Climat : opter pour un repli stratégique. VV n°148

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Les Antilles vont-elles rester habitables dans les années à venir? A cette question, Nicolas Hulot s’est dit « incapable de répondre » mais a concédé que « la question se pose ». Au cœur de la catastrophe Irma, la question du long terme est ainsi posée en termes extrêmes. La question de l’adaptation au changement climatique a émergé difficilement en France, elle est encore loin d’être véritablement intégrée dans les politiques. Je vais me permettre de rappeler les étapes auxquelles j’ai participé, en vue d’éclairer les difficultés auxquelles nous devons faire face.

Paul Vergès, Président de la Région Réunion, visionnaire, a pris l’initiative en 1999 d’une proposition de loi tendant à conférer la qualité de priorité nationale à la lutte contre l’effet de serre et à la prévention des risques liés au réchauffement climatique et portant création d’un Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en France métropolitaine et dans les départements et territoires d’outre-mer (ONERC)[1] C’est à ce moment que j’ai commencé ma coopération avec Paul Vergès en contribuant à l’argumentaire technique de cette initiative parlementaire qui ne recevait pas l’appui initial du gouvernement et donc de l’administration. Créé en 2001 l’ONERC collecte et diffuse les informations sur les risques liés au réchauffement climatique, et formule des recommandations sur les mesures d’adaptation à envisager pour limiter les impacts du changement climatique. Enfin l’ONERC assure la liaison avec le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il s’agit donc d’un organisme qui assure une interface entre les scientifiques et les décideurs.

Même si en France nous n’atteignons  pas les extrêmes de Donald Trump qui nie la science au profit d’une vérité alternative qui convient au lobby des énergies fossiles, l’influence de la science sur la politique reste conflictuelle.

Devenu délégué interministériel au développement durable en 2004 j’anime et coordonne au nom du Premier ministre l’action des administrations de l’Etat en faveur du développement durable et je dispose de la Mission interministérielle de l’effet de serre (MIES). J’ai dû défendre alors l’ONERC contre des attaques indignes notamment celle d’un député qui avait réussi à faire passer un amendement au budget du ministère de l’écologie amputant les budgets de la Mission interministérielle à l’effet de serre (MIES) et de l’ONERC de 1 million d’euros alors que leur budget cumulé n’était que de… 700.000 euros. Heureusement que, devant un budget négatif pour le climat,  le Sénat a pris les dispositions inverses. Mais l’opposition ne venait pas seulement des politiques, mais aussi des milieux environnementalistes. L’adaptation au changement climatique était considérée comme un défaitisme qui venait affaiblir la nécessaire lutte contre les changements climatiques.

Dans un groupe de travail préparatoire au rapport de l’ONERC sur la Stratégie d’adaptation au changement climatique, j’avais défendu la notion de repli stratégique en considérant l’aspect politique du problème. Ma contribution n’a pas été retenue dans le rapport publié en 2007, sans doute parce qu’elle était trop directe et politiquement incorrecte. Douze ans plus tard, je pourrais encore la signer, je vous la livre donc :

« Le financement public ne doit pas être sollicité pour pérenniser des activités qui sont condamnées à long terme par les changements climatiques. Les problèmes de reconversions industrielles montrent que les acteurs locaux ont tendance à refuser les reconversions d’activité en tentant de pérenniser une situation dont ils ne mesurent pas le lien avec des changements profonds. Se mobiliser pour maintenir certaines activités peut apparaître comme une impasse. Plus on s’y enfonce plus les dépenses passées justifient de continuer dans la même direction. Plus on attend plus, bien entendu, les dépenses sont importantes et les reconversions sont, elles aussi, coûteuses. Il faut donc le plus tôt possible opérer un repli stratégique, à travers par exemple la diversification économique. Il convient de trouver des solutions nouvelles et de favoriser les solutions structurelles.

C’est ainsi par exemple que la remontée en altitude de l’enneigement met en péril l’économie des stations de moyennes altitudes. La première parade est le stockage des eaux de surface et les canons à neige. Les acteurs locaux peuvent être tentés de généraliser la réfrigération de l’eau (à fort coût énergétique), et rechercher de ressource en eaux souterraines. Chaque difficulté rencontrée trouve une parade de court terme, mais la fuite en avant technologique est coûteuse et non durable à long terme. La solution est de trouver des alternatives de loisir, étaler la saison et profiter plus de l’été… Trouver des nouveaux modèles économiques. Il est plus logique de mobiliser les investissements publics pour aider cette reconversion que d’imaginer parer aux changements des conditions par une pérennisation artificielle des dites conditions. On sait également que certaines zones côtières sont condamnées par la remontée du niveau des mers et seront sujettes à des conditions inacceptables pour les populations. Une solution consiste à créer des digues, et intervenir de façon massive. Outre le coût, les changements des conditions d’écoulement des eaux conduiront à des érosions dans d’autres zones… Là aussi les solutions techniques qui sont supposées empêcher les changements de court terme, ne permettent pas d’apporter des solutions de long terme. 

Dans les deux cas le refus de voir, fait continuer des investissements aujourd’hui, alors qu‘il faudrait reconvertir. Il s’agit donc de mener un véritable repli stratégique. Mais ce repli stratégique est très difficile à programmer. Il masque la possibilité d’établir un réel diagnostic, puisque ceux qui en seront éventuellement victimes ont tendance à cacher, voire se cacher, la vérité.

Deuxièmement le coût progressif des symptômes a tendance de faire reposer la décision au suivant, l’élu peut avoir tendance à renvoyer le problème au mandat suivant, l’acteur économique tire au maximum parti du court terme. Il faut donc trouver un processus politique qui favorise la décision, dans lequel le premier décideur aura un avantage direct et personnel de s’engager le premier.»[2]

Cette notion de repli stratégique a été reprises dans la Recommandation 39 de la stratégie d’adaptation au changement climatique publiée par l’ONERC en 2017 : « Le repli stratégique, déjà pratiqué outre-Manche ainsi que sur certaines propriétés du Conservatoire du littoral, demande à être soigneusement étudié et planifié à l’aune des conséquences prévisibles du réchauffement climatique sur nos côtes (avancée de la mer, érosion des côtes, submersion des côtes basses, etc.). » Symptomatique que l’ONERC soit obligé de s’appuyer sur un exemple étranger pour consolider une proposition que les données scientifiques suffiraient à justifier.

Quelques exemples médiatisés viennent illustrer comme à Soulac-sur-Mer, où un immeuble de 4 étages datant en 1967, Le Signal, est évacué mis en péril par l’avancée de la mer. Des politiques publiques ont commencé à intégrer cette question, comme le contrat de plan CPER 2007-2013 Languedoc Roussillon[3]. La mairie de Lacanau a mis dans le débat public les deux directions envisageables pour la gestion du risque érosion à long terme (horizon 2100) à Lacanau : un scénario de lutte active (protection dure) et un scénario de repli stratégique.[4]

Mais en général les mesures de protection actives ont des conséquences à une autre échelle. Chaque construction perturbe les cycles du sable et des sédiments. Le sable est une ressource sous-tension dans de nombreuses zones du monde, son exploitation sur les plages ou en mer, aggrave les effets de la montée des eaux et des tempêtes. Des protections douces, des dunes grises couloirs de biodiversité permettent d’accompagner la translation des milieux. Il s’agit d’une ingénierie écologique. Il convient de résonner à une autre échelle et considérer les flux de matière, sables, sédiments et lits mobile des fleuves.

La question de l’adaptation au changement climatique vient aussi impacter des domaines déjà sous tension d’usage, comme l’eau, tant pour sa rareté que ses excès.

La tension sur les ressources de l’eau, suscite la demande d’aménagements visant à augmenter la ressource. Le repli stratégique impliquerait de reconsidérer les productions agricoles. La gestion des risques d’inondation, implique la nécessité d’arrêter l’urbanisation des zones inondables et même de l’inverser, plutôt que de multiplier les digues. La tempête Xynthia de 2010 l’ayant durement démontré. Il s’agit aussi des fleuves, question qui a été initiée dans le bassin de la Loire au terme de la contestation du barrage de Serre de la Fare et qui se pose en d’autres termes du fait des changements climatiques.

Ce n’est pas qu’une question d’espaces naturels. La question de la résilience urbaine et de l’adaptation aux changements climatique est posée. La Chine a lancé une politique assez intéressante, celle des villes éponges. Cette politique combine de façon intégrée des mesures favorisant l’absorption et le ralentissement de l’écoulement des eaux pluviales, la préservation des zones humides, le captage, l’utilisation, le recyclage les eaux collectées par ces nouvelles infrastructures dans une logique d’économie circulaire. L’intérêt de ce concept est de permettre un objectif mobilisateur global compréhensible par les citoyens.

Ce repli stratégique ne peut s’appuyer que sur une politique élargissant les perspectives temporelles, élargissant l’échelle géographique et sectorielle des problèmes, s’appuyant à l a la fois sur des diagnostics scientifiques et l’implication de la population et des acteurs économiques. Toutes questions qui posent un défi pour les responsables politiques et l’administration.

[1] http://www.senat.fr/leg/ppl99-159.html

[2] Groupe de travail ONERC « Stratégie d’adaptation au changement climatique »2 Version V.1 du 8 juillet 2005 – Document de travail http://www.2dattitude.org/ressources/k2d/pdf/1/1C/1C07.pdf

[3] Languedoc Roussillon : – module 2 : stratégies d’adaptation Etat des lieux sur le recul stratégique – phase 1 : définition – juin 2010

[4] http://www.mairie-lacanau.fr/environnement/381-erosion-du-littoral.html

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