La revue Challenge titre sur les contre-vérités en économie en s’appuyant sur « Le négationnisme économique » l’ouvrage de Philippe Cahuc et André Zylberberg sur « Le négationnisme économique » défend la thèse que l’opinion publique et les politiques publiques s’appuient sur des contre-vérités économiques. Par idéologie ou par intérêt, beaucoup de politiques, de patrons ou d’universitaires nieraient ainsi les connaissances scientifiques apportées par la science économique.
Cet ouvrage suscite une large polémique.
Le postulat défendu par les auteurs est que la science économique serait aujourd’hui devenue une science expérimentale au même titre la physique ou la médecine. Des protocoles rigoureux et le mécanisme de revue par les pairs des publications scientifiques lui garantiraient ce statut de science expérimentale à part entière.
Les auteurs ont raison de dénoncer que des faits scientifiquement établis ne servent pas de base aux choix politiques. Mais cela ne concerne pas que l’économie. Il n’est qu’à considérer comment la science écologie est ignorée par ceux qui prétendent confier la gestion des écosystèmes aux… chasseurs et par les économistes eux-mêmes. A l’heure où le populisme dénonce l’establishment, il est nécessaire de renforcer les bases scientifiques et rationnelles des décisions publiques, pour en renforcer la légitimité.
Mais l’économie qu’elle soit expérimentale ou économétrique est loin de pouvoir revendiquer le rôle du guide unique des politiques. Alfred Sauvy écrivait il y a plus de 40 ans un texte qui répond en partie au débat présent.
« Les calculs les plus logique sur les choses, pénurie ou abondance, aggravation ou amélioration des conditions laissent de côté la réaction des hommes, certes souvent énigmatique, mais facteur essentiel. (…)
Le modèle est, comme son nom l’indique, sinon une perfection, du moins un guide, une lumière. (…) Sous des noms différents, ils existent depuis Quesnay ou Petty, pour ne pas remonter à Platon. Mais depuis un demi-siècle, ils constituent à la fois la grande récréation et le moyen de pousser les savoirs, c’est-à-dire, pour employer le langage économique, la consommation et l’investissement.
Pain merveilleux, qu’un dieu partage et multiplie ! Chacun peut avoir le sien, secret ou communiqué à d’autres, et y trouver le moyen de rêver ou de se rassurer.
Certains modèles se propagent selon la loi des rumeurs et de contagions et connaissent un engouement plus ou moins durable. A ce stade, les uns et les autres peuvent ajouter, à chaque construction, des ailes, des clochetons et des enjolivures. Le modèle ne consomme rien, sinon un peu de matière grise, n’a aucun caractère polluant (…).
Les auteurs de modèles se complaisent dans l’onanisme de l’abstraction de peur de s’accoupler avec la montreuse réalité.
Un risque existe cependant, lorsque cet instrument, cet exercice, s’apprête sans précautions, à entrer en application. Certes, aucun ministre des finances, aucun chef de gouvernement ne cèdera émerveillé par les suggestions d’un économiste présentant un modèle… modèle, assurant la solution optimale, y compris l’insaisissable félicité des hommes. Mais la pénétration lente d’idées suggérées par la douce abstraction n’est pas sans danger. »
L’origine de ce texte ? En 1974, j’achevais mes études à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne et j’ai été chargé de la publication de la plaquette que l’Association des élèves éditait chaque année. J’avais choisi le thème de la croissance. Alfred SAUVY n’avait pas fait de contribution originale mais avait permis la publication de bonnes feuilles de son livre « Croissance Zéro ». Il avait fait quelques rajouts (à la main dans la marge) dont cette phrase d’une grande actualité, dont je n’ai pas trouvé trace ailleurs et donc qui m’est restée comme un cadeau personnel : « les amateurs de modèle se complaisent dans l’onanisme de l’abstraction de peur de s’accoupler avec la monstrueuse réalité. »
Il y avait aussi un article original de Michel Rocard. J’avais commis un article qui prônait … l’économie circulaire. Oui il y a 40 ans !