intéressées ne se limitent plus au client direct mais à un ensemble plus large de parties intéressées. Cette convergence impose des approches systémiques et transdisciplinaires.
Thématiques de recherche
Dans le contexte du développement durable, l’élargissement du design à une contribution aux fonctions environnementales, économiques, industrielles, technologiques et culturelle, pose des questions à différents niveaux.
Une réflexion générale sur ce phénomène et sa diffusion :
Comment analyser le phénomène du design dans l’histoire ? Dans l’histoire de l’art comme dans celle des techniques et des innovations sociales ? Que peuvent apporter à la compréhension de ce phénomène les approches sociologiques, ethnologiques, anthropologiques… ?
Quels changements structurels de long terme impliquent le développement durable, le passage d’un système industriel à une économie et des modes de vie durable, où le beau et les valeurs culturelles trouvent une place centrale ? Ce défi implique un changement profond et pas seulement des améliorations partielles et incrémentales. Comment penser ce changement et ces ruptures, pour s’y préparer, voire l’accompagner ?
Quels mécanismes permettent d’expliquer la diffusion du design ou les obstacles à cette diffusion ? Obéissent-ils à des mécanismes décrits notamment par la sociologie de l’innovation et présupposent-ils la diffusion dans des réseaux hétérogènes qui nécessite la définition d’un langage commun entre des acteurs appartenant à des cultures et des disciplines différentes ?
Comment les grands groupes ont intégré le design ? Quelles stratégies et organisations ont été développées ? Du design de produits au « corporate » de l’entreprise, peut-on mesurer les coûts, l’impact, le retour sur investissement des entreprises ?
Les pratiques du design dans les pays sont différentes : qualité du design du matériel roulant français, flexibilité du système italien, stratégies de conquête de marché en Asie, relative absence des Etats-Unis, apport du design aux productions de petits séries et à l’artisanat des pays pauvres… Les Etats s’y engagent diversement (politique nationale de soutien en Grande-Bretagne et en Finlande). Dans le contexte du marché européen voire de la mondialisation la connaissance de ces différences est un élément stratégique. De quelles natures sont les différences culturelles ? Celles-ci trouvent-elles des sources dans l’histoire, ont-elles conduit ou non à des découpages disciplinaires différents ? Ces découpages se retrouvent-il dans l’organisation de la recherche et l’innovation, dans les formes d’enseignement ou dans l’organisation des professions ?
Comment peuvent se développer les approches pluridisciplinaires et les relations entre des chercheurs qui se réfèrent aux sciences humaines d’un côté et aux sciences de l’ingénieur de l’autre ?
En France, le design est perçu comme “ élitiste ” car il est mis en valeur au sein du secteur de la culture. Sa diffusion auprès des entreprises est laborieuse, ses valeurs ajoutées sont mal comprises : conception améliorée, éléments de réponses pour de nouveaux marchés, stratégie de communication de l’entreprise. Est-il possible, souhaitable et stratégique de faire évoluer ces perceptions ?
Une réflexion sur les outils et les approches opérationnelles
Quelles avancées de la recherche et nouveaux concepts permettent d’enrichir le processus de conception : écoconception, écologie industrielle,… ou quels concepts déjà anciens peuvent reprendre un nouveau sens dans le contexte du développement durable (analyse de la valeur, qualité totale, systémique…) ?
Quelles compétences ou combinaisons de compétences doivent être mobilisées ? Comment traduire ces besoins dans les formations qui impliquent des changements culturels, des défis aux doctrines existantes, le développement de capacités multidisciplinaires au sein même des connaissances disciplinaires, le développement de nouveaux concepts …?
Le design permet de donner plus de valeurs d’usage et symboliques aux produits. Peut-il allonger leurs durées de vie, et ainsi réduire les ressources mobilisées sur l’ensemble du cycle de vie des produits ?
Comment qualifier des produits dans les échanges économiques, notamment avec l’encadrement des marchés publics qui privilégie le moins disant au mieux disant ?
Comment se réparti la création de valeur le long de la chaîne économique, notamment comment les sous-traitants et autres partenaires des entreprises se positionnent vis à vis des donneurs d’ordre ? Quelles formes de co-conception peuvent être observées autour de la fonction design ?
Disciplines concernées
Les approches de ces problèmes doivent mobiliser des équipes pluridisciplinaires, et mêler au minimum des représentants des sciences humaines et des sciences dures et de l’environnement. Elles auraient avantage à mettre en jeux des mécanismes de consultation de parties intéressées (créateurs, industriels…).
Les disciplines visées (liste non exhaustive) pourraient appartenir aux champs suivants : disciplines artistiques, sociologie, sociologie de l’innovation, anthropologie, sémiologie, histoire, ingénierie de conception et de process, économie industrielle, sciences de gestion, marketing, médecine, ergonomie, écologie, sciences de l’environnement, urbanisme, architecture…