Le séminaire gouvernemental sur le développement durable marque le lancement d’une démarche structurée visant l’élaboration d’une stratégie nationale de développement durable. Le dispositif institutionnel proposé par le gouvernement est cohérent avec un double niveau : un Comité Interministériel pour le Développement Durable (CIDD) associé à un Conseil National du Développement Durable (CNDD). Le calendrier des travaux du CNDD portant sur la stratégie nationale de développement durable sera coordonné avec celui des travaux menés sur ce même thème, par un Comité permanent des hauts fonctionnaires chargés du développement durable. En outre un état de la situation et des progrès réalisés en matière de développement durable sera présenté et débattu chaque année au Parlement.
Si le dispositif est séduisant, le calendrier est trop court pour aborder certaines questions, ce qui explique, espérons le, l’absence de réflexion sérieuse sur l’agriculture, les transports ou l’énergie. Pour ce dernier thème un débat national est proposé. En effet après avoir finalisé les axes stratégiques début décembre 2002, les objectifs à atteindre seront déterminés début janvier 2003 et les plans d’action devraient être définis fin mars 2003.
Le CNDD est placé sous l’égide du Premier Ministre ce qui est un gage de transversalité cohérent avec le principe même du développement durable. Mais les Commissions du développement durable étaient aussi placées avant 1996 sous l’égide du Premier Ministre, et rattachées au Commissariat au Plan, sans démontrer une grande efficacité. C’est grâce au rattachement au Ministère de l’environnement en 1996 et à l’engagement personnel de sa titulaire Corinne Lepage que le concept de développement durable a émergé en France.
Si le dispositif institutionnel est clair on peut s’interroger sur deux autres initiatives qui vont mobiliser le débat public dans les prochains mois : la charte de l’environnement qui doit aboutir en juin à une proposition de modification constitutionnelle et les Assises sur la décentralisation. Pour la charte on voit bien les articulations avec la stratégie de développement durable, même si le mélange sémantique entre développement durable et environnement induit des ambiguïtés. La seule inquiétude est que des principes de droit de l’environnement puissent se trouver affaiblis par une inscription constitutionnelle sous une forme édulcorée.
En revanche pour la relation entre décentralisation et développement durable on peut être réellement inquiet. Les Agendas 21 locaux, les outils de planification du développement durable, tels qu’ils sont conçus en France ne responsabilisent pas les collectivités locales dans une obligation de résultats notamment en termes de lutte contre l’effet de serre et de maîtrise de l’étalement urbain. Les débats qui se sont déroulés à Angers lors du séminaire des collectivités locales ont démontré qu’elles ne se sentent pas concernées par les problématiques globales et confondent développement durable et développement local participatif. Le projet gouvernemental fait reposer principalement la lutte contre les changements climatiques sur les permis d’émission, et ne concerne in fine que les entreprises. La nécessaire lutte contre l’étalement urbain et l’augmentation liée des transports s’appuie seulement dans le projet gouvernemental sur la dynamisation des espaces ruraux. La maîtrise de l’impact des transports mise principalement sur la technologie ou le développement du transport maritime en alternative à la route ce qui ne pourra pas inverser réellement l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans ce secteur..
Les actions d’ordre économique proposent de prendre en compte le cycle de vie des produits et services, y compris l’acte d’achat du consommateur final. Cette proposition est cohérente avec le programme d’action de Johannesburg. Les grandes entreprises restent soumises aux dispositions de la loi sur les nouvelles régulations économiques en matière de rapport de développement durable. Le dispositif devant être réévalué en 2004 et non abandonné comme le souhaitaient certains. Une action spécifique est envisagée vers les PME PMI, mais elle s’appuie apparemment exclusivement sur l’Etat (DRIRE) et les Chambres de Commerce. Le rapport gouvernemental ignore ainsi les activités menées par des associations et les collectivités locales qui pourtant se sont déjà largement impliquées dans ce domaine.
L’approche globale du cycle de vie des produits est limitée aux produits non alimentaires. C’est une erreur d’exclure la filière alimentaire de la réflexion sur le cycle de vie. On peut imaginer que les labels d’origine contrôlée soient un moyen de valoriser les produits français comme un des modèles d’agriculture durable. Mais le récent conflit agriculteurs / grande distribution démontre qu’une analyse complète du cycle de vie du produit est nécessaire en termes économique, sociaux et environnementaux. La réflexion sur le modèle agricole est urgente elle ne peut pas se limiter à la prime herbagère comme le propose le texte.
Il est étonnant que la formation des agents de l’Etat en matière de développement durable se limite aux agents de l’environnement (DIREN) et de l’industrie (DRIRE) mais pas à ceux l’équipement, de l’agriculture ou de la santé par exemple.
Le programme sur la technologie reprend une des propositions de la Commission du développement durable de 1996 mais qui n’avait jamais été mis en place. Il n’y a, par exemple, pas de base de donnée actualisée sur les technologies propres. Le programme propose une remise en cohérence des actions des divers organismes intervenant sur ce thème.
L’éducation au développement durable est un élément clé, mais l’absence du Ministre de l’Education Nationale qui s’est illustré dans son passé par ses positions antiécologiste et antinaturaliste, et la lourdeur de l’administration de l’éducation nationale cloisonnée en discipline, fait douter du moindre effet de cette partie du programme. C’est une lourde responsabilité pour le professeur Ricard qui a été chargé d’une mission sur la réforme des programmes.
Mais le cloisonnement académique est un problème plus crucial encore dans le domaine de la recherche scientifique. Sur ce plan, le rapport propose principalement le renforcement des compétences dans les sciences de l’écologie, ce qui est tout à fait nécessaire. Mais qui recrutera ces nouveaux spécialistes ? les corps d’états sont fermés à ces compétences et le secteur privé ne s’y intéresse pas.
Sur le plan international on retrouve la stratégie et les positionnements déjà affirmés par le Président de la République. Le groupe de travail lancé avec la Suède et le Programme des Nations Unies pour le Développement sur les biens publics mondiaux est un positionnement stratégique qui peut s’avérer fertile en face de l’omniprésence de l’OMC. La stratégie reprend aussi le thème de la diversité culturelle qui est devenu à Johannesburg grâce à l’action de la France et de la Francophonie un des composants du développement durable et fonde l’initiative pour une Convention mondiale sur la diversité culturelle.
La France se dote d’un dispositif cohérent qui manquait jusque là. Mais au-delà des intentions affichées on peu douter que les moyens suivent réellement. Certaines décisions récentes ont annulé des dispositions de l’ancienne majorité qui affichaient des objectifs le développement durable. Le dispositif proposé permet à ce que les différents acteurs de la société : Etat, Parlement associations ou entreprises jouent leurs rôles. Sans doute l’articulation avec les collectivités locales est absente, il est essentiel que les assises de la décentralisation permettent d’approfondir cette question. Affaire à suivre donc.