Valeurs Vertes n°172, mai-juin-juillet 2022
Comment les collectivités locales peuvent-elles s’emparer de la normalisation pour mieux rendre leurs territoires intelligents et résilients ? Voici quelques pistes de réflexion à destination des acteurs de la transition sur les territoires.
Les grandes mutations à venir ont deux moteurs l’environnement et le numérique. L’environnement l’est à double titre : comme problème et comme solution. Les changements climatiques et la dégradation des services fournis par les écosystèmes affectent directement les sociétés et l’économie. Ces changements nécessitent une adaptation aux changements à subir. D’autre part l’atténuation et la réduction des émissions et des pressions sur les écosystèmes, reposent sur des solutions, des processus et des innovations créatrices de valeur pour la société. Adaptation et atténuation sont mêlées. Pour les entreprises cela implique une combinaison de la gestion des risques et des opportunités.
Ces questions, se posent à toutes les échelles, et particulièrement au niveau des territoires. Si la question climatique est globale, les impacts sur les territoires sont différents selon les conditions locales. L’adaptation et la résilience des territoires sont les réponses à ce problème global.
C’est aussi à l’échelle locale, celle des villes et territoires, que la plupart des solutions reposant sur les ressources locales peuvent être mise en œuvre : services des écosystèmes, économie circulaire, énergies renouvelables… La reconfiguration des chaines de valeur mondiales, ce que certains appellent la démondialisation, conduiront les entreprises nationales et internationales à établir des relations nouvelles avec les territoires. Leur contribution au développement durable local sera un élément important de leur responsabilité sociétale, comme l’ISO 26000 l’avait d’ailleurs déjà établi dès 2010.
Les territoires et les villes durables devront à la fois contribuer à relever les défis environnementaux globaux et envisager leur développement au service de leurs populations en considérant les conditions écologiques, géographiques, sociales et économiques locales. Il est donc nécessaire de développer une intelligence locale, c’est-à-dire un ensemble de savoirs et de compétences liés au territoire. Cette intelligence sera en partie liée, ‘connectée’, au numérique.
Le second moteur du changement est en effet le numérique qui ouvre des potentialités nouvelles de services et de création de valeur. Il a permis l’émergence des premières entreprises mondiales, les GAFAM. Il a bouleversé les modes de pensée, reconfiguré les échanges économiques et à travers les réseaux sociaux déstabilisé les institutions. Leur régulation politique est un défi pour les institutions.
Le numérique est un outil puissant de partage, d’accès à des connaissances et à des données nouvelles. Au-delà de la maîtrise de son impact énergétique et environnemental, un numérique responsable intégrant des valeurs peut appuyer les institutions et les acteurs vers le développement durable.
Le territoire est un champ important de déploiement du numérique. La ville numérique, la ‘smart city’, appuiera son développement sur des données locales massives, captées, traitées, stockées et diffusées à des prix sans cesse décroissants.
Quels processus les villes peuvent mettre en œuvre pour le développement durable ? A quelles conditions la ville numérique peut-elle contribuer au développement durable ? Quelle responsabilité sociétale accompagne son déploiement ? Comment participe-t-elle à l’intelligence du territoire ? Quels indicateurs et architecture des informations adopter ?
La normalisation pour des villes et territoire durable et intelligents.
C’est pour répondre à ces questions que se déploie la normalisation sur les villes durables. L’ISO a créé en 2012 un comité technique « Villes et Communautés Territoriales Durables » (ISO/TC 268). La normalisation européenne, le CEN, a été créé plus récemment, le comité technique « Villes et Communautés Durables et Intelligentes » (CEN/TC 465). Enfin en France, l’AFNOR s’est dotée d’une commission « Villes et Territoires Durables et Intelligents » (VTDI). Comité miroir de ces comités, elle contribue activement aux travaux internationaux, notamment du fait que l’AFNOR assure le secrétariat des comités ISO et CEN.
Sur un plan général les normes sont de différentes sortes, elles encadrent les caractéristiques des produits permettant l’interopérabilité, la maitrise de la sécurité et de l’environnement. Elles encadrent aussi la qualité de services ou de processus. La normalisation ISO est ainsi apparue comme une alliée essentielle du déploiement du marché mondial. D’autres normes, dites de management, promeuvent un modèle d’amélioration continue, initié par la qualité. Celui-ci est devenu un modèle générique qui s’est imposé dans différents domaines et activités : environnement, éducation, systèmes d’information, sécurité… Chacune de ces normes se conforme à une structure universelle de management (HLS High Level Structure).
Enfin les normes, ‘hors normes’, que l’on peut qualifier d’institutionnelles, portent sur des questions de nature politique, comme l’ISO 26000 sur la responsabilité sociétale des organisations. Cette norme reconnait l’ensemble du droit international comme inspiration des comportements responsables de toute organisation. Cette dimension explicitement politique de la normalisation devrait se renforcer, notamment sous l’influence de l’Union Européenne qui vient d’adopter le 2 février 2022 une stratégie en matière de normalisation : « Définir des normes mondiales à l’appui d’un marché unique européen résilient, vert et numérique ». Cette action sur la normalisation de l’UE est intégrée dans les politiques de l’UE et accompagne leur mise en œuvre. Cette stratégie embrasse l’ensemble des types de normes : « Plus que jamais, les normes doivent non seulement traiter des aspects techniques, mais aussi intégrer les valeurs démocratiques fondamentales et les intérêts primordiaux de l’UE, ainsi que ses principes écologiques et sociaux. » (UE, 2022, p. 4)
De quelles normes les villes disposent déjà.
Le champ de la normalisation pour les villes couvre ces différents champs : le champ technique par l’organisation du numérique, celui du système du management et de la gouvernance des villes et les objectifs ‘politiques’ de la durabilité. Toutes ces questions étant abordées avec un objectif de cohérence.
La norme ISO 37101 « Développement durable au sein des communautés territoriales — Système de management pour le développement durable » joue un rôle de pivot. Deux normes associées portent sur les indicateurs l’ISO 37120 pour les services urbains et la qualité de vie et l’ISO 37122 pour les villes intelligentes. L’ISO 37101 s’inscrit dans la filiation de l’ISO 26000 et considère 6 finalités du développement durable pour les villes et les territoires : attractivité, préservation et amélioration de l’environnement, résilience, utilisation responsable des ressources, cohésion sociale et bien-être.
L’ISO 37101 propose des pistes d’intégration de ces finalités dans 12 domaines d’action : (1) gouvernance, responsabilisation et engagement, (2) éducation et renforcement des compétences, (3) innovation, créativité et recherche, (4) santé et soins, (5) culture et identité collective, (6) vivre ensemble, interdépendance et solidarité, (7) économie, production et consommation durables, (8) cadre de vie et environnement professionnel, (9) sûreté et sécurité, (10) infrastructures et réseaux, (11) mobilité, (12) biodiversité et services écosystémiques.
Cette norme propose aux villes un système de gouvernance et de management, leur permettant d’établir leurs politiques, fixer des objectifs et des processus et des indicateurs leur permettant de les atteindre. En adoptant une vision systémique de la durabilité et des interactions entre les différents domaines, la norme inspire l’architecture des systèmes d’information développées dans les normes traitant du numérique.
Pour les villes ou les territoires ces propositions normatives peuvent aider à créer un consensus sur le développement durable et à favoriser les synergies entre les acteurs parties prenantes grâce à une approche holistique. Elle devrait permettre à améliorer le caractère durable, l’intelligence et la résilience des stratégies, programmes, projets, plans et services déployés.
Les collectivités locales, et les acteurs privés et publics des territoires, peuvent aujourd’hui s‘emparer de la normalisation, tant pour utiliser les normes existantes que pour participer au sein des commissions à l’élaboration de nouvelles, ce qui est un prétexte au partage de connaissances et d’expérience avec des pairs.
[1] Christian Brodhag est président de la Commission AFNOR Villes et Territoires Durables et Intelligents (VTDI) de l’AFNOR depuis le 18 mars 2022