Le développement durable suscite un bien confortable scepticisme. Les premiers ennemis du développement durable sont ceux qui utilisent systématiquement ce terme dans une version banalisée, ceux qui comme Monsieur Jourdain, s’imaginent qu’ils faisaient du développement durable sans le savoir en raisonnant un peu économique, un peu social et un peu environnemental. Les seconds peuvent être certains experts du diagnostic (climat, biodiversité, santé…) en contact avec les problèmes, ils sont fort justement inquiets devant leur ampleur, mais ils ne sont pas compétents sur les solutions à mettre en œuvre.
Quand Jancovici établit des bilans et identifie précisément les sources des émissions de gaz à effet de serre il est dans sa compétence. Quand il affirme que les pauvres cela n’existe pas, il « déraille » et ruine sa capacité de mobiliser les politiques.
En fait le facteur déclenchant du développement durable est l’environnement, mais les solutions sont le plus souvent économiques et sociales. Les experts sur un domaine sont souvent indigents sur les autres. Des approches pluridisciplinaires sont nécessaires. Or la pluridisciplinarité est trop souvent en France un slogan que toute la structuration des disciplines scientifiques et la rétribution des carrières des chercheurs combat quotidiennement.
Intervenir sur un système complexe où différents éléments sont en interaction nécessite ce qu’on appelle une approche intégrée.
Le découplage du développement économique des impacts sur l’environnement implique par exemple un changement des modes de production et de consommation qui lui-même implique de nombreux niveaux : le changement les conditions du marché (écolabels, normalisation, réglementation, fiscalité), la stimulation de nouvelles offres, le développement des compétences individuelles (formation professionnelle) et collectives (bonnes pratiques dans les filières industrielles), la mobilisation des consommateurs sur des nouveaux produits, le changement du rôle social de certaines consommations ostentatoires, l’utilisation des marchés publics pour soutenir les marchés innovants, la mobilisation des financements sur des technologies et les entreprises innovantes…
Les politiques doivent être coordonnées et intégrées car il faut éliminer le « maillon faible ». Dans tout problème global dont la solution implique de combiner plusieurs types de solutions c’est la solution la plus lente qui conditionnera réussite de l’ensemble.
Les spécialistes d’un domaine, vont au contraire considérer que leur outil est le principal et donc doit finalement être unique. Les partisans de la fiscalité environnementale considèrent souvent comme un outil unique qui permettra de retrouver une « rationalité », qui dispenserait de toute autre approche politique. L’absence de culture « système » et la volonté de trouver des solutions simples conduit à focaliser le débat sur la solution la plus immédiate. Mais le diable est dans les détails.
Les actions dans les différents domaines cités relèvent de différents acteurs : privé et public, nationaux régionaux et locaux. Il faut donc un système de gouvernance qui permette la coopération entre ces acteurs : établir un diagnostic partagé, mettre en place des systèmes coopératifs, déployer un programme d’action, évaluer les résultats et mettre en place une amélioration continue. Qui plus est, ces approches doivent s’installer dans la durée.
Dans un mode dominé par la compétition, économique et politique, le développement durable nécessite d’ouvrir des espaces de coopération. Dans un mode dominé par le « court termisme » et l’immédiateté, le développement durable nécessite une action soutenue dans la durée. Dans un monde dominé par des médias privilégiant la simplicité et la critique sceptique, le développement durable doit pouvoir faire valoir ses avancées et ses bonnes pratiques.
Il faut donc identifier les avancées, les conforter, identifier les lacunes et les obstacles pour les surmonter. Mais ce type d’approche bute sur la réalité des pratiques des acteurs. La critique politique systématique, incapable de reconnaître les avancées du camp adverse, ne permet pas de construire. La critique des sceptiques vient conforter l’idée sur laquelle ils fondent leur marketing médiatique, « c’est la catastrophe, on ne fait rien car il n’y a rien à faire, sauf à tout changer mais personne n’y est prêt ».
Le rapport sur l’avancement de la Stratégie nationale de développement durable qui vient de paraître n’a pas suscité une ligne de commentaire.
En conclusion je me permets de citer Alfred Sauvy qui critiquait ceux « qui se complaisent dans l’onanisme de l’abstraction de peur de s’accoupler avec la monstrueuse réalité ».
C’est au cœur des politiques, au cœur des mécanismes économiques, au cœur des institutions internationale comme nationales et locales qu’il faut porter le fer. C’est au cœur du modèle de société et de l’idée qu’elle se fait du progrès qu’il faut agir. Mais la société ne se réforme pas par décret, il faut la comprendre pour la changer.
Je me consacre à cette tâche depuis quelques années, mais de temps en temps je me sens bien seul, peu aidé par ceux qui le devraient.
L’ampleur de ce qu’il faut changer est immense, mais n’est-il pas question de survie ?